Vers l'éther

Entretien / Wolfgang Laib, sensibilité et personnalité rare, est l’invité du musée de Grenoble. Ses œuvres intemporelles, épurées, belles et riches de sens, ouvrent quelque chose en soi, touchent à l’universel. Propos recueillis par Séverine Delrieu

Petit Bulletin : Lorsque l’on s’immerge dans vos propositions, un chemin, une expérience pour chacun personnelle, on retourne à soi, à ce que l’on est dans le monde, à notre condition fragile et éphémère, on revient à l’essentiel. Avec vos œuvres, souhaitez-vous délivrer des messages, exprimer une philosophie de vie, et la partager avec les autres ?
Wolfgang Laib :
Oui, c’est pour cela que je fais des expositions, pour partager avec d’autres. Mais plus que de l’art, il me semble que vous poussez à nous interroger sur notre rapport au monde, aux autres, à nous-mêmes, à ce que nous faisons dans ce monde…
D’un côté je suis modeste et d’un autre, je ne le suis pas du tout ! Je dois remonter au début. Quand j’étais enfant, j’étais très naïf. Je vivais dans un petit village, je vivais pour moi-même dans la nature et je pensais que c’était cela qui était important. Pour moi, c’était un vrai message à transmettre aux autres et le plus vite possible. Je voulais le montrer au plus grand nombre et dans le monde entier. Et j’ai pu le faire, j’ai eu des expositions dans le monde entier, avec le souhait, naïvement, de changer le monde. Depuis ma première pièce jusqu’à maintenant, ce souhait reste intact.C’est pour cela que vous avez choisi des matériaux naturels ?
J’ai étudié la médecine pendant six ans. Durant ces années d’études, j’ai pensé que certes la médecine était une science naturelle, mais qu’elle n’avait rien à voir avec notre condition, avec nos vies. Elle s’occupe du corps physique, mais la vie n’est pas seulement physique. J’ai pensé qu’il y avait des préoccupations bien plus importantes. Faire des œuvres fut ma réponse.Vous utilisez pour vos œuvres des matériaux naturels dont le pollen. Vous le collectez, puis vous “l’installez”. Les deux actions sont indispensables dans votre démarche ?
Oui, elles le sont. Depuis des années, pendant des mois, la collecte est une expérience très importante dans ma vie. Une idée totalement différente de ce qui se passe dans la journée, ou dans le mois. Il faut vraiment réaliser ce que cela peut être. C’est tout bouleverser dans notre tout, dans notre vie, dans notre travail, dans ce que l’on a fait, ce que l’on fait, dans notre corps, dans notre pensée. C’est très important, le pollen.Vous avez étudié les cultures, religions, arts, architectures, langues orientales. Il me semble que l’Inde vous touche particulièrement ?
Oui, cela rejoint ma vie personnelle. Mes parents étaient intéressés par l’art asiatique, par cette culture. Ils voyageaient beaucoup dans les pays orientaux, et particulièrement en Inde. J’ai passé beaucoup de moments de mon enfance en Inde. Nous vivions dans des villages. Mon père travaillait pour une association humanitaire, il aidait les pauvres. Cette vision de l’Inde était à l’opposée des visions des villes européennes, la vie était totalement autre. La vie dans ces villages n’a pas changé depuis des années. J’ai été intéressé par ces cultures totalement différentes des cultures européennes. Tout est différent, les espaces, ce qu’ils font, attendent, espèrent, leur manière de concevoir la vie. Je n’ai jamais voulu imiter cette culture, que ce soit l’art oriental ou africain, mais vivre sérieusement dans leur vie, s’ouvrir avec cœur à cet ailleurs. À ce titre, j’ai toujours un studio dans le Tamil Nadu.Quand vous faites l’installation Without place - Without Time -Without Boby, d’innombrables petits tas de riz que vous disposez sur le sol, dans quel état vous trouvez-vous ? Est-ce méditatif ?
Si je fais cette installation, c’est tout simplement parce que c’est très beau pour moi de la réaliser. C’est très beau à faire. Et j’aime le faire. Si c’est de la méditation, je n’en sais rien. Je pense que c’est bon de la faire et je le fais. J‘éprouve du plaisir, c’est simplement extrêmement beau.Vous évoquiez votre enfance. En plus des nombreux voyages, de vos intérêts pour les cultures orientales ou occidentales anciennes, avez-vous des peintres, des mouvements picturaux qui ont compté pour vous ?
D’abord, j’ai grandi dans une famille qui s’intéressait énormément à la peinture. J’ai étudié la médecine. Puis quand j’ai décidé de devenir artiste, j’étais totalement seul dans ce monde de l’art. Mais je ne peux absolument pas imaginer faire un art provenant d’un autre art. Les autres artistes aiment cela, se nourrir des expositions, du travail des uns et des autres, vivre dans des grandes villes pour avoir accès à la culture. Moi, non. Il me semble que si l’on fait cela, on ne sait pas ce que l’on veut faire soi. J’ai besoin d’être totalement seul, le plus seul possible, et d’acquérir la plus grande indépendance possible. Peut-être est-ce illusoire, puisqu’il y a toujours une influence. Bien sûr, je peux dire que j’aime ceci ou cela. Mais être le plus indépendant possible, vivre dans mon village, seul, c’est fondamental. Mon travail provient de mon expérience personnelle. Dès que quelque chose de nouveau se produit dans ma vie, une évolution s’en ressent dans mon travail.Comme le passage, au fil des années, d’un matériau à un autre, pierre, pollen, riz, cire…
Oui. Chaque point de changement est à mettre en regard avec ma vie. Ce que vous voyez dans cette exposition est ce que ma vie a été jusqu’à aujourd’hui.Une sorte d’autobiographie alors ?
Oui c’est ma vie, mais je crois que ce que l’on reçoit ici est universel. Je l’espère.Oui, ce que vous proposez est un retour à l’essentiel ?
L’essence, oui, c’est ce que je recherche.Without Place - Without Time - Without Body
Jusqu’au 28 sept, au Musée de Grenoble

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