Alexandre Astier : « J'avais envie de dire aux gens : “vous croyiez connaître Arthur“… »

ATTENTION SPOILERS ! / Attention spoilers ! Alors que sort le mercredi 21 juillet le film plus attendu de l’année, Alexandre Astier revient sur la genèse et le tournage de Kaamelott - Premier Volet. Écriture, personnages, musique, image, distribution… L’auteur-réalisateur-compositeur-interprète aborde tous les postes et ouvre des perspectives. Quitte à se répéter : attention, spoilers ! Vous ne viendrez pas nous dire qu’on ne vous aura pas prévenus !

Dix ans se sont écoulés entre la fin du Livre VI de la série télévisée et Kaamelott - Premier Volet. La même durée dans la fiction pour les personnages (donc l’équipe) que pour le public… Néanmoins, vous avez vécu à la fois avec et sans Arthur durant tout ce temps puisqu’il a été celui de la préparation du film…

Alexandre Astier : Il y a déjà un avantage à cet arrêt : la série se termine sur un mec lui-même à l’arrêt, plus du tout concerné par ce qui se passe dans une Bretagne sur laquelle il n’a plus aucun impact, et qui erre à Rome comme un clochard. Le royaume de Logres, aux prises avec ses anciens camarades, est devenu un état dictatorial mené par un taré, dans un bain de collaboration et de résistance. Du point de vue d’Arthur, comme ça ne le concerne plus, ça aurait pu durer vingt ou trente ans. Dire « Je pars ; non, je déconne, en fait, je reviens », ça ne peut pas marcher ! Il faut justement que celui qui ne voudrait pas revenir soit obligé de revenir sur une seule patte.

L’autre avantage concerne l’écriture. À part quelques grands traits, je ne pouvais pas savoir ce que donnerait le film, car j’écris toujours avec ce que j’ai dans les mains, avec "ce que je suis" au moment où j’écris. Comme tous les auteurs qui font à peu près leur boulot. C’est un truc qu’on doit. Et souvent ce que j’écris m’aide à passer un cap. Il m’a donc fallu attendre pour Kaamelott - Premier Volet de savoir "qui j’étais" pendant que j’écrivais. Visiblement, quelqu’un dans la répurgation, avec un côté un peu vengeur (rires). Cela, je n’aurais pas pu l’anticiper. En tout cas, je n’ai jamais vécu l’attente douloureusement. J’avais plutôt l’impression de laisser un vinaigre à la cave… Et j’ai pris du plaisir à faire resurgir des gens qu’on n’a pas vues depuis longtemps, à écrire des préquelles, puisqu’il y a encore des flashbacks dans celui-là. Que cela prenne des allures de saga me remplit d’aise : j’ai hâte d’écrire un Arthur avec les cheveux parfaitement blancs, en un vieux mec qu’il faut aider à marcher pour s’asseoir sur un trône. Peut-être que ce sera vrai, qu’il faudra vraiment m’aider à marcher pour m’asseoir, si j’y arrive, bien entendu (rires). Le temps qui passe est un truc d’auteur hyper inspirant et hyper agréable. J’ai l’impression d’avoir une grande chance.

Bon, évidemment, je ne dis pas que je n’ai pas pesté lorsqu’il a fallu attendre pour de mauvaises raisons. Mais je suis plutôt philosophe : au finish, je ne pense pas que ça aurait pu mieux se passer. Et puis, entretemps, il y a eu les BD. C’est très agréable, car c’est pour moi un monde très doux à écrire puisqu'elles ne bougent pas de la saison 1 ou 2. On n’est pas entré dans le conflit avec Lancelot. Il n’y a pas de drame. Tout le monde sort indemne de ces histoires qui sont des aventures pour se distinguer dans l’épopée du Graal.

La série avait déjà exploré un passé d’Arthur ; on en découvre un autre insoupçonné ici à travers des flashbacks qui construisent le film autant que son personnage. Comme ils construisaient Vito et Michael Corleone dans Le Parrain II de Coppola…

C’est ma meilleure référence en termes de flashback, tout confondu ! Il y a des gens qui détestent les flashbacks par principe. Je ne sais pas pourquoi, c’est très con. J’aurais l’impression d’être perdu si je ne parlais pas du passé des personnages que je présente : ça a un pouvoir narratif tellement puissant et ça permet une inventivité tellement folle en racontant deux histoires à trente ans d’écart qui, a priori, n’ont aucun rapport mais finalement vont se lier. Parce que la vie et les destins ont toujours des répercussions inattendues.

Et puis, c’est une chance que de pouvoir inventer un passé à quelqu’un à qui le public voue une tendresse ou, en tout cas, une inquiétude, un intérêt ! Quand j’ai imaginé ce passé, j’avais envie de dire aux gens : « Vous croyiez connaître Arthur, mais en fait ce gars-là, il porte un sac sur son dos depuis ses 15 ans et il ne s’en libèrera jamais. » Je voulais que le truc soit un peu choquant ; que ce soit trop pour lui. Un des ces actes que certains ados peuvent commettre dans un accès de colère, puis ne plus du tout assumer parce que ce sont encore des bébés. J’éprouve un vrai attendrissement pour l’adolescence, et puis pour la notion de traumatisme.

Il nous est tous arrivé des trucs plus ou moins graves qui, parce qu’ils étaient perçus comme des drames, ont pu constituer un traumatisme. Quand j’écris des drames, des traumatismes qui se passent au Ve siècle, c’est avec ma version supposée d’une brutalité du monde qui n’est pas la nôtre. Un traumatisme pour un gars de 15 ans dans une légion de Maurétanie césarienne à cette époque-là, j’imagine que c’est pas parce que son prof entre en lui disant : « Dis donc, tu bosses comme un con ! ».

J’avais donc cette envie de dépeindre un ado ne trouvant pas la bonne réponse aux choses et que le public voie qu’il a du sang sur les mains depuis l’âge de 15 ans parce qu’il a assassiné quelqu’un salement et froidement avant de partir à des milliers de kilomètres, en abandonnant son premier amour. D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il prend Shedda dans ses bras comme Aconia… On ne peut plus le regarder de la même manière ensuite. Car si plus tard il ne veut plus de torture, plus d’esclavagisme ; s’il ne veut pas tuer (tout guerrier qu’il est), ce n’est pas par souplesse ni par flemme, mais peut-être par aversion profonde pour la violence et l’intransigeance. La séquence où Lancelot le traite d’incapable et lui reproche de ne pas prendre sa vengeance alors qu’il l’a en mains, prend un tout autre sens…

Justement, Lancelot est une grande figure mélancolique : plus que le méchant, il est celui qui a trahi alors que Horsa le Saxon présente une forme de sérénité dans la manière dont il avance ses pions…

Lancelot décroche complètement. Parce que son moteur est chaotique : c’est la rage et la jalousie vis-à-vis d’un mec qui est plus populaire que lui et moins bon (dans sa tête à lui en tout cas) pour trouver le Graal. Je m’étais toujours dit que Lancelot, une fois au pouvoir, comprendrait qu’il ne trouverait pas plus le Graal que les autres. Parce que quand tu as le pouvoir dans la main, tu ne gères que de la merde. Et c'est exactement ça ! Parce qu’il est complètement taré et qu’il veut tous les rattraper, les annuler, les buter. Il y a donc une espèce de chasse aux sorcières permanente et Guenièvre qu’il a enfermée. Ce gars est une boule de frustration permanente, ce qui est pour moi la marque des dictateurs.

J’ai la vision de Lancelot sur les trois films ; je vois où il doit aller

— ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde, mais lui, c’est vraiment l’amorce de ce qui va suivre. Ça a déjà commencé parce qu’on sent à la saison V dans la grotte avec l’autre qu’on peut facilement le faire basculer mais là c’est la progression, vers la Tour de Ban. Il a une progression à suivre, je ne doute pas trop de là où il doit aller mais c’est vrai que ça met en scène un gars qui fait tout… qui n’a plus rien de réfléchi. Les Saxons savent où ils vont, ce qu’ils veulent. Lui, il dépense tout le pognon, inconsidérément ; son rêve dès le début, c’est de payer les Saxons à chercher. Il fait n’importe quoi, il file de la terre ; il promet tout. Il n’y a plus qu’un truc qui le tient debout : la rage et l’empressement de retrouver Arthur.

Quant à Arthur, c’est un peu Ludwig à l’envers : au lieu de bâtir, il détruit…

Absolument. Dans le fait qu’Arthur détruise Kaamelott, il y a de ça. Mais ce n’est plus Kaamelott, c’est noyé de corruption. C’est un peu luxueux comme réaction de fin. Mais bon… On est dans un film (rires). On ne peut pas être shakespearien et économiser les cailloux des châteaux ! Il pète tout. Il reste une ruine, on verra, il reviendra…

Restons sur Shakespeare avec les chefs des Semi-Croustillants, Perceval et Karadoc, qui délivrent à la Résistance souterraine l’équivalant de la Harangue de la Saint-Crépin de Henri V. Même si, dans leur bouche, elle ressemble à une harangue de saints crétins, elle a pour effet de fonctionner sur leur auditoire…

Oui… Elle n’était pas prévue pour fonctionner (rires). Après… « Bienheureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur appartient ». Kaamelott, c’est un peu ça : il y a les cœurs purs et les cœurs purs sont récompensés. C’est sûr que le monde leur appartient, mais ils vont passer par où ? J’ai su assez tôt que ces mecs seraient tous sous terre, sans raison valable. Comme des gamins. Ils sont inefficaces jusqu’au bout, puisque nous les retrouvons dix ans après avoir commencé leur entreprise. Le départ est sous la taverne qui a cramé dans la saison VI, on peut s’imaginer qu’ils ont eu très vite cette lubie là, cette lumière. Dix ans plus tard, ils n’ont toujours pas réglé le principe fondamental qui est d’effectuer la cartographie des lieux. Ils ont failli mourir plusieurs fois ensevelis, étouffés et il faut les revigorer, les galvaniser sinon ils sont perdus, paumés. Effectivement, en creusant dans tous les sens depuis dix ans, il y aura bien un boyau qui partira plus ou moins vers Kaamelott que Merlin, profitant de leur absence va exploiter en recardant les choses.

Je me suis toujours dit que Merlin en souterrain, druidiquement est encore plus à plat que d’habitude. Parce qu’il n’est pas en lien avec les éléments, il pourrait être cartographe ; il pourrait se trouver une seconde vocation. Donc oui, ça finit par leur servir. J’espère que le spectateur sentira bien que c’est pas grâce à eux, que c’est une exploitation secondaire et opportuniste.

Encore un mot sur Perceval : il lui arrive de citer les Écritures…

…Qui n’en sont pas pour lui. Ça lui vient. Au même titre qu’il a été baptisé en fin de saison IV. Ben ouais, je ne sais pas quoi dire. Devant une grande émotion, comme découvrir que Arthur est là et vivant, alors qu’il ne l’a pas vu depuis dix ans, voilà ce qui sort. « Heureux les simples d’esprit… » Il y a une liaison quelque part.

Je suis très athée dans la vie… mais pas dans ce que j’écris, non jamais : Dieu existe toujours dans ce que j’écris,

je suis très cartésien dans la vie, mais je rends les choses mystiques cartésiennes dans ce que j’écris, carrément. Au même titre qu’un truc tout à fait concret.

En découvrant la Nouvelle Table ronde, Arthur rend un hommage spontané et sincère à sa qualité artisanale. Kaamelott - Premier Volet apparaît également dans son ensemble comme une expression de votre goût pour la belle ouvrage. En particulier dans le travail sur l’image. Votre choix de caméra — la Arri Alexa 65, adoptée par Alfonso Cuarón pour Roma — en témoigne…

Avec Jean-Marie Dreujou, le chef-opérateur, on a essayé énormément de caméras, en prenant un plaisir de geek. Sans être trop technique, l’Alexa avec ses deux capteurs super 35 collés l’un à l’autre, possède la signature d’image du 70mm, en plus de particularités techniques inimitables, comme un type de profondeur de champ réduite qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Avec Jean-Marie, on s’est d’ailleurs appliqué à fermer le diaphragme pour récupérer le point sans avoir des fonds complètement flous : ça aurait été une manière un peu fastoche de faire du cinéma que de détacher en permanence tous les sujets sur une espèce de pâte feuilletée bizarre ! En revanche, la qualité de ce flou, et le fait qu’on ait à lutter contre, font que cette caméra a toujours été incomparable, dans le sens littéral du terme.

Bien entendu, il fallait des optiques à la hauteur pour aborder un capteur de cette taille-là. Or, il n’y en a pas tant que ça. On en a pris une relativement récente qui est une merveille : un recarossage pour le cinéma d’une optique moyen format photo Hasselblad. Avec ce pedigree d’optique, le résultat est complètement dingue. On l’avait constaté dès les essais : la caméra réagissait toujours parfaitement avec le feu, la saturation des blancs sur la neige, les ciels, les textures, les costumes, les fourrures, les moirages que le numérique n’aime pas trop d’habitude. C’était absolument fou !

Seulement, cet instrument nécessite une mise en place de data un peu chiante : on a tourné en raw et en open gate pour avoir toutes les infos. C’est-à-dire que si le format final est en 2, 39:1 (le cinémascope normal), il a fallu tourner en 2, 11:1, un petit peu plus haut, ce qui permet par exemple de recadrer pour enlever une perche dans le champ sans effets spéciaux. La très grande résolution permet en plus de zoomer sans détériorer le tout. Alors, ça en fait du téraoctet… On a atteint le peta ! (rires) C’était un gros chantier.

Bien sûr, cela représente un surcoût conséquent mais on a joué pendant tout le film avec un appareil complètement fou qui donne envie de faire du cinéma. Un outil exigeant mais gratifiant poussant à fouiller les couleurs, à privilégier les distances et les profondeurs, parce qu’il prend tout. Les gens qui bossent à la lumière, à l’électricité ont donc envie de montrer ce qu’il savent faire ; du coup, ça met la pression à tout le monde à la déco, aux costumes… Quand on bosse avec des bons, ils ne demandent pas mieux : ils aiment qu’on voie leur boulot, leur exigence, leur minutie à faire leur travail. C’est une caméra qui rend hommage à l’équipe.

Justement, y a-t-il une "écriture" de la couleur ?

Elle est rendue possible parce que les informations chromatiques sont totales. C’est un film en parcours, avec des zones très claires, des flashbacks en plus… Avec Jean-Marie Dreujou et notre étalonneuse Aline Conan, il fallait créer des mondes compréhensibles dès le premier coup d’œil. Des mondes en colorimétrie et en contrastes formant des bulles, des limites. Quand on passe d’un endroit à un autre, on est censé y voir une signature graphique. Par exemple, lorsque Arthur et le Duc d’Aquitaine marchent vers Gaunes, ils traversent un champ de souches. Le décor se situe dans le Pilat où une tempête venait d’arracher des arbres. Du fait du temps qu’il faisait, on a une grande prépondérance de bleu, tout est froid sauf l’intérieur ambre de ces arbres brisés qui ne sont pas encore assez vieux pour avoir pris le côté gris du bois sec.

Cette séquence contraste nettement avec celles qui précèdent chez le Duc d’Aquitaine, où la couleur surgit réellement pour la première fois…

À la décoration, on s’était mis d’accord assez tôt sur le fait qu’il y ait des glycines au-dessus de leurs têtes, et de ce violet-là, on en a fait la signature colorimétrique, l’étalonnage de ce moment. Ce qui fait que comme ils ne bouffent que des fruits rouges, des framboises, la violine de ces glycines nourrit aussi les fruits, ainsi que la robe de Chabat qui a un rouge très profond. Instinctivement, le spectateur doit se sentir dans une bulle violette-rouge nacrée, puisqu’il y a encore la baignoire du Duc, son spa (sourire), dans cette teinte.

Une couleur/texture sert aussi parfois de lien dramatique entre des séquences : on note ainsi une synchronicité entre le premier sang versé, le jus des dattes et la cire déversée sur le parchemin lors de la cession de l’île de Thanet…

C’est vrai, j’espère que d’autres personnes le remarqueront. Effectivement, la cire qui est versée sur l’île de Thanet lorsque Lancelot la cède (c’est le Pêché de Lancelot, qui déclenche tout le bordel), c’est la couleur… Lancelot fait vraiment la connerie de commencer à morceler le royaume sacré en en filant un bout à l’ennemi. Les dieux, sous la forme d’un vent, soufflent sur la gueule des gens jusqu’à Alzagar pour lui dire : « T’as oublié un truc dans la cale ». Ce qui l’amènera finalement à Arthur. Ce cousinage des teintes est le pont entre tous ces trucs. Et avec cette caméra-là, avec cette lumière-là, tu peux vraiment avoir une discussion très artisanale avec ton accessoiriste. C’est un peu plus chronophage aussi, mais parce que tout le monde veut bien faire.

Vous signez naturellement la bande originale. Mais il y a en plus de la musique une autre partition : le dialogue, porteur d’une rythmique particulière…

Je ne peux pas imaginer une réplique qui ne serve qu’à informer ! C’est lié à un très très vieux souvenir : entendre mes parents acteurs parler de choses qu’ils avaient dû faire et qui étaient mal dialoguées. Les gens qui dialoguent bien sont très rares. D’ailleurs quand il y en a un, on le voit tout de suite. Je n’ai pas eu cette chance, mais quand tu vas jouer chez Bertrand Blier, tu ne sais pas ce qu’il va te faire faire, mais tu peux y aller tranquille ; c’est fait pour toi.

Un dialogue, c’est toujours périphérique : les gens ne donnent pas d’information ni sur eux, si sur ce qu’ils sont. Si on commentait tout ce qu’on est en train de faire, on serait tous des robots. Or on vit dans un monde où les répliques servent à dire qui on est autour d’une action. Les gens viennent pour entendre une langue et la musique, même s’ils le savent moins. Ça suffirait presque.

D’ailleurs, Michel Audiard l’a dit il y a très longtemps : ce qui compte, c’est que ça sonne. S’il le dit, ce n’est pas pour rien. Oui, c’est une histoire de musique parce que le spectateur n’écoute pas une réplique qui sonne mal. La pseudo information qui est censée passer au détriment de la musique, en fait, elle ne passe pas. Il n’y a pas de mystère : si ça sonne pas, il ne faut pas le mettre ou le mettre autrement. Au cinéma, le prix à payer pour avoir le droit de leur raconter une histoire, c’est que les dialogues sonnent, et que la musique soit juste. On peut faire beaucoup d’erreurs ailleurs, mais là, ça ne passe pas.

Une réplique trahit votre attachement profond à la musique, au sens premier. Elle est même l’une des clefs de l’histoire : « La guerre, c’est de la musique ! » Est-ce une conviction personnelle ?

Oui, oui ! J’aime bien croire que tout est question de "quandé plus de "quoi"” ou de "comment". C’est aussi vrai à mon avis en boxe, en tennis qu’en stratégie militaire : la première chose qui est perdue, c’est une brèche rythmique dans laquelle l’autre peut s’engouffrer. Alors, je n’ai aucun goût pour la guerre en tant que personne mais en tant que metteur en scène, c’est rigolo de mettre en scène des bastons (rires). Kaamelott - Premier Volet est une démonstration du fait que la musique et la rythmique passent les barrières : on s’en fout de la langue, toutes les ethnies ont une musique, même si elle nous est très étrangère, qui devient le seul langage possible. Cette démonstration à la fin du film est la chose la plus ancienne à laquelle j’aie pensé, la première idée.

Pour le compositeur que vous êtes aussi, peut-on inverser la maxime : « La musique, c’est VOTRE guerre » ?

Absolument ! J’ai eu le malheur sur tomber sur Youtube sur des gens qui ont lancé une série qui s’appelle Star Wars minus Williams (rires) La scène du remise de médailles dans la Throne Room, c’est affreux ! Donc n’ayons pas peur de le dire : Star Wars, c’est un score illustré (rires). Rien ne tient sans Williams. En plus, j’adore tellement Lucas, c’est tellement un dieu pour moi. Mais si on enlève John Williams, qui est un très grand compositeur classique, c’est très dur à regarder. La musique prend en charge le risque, l’épique, la splendeur, le doute, l’échec… J’ai même entendu Lucas le dire lui-même en salle de montage, en déconnant parce qu’il venait de se prendre le chou sur une scène avec les effets spéciaux : « De toute façon, ne vous inquiétez pas, les gens ne regardent pas les effets, ils écoutent la musique ! »

Du coup, quand je compose et que j’orchestre, je ne demande l’avis à personne parce que ce n’est pas un truc collectif, alors que le cinéma est le regroupement de talents divers sur des artisanats différents.

La musique fait partie des choses que je ne partage pas ; je garde mes erreurs, mes inélégances, je fais avec ce que je ne sais pas faire.

Si j’osais, je dirais que je ne fais pas de films, j’illustre des scores. Attention : ça ne veut pas dire que je ne tiens pas à ce que je raconte. Mais je sais qu’on écoute la musique d’abord.

Quel "chef d’orchestre" êtes-vous en compagnie des équipes techniques ?

La création collective, au départ, ce n’est pas mon truc. Mais tout au cinéma est collectif, de toute façon, partout. Et je veux que les gens s’amusent quand ils viennent travailler avec moi. Pas juste pour qu’ils passent du bon temps, mais parce que, dans notre métier, quand on s’amuse, on commence à être bon. Certains techniciens sont venus après le tournage me dire qu’il n’avaient jamais vécu ça. Pourtant, ce n’est pas compliqué d’organiser la liberté sur un plateau. Prenons le cas des costumes du film : le pire aurait été de les limiter à mon imagination. Si j’engage Marilyn Fitoussi, c’est par qu’elle en sait un milliard de fois plus que moi sur ce sujet, qu’elle a un vocabulaire "costumique" cent fois plus développé que le mien, qu’elle connaît les matières, ce que d’autres costumiers ont fait dans d’autres films ou opéras… Et lorsqu’elle vient avec une idée, a priori elle doit avoir raison, à moins d’un très fort contresens. Pour moi, c’est ça aussi, être metteur en scène : comprendre ce que tu es en train de faire par le biais des autres. On dit parfois que je veux tout faire, que je veux avoir avoir la mainmise sur tout. Je ne crois pas car je respecte beaucoup les artisans : ils m’impressionnent. En fait, une fois que j’ai fait le texte, que je sais ce que je raconte, que j’ai la musique, que je sais où je vais techniquement, je crois que chez moi, c’est hyper libre.

Le tournage de la séquence du Robobrole en est un exemple…

Avec mon premier assistant Stéphane Moreno, l’un des grands artisans de ce film, on parlait de cette séquence. On avait des trucs, mais il manquait des boss, du genre avec un super pouvoir. Alors on a mis le mot "superpower" comme nom de code. Et du coup, ce mot a traversé les étages, aux costumes, à la déco, aux accessoires… Tout le monde est venu me voir : « — C’est quoi, le superpower ? — On ne sait pas, mais les idées sont les bienvenues ? — On ne comprend pas les règles du jeu ! — Mais moi non plus je ne les comprends pas, vous vous doutez bien que personne n’y comprend rien » (rires) Du coup, c’était hyper agréable de composer avec toute l’équipe deux mecs ayant des espèces de casques qui venaient pour tabasser les joueurs. C’est un bonheur d’avoir une équipe aussi talentueuse, de pouvoir les inviter à faire les cons… mais sérieusement.

Cela est aussi dû au fait que, pour une grande part de l’équipe, la confiance s’est construite sur le long terme…

Mais il y aussi toujours beaucoup de nouveaux, j’y tiens, qui sont là parce qu’ils ont du talent.

En particulier du côté des interprètes…

Même si je manque de temps pour aller chercher de nouvelles têtes, entre les nouveaux et les anciens, il y a beaucoup de personnages dans le film. Une vraie galerie ! Mais comme c’est une fresque, le genre supporte le nombre.

Parmi eux, j’aimerais dire quelques mots sur ces trois aventuriers qui se présentent chez les Semi-Croustillants, pleins de fougue pour la résistance. Ce sont des jeunes gens que j’ai vus à l’Acting Studio où je donne quelques cours de temps en temps. Ils m’ont plu dans des vaudevilles ou dans Molière, qui sont des exercices où l’on sent l’envie rythmique d’un acteur : parfois ils veulent quelque chose de juste mais de si ambitieux qu’ils en bafouillent. Ils sont jeunes mais ils sonnent. Les rôles sont écrits pour eux, avec le peu que j’en avais vu et beaucoup de plaisir.

Et puis j’aime faire venir Guillaume Gallienne, qui est un comédien dans le sens le plus profond du terme. Gallienne, c’est de la Ferrari ; c’est le même qu’Isabelle Adjani en garçon. Et un rêve pour moi qui aime bien travailler avec le sous-texte, c’est-à-dire pouvoir prendre la réplique, la vider de son sens et un mettre un autre, pour en déclencher l’ironie. Ça, j’avoue qu’à ce jeu, Gallienne est inépuisable : tu ne peux pas le coincer ! Tu peux lui demander vingt-cinq intentions différentes, les vingt-cinq seront là et aucune d’entre elle ne sera polluée par la sémantique supposée de la réplique. Elles seront toutes nues et tu peux foutre tout ce que tu veux : du orange, du bleu, du rouge… Ça l’amuse, en plus, et il t’en trouve d’autres ! Par exemple au moment où je suis dans la cage et qu’il dit « c’était mieux quand vous vous la fermiez », j’en ai seize différentes. Pourtant on ne change pas un mot, c’est le support sur lequel il faut s’amuser. Gallienne, Cornillac, Clavier sont comme ça. Ça vient avec la maîtrise.

On en revient à la musique : la partition est la même, l’interprétation seule diffère…

Exactement : il ne viendrait l’idée à aucun des quatre-vingt-quinze musiciens de changer une note à une partition de Brahms. Et pourtant quand on écoute une interprétation, elle ne raconte jamais la même chose qu’une autre. La vie commence quand le texte est dans la poche. De très bons acteurs accueillent ce mouvement libertaire avec anxiété. Les très jeunes aussi, parce qu’ils sont impressionnés. Mais un Gallienne, ce n’est pas moi qui vais l’effrayer ! C’est vraiment la classe.

Parmi les nouveaux venus, il faut évoquer l’arrivée de deux personnes habituées à la musicalité : Jehnny Beth et Sting.

J’avais l’impression que les Saxons devaient être joués par des acteurs anglais. Déjà, un Anglais qui parle français peut donner une couleur d’envahisseur un peu chouette. Et puis, une figure anglaise comme Sting en espèce de rétro punk, c’est une marque de pop culture. Parce que pour moi, les Saxons, c’est…

…la "British invasion" ?

Exactement ! Les Saxons font partie des gens qui ont donné les Anglo-Saxons, un peuple germain qui est encore là. Et on sait qu'ils ont vraiment commencé leur invasion par l’île de Thanet qui, elle, n’existe plus puisque le sable la relie désormais au Kent.

L’idée de Sting s’est présentée grâce à Marc Cardonnel, l’un de mes collaborateurs qui bosse beaucoup avec le monde de la musique. Ça m’a beaucoup plu. Il apporte un truc, d’une marée qui monte, des incursions anglaises… Il a accepté, j’ai eu du bol. Je me suis enregistré en train de de dire ses répliques pour qu’il les mémorise. Sting est incroyable, hyper discipliné, bosseur. Il pourrait faire le con s’il le voulait, mais il était hyper sérieux, très humble, inquiet de mal faire. C’était super.

Quant à Jehnny Beth, elle ne ressemble à personne avec sa toque de horse-guard bizarre et ses bijoux. Pour la suite, il faudra persévérer dans cet inattendu du cast. Je serai le plus chanceux de tous si Emma Thomson voulait venir, mais c’est presque trop facile, d’autant qu’elle parle français, en plus ! Ce serait presque plus surprenant de voir Brian Johnson de ACDC, ou un mec de télé de Top Gear qui joue de la musique, ou Mark Knopfler de Dire Straits…

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