Leurs présences

Installations, sculptures et un ensemble conséquent de dessins alternent dans ce trajet consacré à l’univers déstabilisant et puissant de Juan Muñoz, artiste espagnol disparu prématurément en 2001, à l’âge de 48 ans. Séverine Delrieu

Si une incommunicable solitude émane des créatures sculptées ou dessinées de Juan Muñoz, c’est ce même sentiment qui peu a peu s’insinue en nous. Mais à ce sentiment d’isolement se greffe, tenace, celui de l’étrangeté : au bout d’un cheminement tortueux, intranquille, le spectateur devient l’intrus, le regardé, l’autre, le différent et peut-être le raillé. Une expérience marquante, sans doute, surtout que les personnages à la fois réalistes et totalement étranges de Muñoz jouissent d’une autonomie de vie inexplicable dans un temps éternel : la sensation de leur densité, de leur présence pèse encore en nous. De plus, la mise en espace imaginée pour cette exposition par le Musée de Grenoble est en adéquation avec le travail de l’artiste espagnol, et met le spectateur en perpétuelle relation avec ces figures. Mais, si l’on connaissait un peu plus les sculptures figuratives racontant une ou des histoires, la vraie découverte sera celle de ses dessins : 80 sont présentés entres les dix installations, enrichissant de leur force évocatrice, l’histoire des personnages sculptés. Les dessins réalisés à l’encre ou à la craie grasse, sont d’ailleurs autant les travaux préparatifs aux sculptures (la réalisation des volumes, le traitement de l’espace, de la lumière rappellent le sculpteur, le trait minimal et maîtrisé révèle le dessinateur). Mais ces dessins, se suffisent également à eux-mêmes. En effet, ces figures anonymes - la plupart des dessins sont dépourvus de titre - de la mélancolie, de la solitude, de la violence et de l’humiliation sont si fortes, qu’elles transcendent tout. Globalement, grâce à une mise en scène dynamique qui joue sur l’effet de surprise, l’alternance de dessins, sculptures, sur le passage d’une émotion à une autre, on vit un crescendo dans l’univers particulier de Muñoz, éclatant en fortissimo dans le climax final : l’installation de sculptures Many Times (1999).

Derrière les apparences

Dès son arrivée dans une première salle, le spectateur rencontre le dos d’une marionnette ventriloque réalisée en résine grise, couleur dominante dans le travail de Muñoz (et évoquant la cendre et par association d’idées, la catastrophe). La figurine est assise sur un muret ; posément, elle regarde deux dessins réalisés à la craie blanche d’intérieurs vus sous des angles différents. The ventriloquist Looking at a double Interior place le spectateur dans la même position que le personnage. Pourtant, cette vision figée s’avère trompeuse : si l’on s’approche du ventriloque, on verra ses lèvres bouger. Cette première installation est fortement métaphorique de l’univers énigmatique et interrogateur de Muñoz : derrière ce que l’on croit voir ou connaître se dissimule une autre réalité, un danger, une étrangeté. En symétrie, et un peu plus loin, une sculpture d’un nain posé sur une colonne (l’architecture est un élément majeur dans le travail de Muñoz), nous fait face et nous domine ; le nain lui, regarde deux dessins de personnages seuls, tristes. L’inversion des positions est récurrente dans le travail de cet artiste. On quitte les figures intrigantes, pour une autre vision énigmatique : le vacillement d’un sol. Ganchos n°9 (1994) est un sol optique au dallage noble, élégant, en trompe l’œil donc. À sa vue, une sensation de chute prend le spectateur. Mais, pour se rattraper, il ne trouvera que des crochets, objets de torture. Cette mise en scène évoque Buñuel, que Muñoz admire. Dans le même ordre d’idée, First banister (1987), est une simple rampe, en apparence anodine, normale fixée au mur. Mais si la main glisse naturellement, si le spectateur ose toucher, elle rencontrera la froideur dangereuse d’une lame de couteau. Derrière l’objet banal, de soutien, se larve une univers plus retors.

Dimension figurative et minimale

Plus loin, les personnages figuratifs à l’aspect de boules et aux yeux troués, expriment la difficulté à se comprendre, racontent les relations humaines conflictuelles, l’enlisement. Les trois hommes assis sur des fauteuils sans fonds Three seated Masks on the Wall (2000), est une évocation saisissante de notre moi multiple. Dans Hanging figure (After Degas), un homme dans une position plutôt gracieuse, est suspendu par la langue jaune, prolongement de ses viscères. L’horreur flirte avec la beauté dans cette sculpture. Enfin, dans Many Times (1988) cent sculptures de Chinois, couleur grise, tous identiques, sont saisis et figés dans un rire inexplicable. Saisis comme avant ou après une catastrophe. Le spectateur passe à côté de ces personnages auxquels les pieds manquent, auxquels les mains sont peu humaines, et l’expérience est pour chacun unique. Il semble que Muñoz ait établi son propre langage, vocabulaire en dehors de toutes modes, de tous mouvements ; une démarche intègre qui révèle un univers vraiment à part.

Juan Muñoz, jusqu’au 28 mai au Musée de Grenoble

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