Pascale Cholette : «Je ne cesse d'interroger mon rapport au réel»

Over the sun

Bauhaus

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Interview / Après une exposition à la Bobine, et une nouvelle maintenant au Bauhaus, Pascale Cholette commence à creuser son sillon grenoblois dans la photographie. Entre reportages et séries hallucinées, elle cherche l’humain. Rencontre avec une photographe au regard sensible.

Vous exposez actuellement au Bauhaus bar une série intitulée Over the sun. Il s’agit d’un reportage photographique réalisé en Jordanie dans un camp de réfugiés syriens pour la fondation de l’enfance de l’UEFA. Quel était l’objectif de ce projet ?

Pascale Cholette : À cette période, je n’avais qu’un travail d’auteur à présenter. On m’a proposé cette mission et, du coup, j’y suis allée. Je n’ai eu aucune consigne, à part qu’il ne fallait pas faire de photo de foot. Ils voulaient un regard personnel, européen, sur ce qui se passait dans ce camp de réfugiés et sur la fondation.

Au début, je ne savais pas quoi photographier, j’étais complètement perdue. En plus, je travaille toujours en argentique et là, pour des raisons techniques, j’ai travaillé en numérique, ce qui n’était pas facile. Puis un travail documentaire nécessite une immersion au sein d’un sujet, alors que là je n’y suis allée que trois jours !

Pour qualifier ce travail, vous parlez donc de "portrait documentaire"...

Oui. Toutes les personnes étaient parfaitement au courant que je les photographiais. Dans le portrait, il y a cette spécificité et ce côté magique que j’aime beaucoup dans le sens où ce que la personne est, c’est aussi important que la relation qui va s’installer entre elle et moi. Et c’est ça qui va faire l’intérêt du portrait.

Comment avez-vous travaillé sur place ?

Le camp est situé à 5 kilomètres de la frontière avec la Syrie. Aujourd’hui, ça ne se passe pas mieux qu’il y a un an et demi quand j’ai fait ces photos. Mais je ne voulais pas faire quelque chose de misérabiliste. Les enfants vivent dans des conditions particulières, mais pour autant ils vivent leur vie d’enfant. Je pense que c’est compliqué pour les adultes, mais pour les plus jeunes, le quotidien est rythmé par l’école, les activités, les loisirs... La vie reprend complètement ses droits.

La résilience opère et j’ai eu l’impression que ce qui se passait ici pouvait se passer n’importe où. C’est vraiment de cet exemple de résilience dont je voulais témoigner. C’est pour ça que j’ai voulu faire des images qui étaient très exposées, qui isolent un peu les choses de leur contexte. C’était essentiel pour moi de donner une ligne directrice à mon travail.

Dans l’ensemble de vos projets, vous faites une distinction entre réel et imaginaire. Pourquoi ?

Dans mon travail, je ne cesse d’interroger mon rapport au réel. D’ailleurs je fais des photos qui sont gentiment surréalistes parce que je travaille beaucoup en surexposition, double exposition, je superpose les négatifs…

Je pense que l’objectivation est impossible en photographie. Une photo réelle n’a pas de sens, une photo imaginaire non plus. Pour moi, c’est juste un langage. Mon point de vue n’est donc pas très important ; ce qui compte, c’est ce que ça va susciter chez la personne qui regarde les photos. Comme on dit : c’est le regardeur qui fait le tableau.

Après, on n’est pas sur le même rendu plastique, mais en faisant cette dichotomie, j’ai surtout voulu que ça amène une interrogation entre réel et imaginaire.

Pourquoi travailler en argentique ?

Avec le numérique, je sais que c’est faux, mais j’ai l’impression qu’il y a une dissolution de la réalité, c’est extrêmement difficile de choisir. On a l’impression qu’il n’y a plus d’images manquantes dans la série. Alors que dans l’argentique, ce qui est intéressant, ce sont les images manquantes. Il y a vraiment un choix du moment, de l’instant.

Il y a aussi le fait d’avancer dans le noir, de ne pas voir ce qu’on a fait avant. Il y a cette tension qui monte parce qu’on poursuit son travail sans savoir ce que l’on a.

Vous jouez beaucoup avec les effets. Qu’est-ce que cela apporte ou vous permet de faire suivant la série ?

Je ne sais pas faire de Photoshop ! Je commence à m’y mettre, mais c’est poussif. Les effets sont artisanaux. Par exemple, pour la série Paysages intervalles, j’ai un négatif couleur et un négatif noir et blanc qui sont superposés dans mon scanner. Il n’y a pas de manipulation postproduction.

Pour J’attends toujours le printemps, c’est une double exposition. À la prise de vue, j’ai réarmé l’appareil et j’ai fait deux photos sur le même morceau de pellicule. La première prise vue est un prétexte pour engendrer une seconde et emprisonner une portion de pellicule à l’intérieur.

Ce qui est intéressant avec la double exposition c’est que c’est mieux que ce que je vais pouvoir imaginer et c’est plus que ce que je vais croire. C’est pour ça que je suis attachée à l’argentique, car le résultat est toujours au-delà de mon imagination, les choses me dépassent. Ça crée des assonances, des récurrences, des choses qui me parlent.

Comment élaborez-vous une série ?

C’est toujours littéraire, enfin très souvent. Je n’ai pas une super culture photographique, je ne suis pas quelqu’un d’inspiré par le travail d’autres photographes. J’admire énormément de gens, j’aime beaucoup de choses mais par contre c’est toujours quelque chose d’intérieur et qui est lié à la littérature.

Dans la majorité de vos séries, l’humain est présent. Est-ce qu’il est à la genèse de votre démarche artistique ?

En quelque sorte. Ce qui m’intéresse, c’est cette relation qui s’établit avec les gens. La photographie m’a permis de m’extérioriser, je suis quelqu’un de très timide à la base.

Par exemple, le travail que j’ai fait avec les Roms m’a permis de découvrir des gens, une culture, d’avoir une utilité sociale. Je trouve ça important. Cette exposition, que j’ai faite à la Bobine avec un ami [Thibault Lefebure], a été l’occasion de vendre des photos. Avec les sous, on a fait une soirée pour les gens de communauté. Ils sont tous venus à la Bobine en famille, il y avait un groupe de musique, les gens se sont mélangés. C’est important, même nécessaire, pour luter contre les clichés.

Et du coup, pour cette série Réfugiés, d’ici, comment avez-vous travaillé ?

Le camp était à côté du Carrefour à Échirolles. Il y avait 300 personnes qui y habitaient. À cet endroit, il y a peut-être 50 000 voitures qui passent tous les jours, qui regardent, mais personne ne s’arrête. Quand on est à l’intérieur du camp, c’est assez étrange.

Du coup je ne voulais pas faire des photos de loin, je voulais faire du portrait documentaire. Mais ça dépend de ce qu’ils ont envie de me donner, de me montrer. Par exemple, il y a une photo d’une jeune fille, elle se met clairement en scène, elle se montre telle qu’elle a envie.

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