«Montrer une réalité»

À 25 ans à peine, Jean-Félix Fayolle est parti 5 mois en photoreportage en Amérique Latine, à la rencontre de jeunes des quartiers populaires du Mexique, du Salvador et de la Colombie. Exposé au CRIJ jusqu’à fin mars, il revient avec nous sur les clichés qu’il a pris sur place. Propos recueillis par Damien Grimbert

Petit Bulletin : D’où est venue l’idée de ce reportage ?
Jean-Félix Fayolle : Quand je suis parti au Mexique faire ma licence, j’ai habité un peu par hasard dans un quartier populaire à St Luis. À la fin, je côtoyais les bandes de jeunes locales et j’ai bien accroché. Après je suis rentré en France et j’ai fait mon service civil volontaire avec Unis-Cités. Là, j’ai découvert comment c’était dans les quartiers français, parce qu’ayant grandi dans une ferme à la campagne je n’y connaissais rien. J’ai monté mon projet de reportage en parallèle, en me disant que ça pouvait être intéressant d’aller voir les jeunes des quartiers populaires des pays que j’allais traverser.Quel contraste as-tu constaté entre les jeunes des différents pays que tu as rencontrés ?
« Gang », c’est un mot un peu fourre-tout. Au Mexique, c’est surtout des bandes de jeunes que j’ai rencontrées, pas les plus méchants. Je me suis pas du tout frotté aux cartels, parce que là, on peut risquer gros. En revanche, au Salvador, ça s’en rapprochait plus, c’était des bandes organisées avec une hiérarchie, des chefs, qui vivaient de différentes activités : extorsion, enlèvements contre rançon, vente de drogues, tueurs à gages… Un peu de tout ! Et c’était la même chose en Colombie. À Medellin, par exemple, toute la ville est contrôlée par des groupes armés, et au moment de faire les photos avec les jeunes, ils ont sorti un gros fusil à pompe de je ne sais trop où…Tu as réussi à établir le contact facilement ?
Au Mexique je les connaissais, donc ça allait. Au Salvador, j’étais accompagné, donc je n’ai pas pu vraiment discuter avec eux… En plus, pour prendre une photo, il fallait que la personne qui m’accompagne appelle un chef en prison sur son portable pour demander l’autorisation, ensuite que le jeune appelle le chef à son tour pour savoir s’il pouvait se faire prendre en photo… C’était compliqué. J’aurais dû rester plus longtemps aussi, vivre dans le quartier, apprendre à les côtoyer… Je ne suis resté que 10 jours au Salvador, c’est beaucoup trop court. En même temps c’est assez chaud, parce que si je me rapprochais trop des jeunes d’un gang, j’étais menacé par le gang opposé, et il y avait aussi beaucoup de problèmes avec l’armée, les flics… En Colombie, j’y ai été tout seul, je leur ai présenté mon projet, montrés les photos que j’avais fait au Mexique, et ils ont dit ok.Quel constat tires-tu des rencontres que tu as effectuées ?
Ce sont tous des jeunes qui sont dans la rue, qui galèrent, souffrent parfois d’addiction, et peuvent avoir à voler ou tuer par nécessité. Ils n’ont aucun soutien de la part de l’Etat… C’est assez chaud. Certains vivent dans l’instant, ils sont en train de voler, de se défoncer le crâne, et ne voient pas plus loin. La plupart essaient de prendre du recul, ils ont la volonté de changer, de beaux rêves… Mais est-ce que ça les amène forcément plus loin ? En revanche, j’ai l’impression qu’ils prenaient comme un honneur le fait que quelqu’un d’étranger vienne leur rendre visite dans leur quartier, pour savoir un peu comment ça se passe. Je n’ai pas du tout senti la méfiance que tu peux avoir dans les quartiers français.Tu t’es mis en danger…
J’ai un peu flippé au Salvador, parce qu’entre la Mara 18 et la Mara Salvatrucha qui s’affrontent, les flics, et l’armée, il y a une corruption et une manipulation généralisées, tu ne sais jamais qui est qui, dans le centre ville de la capitale, c’est le gros bordel, il y a beaucoup de morts violentes, c’est vraiment une ambiance stressante. Mais à part ça, dans les autres pays, si je ne montrais pas que je pouvais avoir peur, ça passait.Tu t’es posé des questions de déontologie ?
Il y en a qui m’ont dit : « tu ne devrais pas prendre les gangs en photo, ça leur fait de la pub, ça les met en valeur… ». Moi en fait, j’essayais de me mettre de leur côté même si c’était des tueurs, des voleurs, des délinquants perdus dans leur vie. Pour essayer de les comprendre, de voir pourquoi est ce qu’ils font ça. Du coup, effectivement, je rentrais un peu dans leur jeu : s’ils voulaient que je les prenne en train de fumer un gros pet’, ou avec des armes, c’était ok. Donc parfois, c’est peut-être un peu exagéré parce qu’ils font la pose, sortent des flingues qu’ils n’utilisent pas au quotidien…Mais moi je trouve que c’est juste montrer une réalité qu’on évite, parce qu’on la juge négative. Mon objectif, c’était d’essayer de comprendre cette situation, pas de les juger.Rencontre avec les gangs latino-américains, de Jean-Félix Fayolle, jusqu’au vendredi 27 mars au CRIJ

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