Daniel Dezeuze : « Il faut garder du mystère dans toute oeuvre »

Daniel Dezeuze, une rétrospective

Musée de Grenoble

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Exposition / La nouvelle exposition du Musée de Grenoble, qui ouvre ses portes samedi 28 octobre, met à l’honneur le Français Daniel Dezeuze en balayant 50 ans de création, de ses premières œuvres aux plus récentes en passant par les explorations au sein du groupe Supports/Surfaces et son abondante production graphique. Artiste majeur de la scène contemporaine, il nous donne rendez-vous au cœur d’une poétique insaisissable où l’art est synonyme de légèreté. Rencontre avec un peintre de l’espace et visite guidée en amont de cette rétrospective.

La rétrospective que vous consacre le Musée de Grenoble couvre 50 ans d’une création polymorphe. Comment avez-vous travaillé pour rendre compte, avec cohérence, de la pluralité de votre dessein artistique ?

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Daniel Dezeuze : On suit un mouvement chronologique à partir de 1967 jusqu’à 2017. 50 ans de travail, c’est une trajectoire d’endurance, surtout quand on n’est pas enfermé dans un seul style, dans la répétition, comme le sont souvent les peintres de ma génération. Ça suppose qu’on passe par des moments qui sont d’une autre essence.

Cependant, il y a des constantes comme "l’ajoure", ce qui donne de la cohérence. Il y en a beaucoup dans les surfaces traitées, ce qui suppose un jeu vertical avec le mur. L’accrochage doit donc se faire sur des murs blancs pour que "l’ajoure" puisse prendre toute sa force.

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Le parcours s’ouvre avec des œuvres qui s’appliquent à déconstruire les éléments constitutifs d’un tableau : le châssis, la toile, la couleur. Une quête qui ponctue votre carrière, entre peinture et sculpture. Quelle est la genèse plastique et théorique de cette déconstruction artistique ?

Une envie de déblayer, de faire un peu le ménage de façon à pouvoir installer des nouveaux meubles. Il y a l’idée non pas de détruire pour détruire, mais bien de faire le ménage pour construire quelque chose de neuf, dans un autre sens.

Est-ce que j’y suis arrivé ? Je ne sais pas mais ma volonté n’est pas anti-art, c’est une façon de chercher une nouvelle voie pour l’art et, surtout, pour ma pratique personnelle. Je pense qu’à un certain moment de sa vie, on est obligé de faire un peu table rase de certaines choses pour pouvoir affirmer ce que l’on souhaite de sa personnalité, de sa pratique et de sa conception de l’art, de son utopie même.

À la fin des années 1970, vous participez au fondement du groupe Supports/Surfaces qui prolonge cette analyse de la picturalité, et que l’on découvre dans la seconde salle. Quel était le postulat à ce moment-là ?

C’est très simple : qu’est-ce qu’un tableau ? Qu’est-ce que ça veut dire dans notre culture, dans notre civilisation ? Et comment un tableau peut prendre plusieurs formes ? J’ai donc travaillé sur l’idée d’un tableau mais avec une dimension sculpturale, c’est-à-dire non seulement en 2D mais aussi en 3D.

J’ai fait un effort dans ce sens et d’ailleurs on m’a "traité" de théoricien ! C’était tout même l’époque de l’art conceptuel, dans toutes les disciplines il y avait un retour théorique sur les bases de ces disciplines, sur les sciences humaines. Un retour critique sur ce que l’on pouvait faire non pas pour ne plus rien faire, mais bien pour essayer de faire des choses dans un nouveau sens. Ça participait d’un avenir, je dirais même que ça a souvent pris des formes utopiques que nous ne connaissons plus du tout maintenant.

Les années 1970 sont très marquées avec la césure de mai 68 où l’on a vu une floraison de spéculations, d’utopies et de remises en cause. Et c’est dans ce contexte qu’est apparu le groupe Supports/Surfaces.

Dans les années 1980, vous vous consacrez à des ensembles qui font évoluer vos recherches : les Portes et les Armes. Vous introduisez des objets de récupération pour une démarche artisanale. À force de déconstruction, est-ce qu’un besoin de toucher à l’essence même de la matière a surgi ?

Oui. Je crois que, peut-être, les années 1970 ont été des années intellectuelles, et par la suite il y a eu un retour à une pratique un peu plus manuelle de l’art. Fabriquer une arme, c’était l’affirmation de la main et d’une pratique artisanale de ce que peut être l’art. Mais c’est aussi une manière de mettre une distance ironique car l’arme ne marche pas. Souvent, elles sont même presque comiques, voire caricaturales. Néanmoins, il y a cette idée de faire une arme. C’est le début de la sculpture pour les premiers hommes.

Pour les portes, c’est un peu différent. J’ai fait ce travail comme si je travaillais un tableau. J’ai découvert des portes de récupération et je me suis aperçu qu’elles avaient des constitutions différentes : la porte d’entrée était un agglomérat, tandis que les portes d’intérieur étaient souvent en carton alvéolé derrière une surface plane. Ça demandait un traitement spécifique, différentes expérimentations. Ces portes mal traitées, je ne saurais pas dire leur symbolique. J’essaie de me rappeler de cette époque où je faisais des portes brûlées, rabotées... J’avoue que je ne me souviens plus très bien mais je pense que j’étais un peu en colère, en colère de voir les choses mal évoluer.

Une colère qui s’est muée, par la suite, en création plus apaisée avec les objets de cueillette, des éléments prosaïques qui tiennent presque de l’archéologie. Après la colère, est-ce qu’il y a eu une volonté de retour à la nature ?

Oui, un retour à l’innocence de la nature. Une sorte de simplicité dans la relation entre l’homme et la nature.

La nature est très présente dans votre production graphique, dont la fin de l’exposition dévoile une large sélection. Les dessins apparaissent en contrepoint de vos sculptures et peintures, très aériens, plus légers et comme débarrassés de toute théorie. Pourtant, les deux pans plastiques ne sont pas sans lien…

Au début de l’interview on parlait de "l’ajoure" comme fil rouge, mais je me demande si toute ma vie je n’ai pas essayé de dessiner et de peindre l’air. Beaucoup d’artistes ont peint l’eau ou la terre, moi ça serait l’air, insaisissable. Un courant d’air, ça ne peut pas s’attraper. Peut-être que, finalement, le fil rouge de mon travail, c’est quelque chose qui est de l’ordre de l’insaisissable. C’est une hypothèse.

Cette recherche de légèreté dans le dessin, est-ce qu’elle vient de la Chine, pays dans lequel vous avez séjourné et qui vous a marqué ?

Les Chinois sont des grands calligraphes et la tradition de la calligraphie amène au dessin et à la peinture. C’est le même mouvement du pinceau, c’est une prolongation. Il s’agit d’une civilisation basée sur l’inscription du corps par des médiums très simples comme le pinceau et l’encre de Chine, avec légèreté. Je me suis trouvé des atomes crochus avec cette civilisation, faite d’artistes plasticiens depuis des siècles.

Ça m’a interpelé d’une manière puissante et passionnée. Est-ce que j’en ai retiré quelque chose personnellement ? Mon goût du dessin et l’idée peut-être qu’une société peut prendre un chemin ou un autre, qu’il y a une sorte de relativisme dans l’humanité, qu’il y a des cultures variées.

À partir des années 2010, des blasons et des boucliers apparaissent dans votre peinture. On est rattachés au passé par l’esthétique médiévale et la conquête. Qu’est-ce qui se cache derrière ces symboles ? Qu’est-ce que traduit cette nouvelle quête plastique ?

L’artiste n’est pas condamné à traiter de l’actualité, il peut très bien traiter de l’histoire, même lointaine. Je ne vois pas pourquoi il s’interdirait certaine époque, je me suis donc donné la liberté de traiter le Moyen Âge. Je ne suis pas un historien mais j’y ai vu le prétexte, en faisant des blasons et des boucliers, de trouver une veine plastique de couleur, de mouvement, de symbolique.

Le bouclier vient compléter les armes, tandis que le blason touche à l’héraldique. Mais c’est une héraldique purement personnelle qui ne se réfère pas à une dynastie ou à une tribu.

Dernièrement, votre recherche picturale s’est transformée en tableau valise. Est-ce qu’on peut parler de synthèse ?

Je ne sais pas. Les valises sont très aériennes, c’est un rêve de légèreté et d’air, encore une fois. Mais je pense qu’il faut garder du mystère, dans toute œuvre. Les valises, je ne saurais pas dire si elles arrivent ou si elles partent, c’est à vous de le sentir…

Depuis cinq décennies, vous vous appliquez à « alléger la peinture », si bien théoriquement que plastiquement. Depuis le début du XXIe siècle, surtout chez la jeune génération, on observe une résurgence de l’œuvre picturale figurative. Comment expliquer ce regain pour la peinture, à l’opposé de l’économie de moyen que vous pratiquez ?

Mon père était peintre figuratif, j’ai été obligé, pour trouver mon propre chemin, d’ouvrir d’autres voies, d’autres solutions, d’autres problématiques. Mais je comprends très bien qu’il y a un mouvement de balance, et que maintenant de jeunes peintres s’intéressent à la figuration.

Moi-même je l’ai pratiquée quand j’étais jeune, et si on me donnait la possibilité de faire une rétrospective pour les 50 ans qui viennent, peut-être que je serais figuratif. C’est ce qu’on appelle une utopie.

Daniel Dezeuze, une rétrospective
Au Musée de Grenoble jusqu’au dimanche 28 janvier 2018

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