"Yesterday" : all you need is The Beatles


Un musicien sans succès se retrouve seul au monde à connaître le répertoire des Beatles et se l’approprie : sa vie change alors radicalement. Après "Steve Jobs", Danny Boyle reste dans l’univers Apple pour cette fable morale, musicale et nostalgique aux inspirations multiples.

Jack Malik (Himesh Patel) a du succès à la guitare auprès de ses amis ; un peu juste pour vivre de ses chansons. Une nuit, un accident mystérieux le laisse le visage en vrac et riche d’un trésor : il s’est réveillé dans un monde où les Beatles n’ont jamais existé. Et lui seul connaît leurs chansons…

Quel musicien n’a jamais rêvé (ou cauchemardé) connaître le sort de Jack Malick ? Puisque les Beatles, aux dires de John Lennon en 1966, étaient « plus populaires que Jésus », cela équivaudrait-il à se retrouver en position mosaïque, recevant les Tables de la Loi ? Débordant largement du registre musical, l’influence du groupe a été – et demeure – telle dans la culture contemporaine pop que son effacement pourrait légitiment causer un hiatus civilisationnel.

Le postulat de départ est intellectuellement séduisant et, surtout, réjouissant pour les amateurs des Quatre de Liverpool. Ils savourent non seulement la renaissance du catalogue entier, mais ont droit en bonus à des surprises moins prévisibles et plus authentiquement émouvantes que celles parfumant d’habitude les biopics musicaux.

Face A : Love me doux

Le scénariste Richard "Love Actually" Curtis étant au générique, une couche sentimentale se superpose au fantastique. Et une (sage) critique du business et de sa collection de parasites vient recouvrir le tout ; des sangsues pas si terribles que cela puisque le brave Ed Sheeran, second rôle de prestige du film, les recommande à Jack. Ça n’a donc pas changé depuis Phantom of the Paradise (1975) de Brian De Palma ; mais bon, on n’espérait pas un brûlot anticapitaliste contre le monde du disque – fantastique ne signifie pas science-fiction.

C’est surtout au niveau musical que Yesterday était attendu au tournant. Doublement : dans sa faculté à reproduire les chansons originales, mais aussi à "habiller" le film dans une tonalité voisine des compositions Lennon/McCartney. Rendons hommage à Himesh Patel, qui envoie du bois en reprenant les standards à sa manière, ainsi qu’à Daniel Pemberton pour avoir tiré une B.O. de boucles reverses et de mixes de plusieurs titres emblématiques à la production particulièrement ouvragée – Strawberry Fields Forever, A Day in the Life… Si l’on s’en tenait là, on parlerait d’un agréable spectacle emplissant la tête de merveilleuses mélodies. Sauf que…

Face B : Robber Soul ?

Depuis que les premières bandes-annonces ont fleuri sur les écrans, nombreux ont été les commentateurs à pointer les similitudes entre l’argument de Yesterday et celui de Jean-Philippe (2006) de Laurent Tuel, où une rupture du continuum spatio-temporel provoque l’entrée du personnage principal dans un monde où le phénomène Johnny Hallyday n’a jamais existé – certes, les conséquences sont moindres puisque circonscrites à l’Hexagone. Même si les moyens diffèrent, la fin est identique : seul dépositaire du souvenir des chansons de son idole, le héros parviendra à les restituer au monde.

Plus troublantes sont les ressemblances entre le film de Danny Boyle, écrit on l’a dit par Richard Curtis d’après une histoire de Jack Barth, et une excellente bande dessinée française titrée… Yesterday. Publiée en 2011 par la regrettée maison d’éditions Manolosanctis, illustrée par Jérémie Royer sur un scénario de David Blot, elle contait l’histoire d’un jeune Français parti à New York en 2013 qui se réveillait inexplicablement en 1960 et montait un groupe AVANT que les Fab Four n’aient percé, mais avec leurs chansons. Si l’époque diffère, le groupe est le même et la question de l’appropriation – donc d’un syndrome effectif de l’imposteur – identique.

Quelle étrange mise en abyme de se retrouver face à un film évoquant la question de l’usurpation de l’œuvre de l’esprit (ou du parasitisme artistique), et de devoir s’interroger sur son originalité comme sur la sincérité de ses créateurs. Bien sûr, on pourra arguer comme Truffaut « qu’il n’y a pas d’œuvre, il n’y a que des auteurs », mais avouez en l’occurrence que cela fait un peu désordre…

Yesterday
De Danny Boyle (GB, 1h56) avec Himesh Patel, Lily James, Ed Sheeran…

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