Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri : « Les rapports de pouvoir entre les gens nous passionnent »

Place publique
De Agnès Jaoui (Fr, 1h38) avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri...

Entre cuisine, dépendance et grand jardin, Place publique, nouveau ballet orchestré par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, tient de la comédie de caractère, s’inscrivant dans la lignée du théâtre de Molière – au point de tendre à respecter la triple unité classique (d’action, de temps et de lieu). Une féroce et mélancolique vanité dont on a parlé avec eux deux.

Quel a été le point de départ de l’écriture de Place publique ?

à lire aussi : "Place publique" : le sens de la garden party

Agnès Jaoui : C’est très difficile pour nous de dire quand et par quoi cela a commencé : plusieurs thèmes à la fois, des idées, des personnages… Et comme souvent, quand on commence l’écriture, on se dit : tiens, peut-être que ce sera une pièce L’unité de temps et de lieu faisait partie de notre cahier des charges personnel, au contraire du film précédent, Au bout du conte, qui avait cinquante-trois décors !

Jean-Pierre Bacri : On a des thèmes préférés, comme les rapports de pouvoir entre les gens – parce qu’il y en a forcément entre deux personnes, c’est comme ça, c’est la nature humaine et ça nous passionne de jouer ça.

à lire aussi : Agnès Jaoui : « Plus on montrera des femmes normales, plus on les acceptera »

Avec le désir d’égratigner certains personnages ?

JPB : Si vous observez avec honnêteté, quand vous écrivez, vous égratignez tout et tous les personnages qui peuvent l’être. Agnès et moi, on s’est toujours dit qu’on progresserait plus en ne prenant pas de boucs émissaires, en montrant des gens que la logique de fonctionnement psychologique a amenés à être ce qu’ils sont. On essaie d’observer cette logique. Ce qui fait qu’on égratigne, oui, un petit peu.

En écrivant le personnage de Castro, animateur télé sur le déclin dont l’entourage rappelle qu’il a eu jadis une éthique personnelle, vous êtes-vous interrogés sur ce moment où il a basculé, où il a accepté la concession de trop ?

JPB : Je vais vous le dire : quand certains ont du pouvoir, de la richesse, ils changent. Quand j’avais trente ans, j’ai connu un animateur qui voulait réussir et avait plein de bonnes intentions. Comme il était plus jeune que moi, autour de 22 ans, et qu’il voulait percer, on se voyait. J’avais une espèce d’ascendant sur lui, il me demandait toujours ce que je pensais.

Cinq ou six années ont passé, il est devenu célèbre et un jour – ça a été la dernière fois qu’on a discuté –, je lui ai dit : ah, alors tu fais cette émission ? Et lui : ouais, écoute, moi j’ai besoin de 50 000 balles par mois pour vivre normalement, donc je fais ce qu’il faut faire pour les gagnerC’est un danger du pouvoir, d’oublier ce qu’on s’était promis parce qu’on ne veut pas s’emmerder avec des choses inutiles… C’est comme ça.

Et pour vous ?

JPB : Et bien… Il y a des gens qui gardent leurs convictions malgré la réussite !

Qu’est-ce qui détermine qu’un de vos projets va glisser vers le cinéma ou le théâtre ?

AJ : Le fil de l’écriture.

JPB : Oui, c’est l’écriture qui nous mène au cinéma ; la difficulté de faire tenir le tout dans l’unité de temps et de lieu, avec l’envie, le besoin d’être ailleurs avec d’autres gens. C’est plus simple – oui, c’est un peu la facilité.

AJ : Et c’est du désir aussi, tiens ! On aimerait un orchestre ici, une musique là, c’est beaucoup plus compliqué au théâtre.

D’où vient cette tirade sur la joie de vieillir qui ouvre le film ?

JPB : On a mille fois entendu un acteur dire ça – tout le monde dit ça. Et je comprends les gens qui le disent : ils n’ont pas envie de se plaindre, ils ont de l’amour-propre ; alors il ne faut pas dire c’est horrible, parce que ça ne l’est pas et qu’il y a des gens qui gagnent beaucoup à vieillir, aussi.

Ce qu’on gagne, c’est que l’on perd en tension et en pression. On perd cette envie de réussir, cette urgence, ces angoisses que vous avez à 18-29 ans : qu’est ce que je vais faire de ma vie, ça ne marche pas, je n’ai pas assez d’argent Toutes ces tensions disparaissent et laissent place d’autres choses dont vous pouvez jouir tranquillement. Mais je ne parle que pour moi.

Pour l’acteur également ?

JPB : Encore plus pour l’acteur ! Ça fait longtemps que je suis tranquille et que je fais ce que je veux.

Comment vous dirigez-vous l’un et l’autre ?

JPB : Pour moi, c’est très agréable d’être dirigé par Agnès. Comme on se connaît tellement bien, elle n’a pas grand-chose à me dire pour m’expliquer que je ne suis pas exactement là où elle voudrait que je sois. Et puis c’est une réalisatrice qui fait quelque chose que je ne sais pas du tout faire : c’est-à-dire elle laisse jouer l’acteur comme il veut, la première voire les deux premières prises. Et après elle vient amender…

AJ : Moi, j’admire son jeu et sa direction d’acteur, je lui fais une confiance aveugle…

Vous n’avez donc pas envie de réaliser un film, Jean-Pierre ?

JPB : Non : il n’y a que la direction d’acteur qui me plaise, et Agnès a la gentillesse de me laisser faire. Donc, je suis toujours très content. Quand je lui parle d’un acteur je lui dis : c’est dommage, il pourrait faire ça comme ça. Et quand le tournage est sympathique, que la confiance est installée, elle me dit : vas-y, vas lui dire.

Qui a eu l’idée de vous faire chanter du Bashung à la fin du film ?

AJ : On a cherché une chanson. Mais laquelle ? Moi, je voulais quelque chose en anglais, mais Jean-Pierre était contre. Et après, c’est toi qui as proposé Osez Joséphine…

JPB : … à cause de « éviter les péages ». Il y a une devise que je m’approprie, quand il dit : « éviter les péages, jamais souffrir, juste faire hennir les chevaux du plaisir », je trouve que c’est une bonne devise pour vivre… C’est du parolier Jean Fauque, hein ? Il faut lui rendre hommage, c’est un grand auteur. C’est beau ça, j’aime bien.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 5 février 2018 Drame familial anxiogène au réalisme brut et à l’interprétation terrifiante de vérisme, le premier long-métrage de Xavier Legrand offre à Denis Ménochet un rôle de monstre ordinaire le faisant voisiner avec le Jack Nicholson de "Shining" au...
Dimanche 23 avril 2017 Portrait d’une femme à la croisée des émotions et de la vie, cette comédie culottée de Blandine Lenoir sur la ménopause brise réellement les règles. Interprète du rôle-titre, Agnès Jaoui donne émotion et fantaisie à ce grand-huit émotionnel,...
Mardi 9 juin 2015 Bruno Podalydès retrouve le génie comique de "Dieu seul me voit" dans cette ode à la liberté où, à bord d’un kayak, le réalisateur et acteur principal s’offre une partie de campagne renoirienne et s’assume enfin comme le grand cinéaste populaire...
Mardi 3 mars 2015 De Brice Cauvin (Fr, 1h40) avec Laurent Lafitte, Agnès Jaoui, Benjamin Biolay, Nicolas Bedos…
Mardi 13 mai 2014 Comme un contre-pied à "Tournée", Mathieu Amalric livre une adaptation cérébrale, glacée et radicale d’un roman de Simenon, où l’exhibition intime se heurte au déballage public, laissant dans l’ombre le trouble d’un amour fou et morbide....
Mercredi 27 février 2013 Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri font entrer une fantaisie nouvelle dans leur cinéma en laissant à une génération de jeunes comédiens pris à l’âge des contes de fées le soin de se heurter à leur réalité d’adultes rattrapés par l’amertume et les...
Vendredi 31 août 2012 De Pascal Bonitzer (Fr, 1h40) avec Jean-Pierre Bacri, Kristin Scott-Thomas, Isabelle Carré…
Vendredi 31 août 2012 Rencontre autour de la rencontre de Jean-Pierre Bacri et Pascal Bonitzer pour "Cherchez Hortense" : deux mondes de cinéma a priori étanches, mais unis au cours de l’interview par une vraie complicité. Propos recueillis par Christophe Chabert
Mardi 17 juillet 2012 De Carine Tardieu (Fr, 1h29) avec Agnès Jaoui, Denis Podalydès, Isabelle Carré…
Jeudi 11 septembre 2008 De et avec Agnès Jaoui (Fr, 1h38) avec Jean-Pierre Bacri, Jamel Debbouze…

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X