Sacre et chouette

The unborn museum

Magasin CNAC

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Jeune artiste italien, Pietro Roccasalva offre au Magasin une exposition-déambulation constituée d’œuvres dépendantes les unes des autres. Des installations où fantaisie et inquiétude font la matière d’une assimilation très contemporaine des codes classiques de l’art. Laetitia Giry

The Unborn Museum présente les recherches artistiques nées de l’esprit de l'Italien Pietro Roccasalva pendant la dizaine d’années passée. Première rétrospective de cette envergure pour cet artiste étonnant, elle est organisée selon un principe de correspondances qui sied parfaitement à son travail. Nul ordre chronologique ou thématique ne préside ainsi à la disposition des œuvres, mais des liens internes à ces dernières, qui se suggèrent et se fondent, naissent l’une de l’autre, s’appréhendent autant seules que dans le dialogue qu’elles entretiennent. Un dialogue désarmant de simplicité, qui ouvre pourtant la voie à des strates de sens complexes…

« Rien dans mon travail ne part d’un concept ou d’un raisonnement logique mais seulement d’une vision à laquelle je me suis abandonné et que j’ai traduite en quelque chose de visible. » L’ombre du génie touché par la grâce plane sur ces mots de Roccasalva, qui ressembleraient à une provocation à la Dali s’ils n’étaient la simple déclaration d’un fait tout aussi simple : c’est l’imaginaire en perpétuelle activité de l’artiste qui semble s’exprimer sous forme de vision et motiver l’acte de créer. Lequel artiste ajoute que « le spectateur ne doit pas se forcer à comprendre ni à chercher une signification mais s’abandonner et se laisser guider par ce qu’il voit. Certes, dans un second temps, il peut approfondir s’il le souhaite, chercher  à interpréter. » Une précision appréciable à l’heure de gloire des concepts, qui introduit une œuvre méritant bien que l’on cherche du sens au-delà « de la surface du travail montré », du premier ressenti en somme.

L’œil du spectateur

Dans le jeu de redondances établi entre ses créations, Pietro Roccasalva attribue au spectateur une place éminemment active, propice à mettre en évidence le rôle de ce dernier dans la vie de l’œuvre. On trouve l’exemple le plus probant dans l’installation Jockey full of Bourbon, où un tableau percé demande à ce que l’on s’en approche pour plonger notre œil à travers lui, vers une pièce cachée dans laquelle attend une chouette maquillée de rouge, travestie en perroquet. Elle nous regarde dans un miroir semblable à celui qui se trouve derrière nous. Le tableau fait partie d’un dispositif qui nous place au cœur de l’œuvre, au centre d’une interrogation sur le pouvoir du regard.

« C’est toi qui vas voir mais tu te retrouves vu, comme si tu étais l’objet. La situation s’inverse. » Une réflexion qui se voit complétée par une citation de Lacan retranscrite sous forme de néon violet dans une autre salle : « you never look at me from the place I see you » (« tu ne me regardes jamais depuis le point duquel moi je te vois »), fameux postulat disant l’impossibilité de se mettre à la place de quiconque, l’échec absolu de la projection mais aussi les possibilités offertes par cette prise de conscience… À partir de cela, le monde peut être considéré comme le cumul des visions de chaque individu. Une phrase qui vient donc mettre en mots le processus à l’œuvre, qui n’est pas le fruit d’une intellectualisation outrancière mais un constat : le point de vue fait l’œuvre, la conclut et la révèle.

Sacrer le sacré

Une fois le rôle du regard mis à nu, la désacralisation des pleins-pouvoirs de l’œuvre relève d’une évidence. Chez Pietro Roccasalva, cette désacralisation se joue à tous niveaux, dans le fond comme dans la forme. Car s’il est un motif qui pourrait confiner au leitmotiv ici, c’est bien les représentations religieuses chrétiennes. Des peintures d’icônes réévaluées par un pinceau contemporain jusqu’aux innombrables dômes de cathédrales représentés par un presse-citron, en passant par des saints remplacés par des arbitres de foot, le blasphème est toujours plus ou moins affiché.

Le tableau du Jockey full of Bourbon évoqué plus haut représente d’ailleurs un intérieur de cathédrale, dont la fresque dessine une chouette. À propos de la présence dans plusieurs œuvres de cet être hybride (pour rappel : une chouette travestie en perroquet), l’artiste répond par une sorte de syllogisme libre, une suite d’affirmations que l’on peut lire comme un argumentaire poétique sur des liens de cause à effet : « la chouette est nocturne, le perroquet solaire ; la chouette est la vérité, le perroquet le trucage, la dissimulation ; la chouette sait mais ne parle pas, le perroquet ne sait pas mais parle ; la chouette ne peut pas se déplacer à la lumière du soleil mais son déguisement de perroquet le lui permet ; la vérité apparaît seulement à travers le déguisement, la peinture ». Partant d’un objet imaginaire, à la fois drôle et étrange, l’artiste aboutit à une assertion philosophique sur la nature de la peinture, médium principal de son travail, médium sacré et point d’ancrage classique autour duquel se greffe tout le reste…

Quand sera mort le soleil

Si la peinture occupe ici une place centrale, force est de constater qu’elle évolue dans un monde fait de bruits, de musique, de pièces dissimulées, de sculptures et de dessins. Ce déploiement de moyens tente de compenser une angoisse viscérale, une obsession pure : « la mort du soleil et la perte du centre sont les conditions préliminaires, l’élément essentiel de mon travail ». De fait, ceci est une observation scientifique, le soleil est une étoile et les étoiles ont une durée de vie – certes bien supérieure à la nôtre, mais qui dit durée de vie dit mort inéluctable. Ce principe scientifique se transforme là en pressentiment mystique et funeste que l’artiste vient combler par la réunion du spirituel et de l’organique, du corps et de l’esprit, du saint et du profane. Ainsi la lente agonie du soleil se retrouve matérialisée par un arancino géant (boule de riz frite – spécialité culinaire italienne), ainsi un crâne est peint à partir d’une boule de pain…

Ce sont paradoxalement des éléments nourriciers nous maintenant en vie qui incarnent le plus grand spectacle des vanités, la peur la plus physique qui soit. L’œuvre de Pietro Roccasalva se découvre comme l’image persistante d’un univers courant vers sa désintégration, couplée à l’idée que seul l’art peut insuffler de la vie dans la mort. Elle s’apparente à une épiphanie sans autre objet que la culture populaire, l’incrustation du blasphème dans le cadre sacré, d’une inquiétude pénétrant les éléments organiques qui viennent eux-mêmes dire la vie et sa fin à venir.

The Unborn Museum, jusqu’au 1er septembre 2013 au Magasin - CNAC

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