Joel-Peter Witkin, en chair et en os, était à la Galerie municipale l'Espace Vallès vendredi dernier. Tout sourire et disponible, le fringant photographe de bientôt 70 ans, était venu au vernissage de l'exposition qui présente ONZE de ses œuvres récentes, réalisées entre 2002 et 2006. Séverine Delrieu
Alors que le photographe new yorkais et résident à Albuquerque (Nouveau Mexique) jouit d'une reconnaissance internationale, la galerie de St Martin d'Hères s'enthousiasmait de sa présence, et le photographe, le leur rendait bien. «J'aime être ici. Je sens que cette galerie est remarquable. J'observe les gens, certains viennent me parler même si je ne parle pas le même langage. J'aime cette rencontre avec l'étranger et savoir ce que les gens emporteront chez eux». À l'Espace Vallès, c'est donc à partir de ces 11 travaux récents, que le public pourra réagir. La plupart des photographies présentées sont en noir et blanc, bien que la couleur apparaisse ici et là. Retouchés, retravaillés par diverses techniques (partie importante dans le travail de Witkin), ces clichés sont des mises en scène ayant toutes trait aux chairs et sont fortement sexuées comme le veut l'essence même du travail de Witkin. Tour à tour hommages à la peinture, allégories faites de personnages masqués, ces clichés témoignent également d'un engagement politique, plus marqué dans ces derniers travaux. Parmi les plus significatifs on peut citer Ecclesia Pederastis (2004), expression des positions de Witkin sur les récentes affaires de pédophilie qui secouent le monde chrétien d'outre-atlantique. Le rouge de la cape de l'évêque représente le sang ; sur la droite se profile un échafaudage qui fait penser à sa photo de 1994 Waiting for de Chirico in the Artist's Section of Purgatory, hommage à De Chirico. Par dessus le visage coupable et grave du prélat, de larges coups de pinceaux en défigurent les traits comme une punition divine de ses gestes monstrueux. Naturelle nuditéAutres aspects de son engagement, la composition The Americans photographed by Pierrot (2004) représente un couple d'américains moyens et “laids” -selon les mots de l'artiste-, photographiés par un pierrot lunaire au Musée Rodin. On y voit une inversion des rôles : des touristes sont photographiés par un pierrot, personnage de cabaret, censé être lui photographié. Deux cadres peints sur le négatif, font penser aux cinéma muet et attirent l'attention vers les trois personnages principaux en même temps qu'une partie plus mystérieuse se joue à leur pieds. Le tableau donne l'impression étrange d'un dialogue muet entre l'américaine et le "photographe" tandis que le mari regarde le spectateur avec humour à travers des lunettes "cul de bouteille". Cette vision n'est pas sans rappeler l'univers des surréalistes, humoristique et poétique, auquel Witkin se réfère souvent. Dans le registre plus classique, au sens où l'auteur rend hommage aux peintres de la fin du dix-neuvième, on découvre Mirror Image : Maillol/ Bonnard (2003). Dans ce diptyque, un transsexuel avant opération, nu, se coiffe devant un miroir dans l'angle d'une chambre. Cette personne est sortie de son contexte réel et Witkin la recontextualise dans un cadre d'art classique pour, au fond, faire éclater les carcans : il transcende ainsi l'œuvre de référence, et, en même temps fait émerger l'humanité de toutes singularités, de tout ce qui est hors norme. démarche inchangéeD'ailleurs, cette approche est la démarche récurrente à son travail depuis plus de 30 ans. Démarche qui n'a quasiment pas évoluée : l'artiste "perfectionniste" absolu, reste fidèle à ses préoccupations et intentions premières. «Même si mes sujets ont changé, mes motivations restent les mêmes», à savoir «expliquer le sens de la vie». Aucune intention de choquer donc : même si certaines œuvres des années 80 ou 90 ont pu déclencher des répulsions violentes, c'est bien l'humanité dans sa totale complexité, que l'artiste veut montrer à travers des images emblématiques, sortes d'icônes qui permettent une communion avec le spectateur. Et c'est grâce au recul produit par ses mises en scène mystiques, que la transcendance et le dépassement des difformités, monstruosités, handicaps, différences, est possible, tout comme le rejet face aux restes d'humains ou d'animaux, qu'utilisent aussi Witkin. «Je suis un catholique romain» aime d’ailleurs à répèter Witkin le croyant. L’homme en recherche permanente de spiritualité prône l'urgence de dépasser les préjugés, et de «donner sa chance à chaque être humain». Donc, si ses modèles sont souvent des personnes en marge que Witkin sort de leur contexte pour mettre en scène dans son univers, c'est d'abord pour en faire une photographie révélant «l'essence de ce qui nous unit» dans nos existences si particulières.Joel-Peter Witkinjusqu’au 16 décembre, à L’Espace Vallès dans le cadre du 3e Mois Américain
