Chacun son tour

Photo / De 1994 à 2008, le photographe Michel Gasarian a réalisé un singulier portrait du public du Tour de France lors de son passage dans les Alpes. À découvrir actuellement, dans le parc du château de Vizille.

TTeintés d’humour et de poésie, les clichés de Michel Gasarian portent en eux une véritable réflexion sur le traitement médiatique des événements. Amateur de sports, le photographe a toujours porté un regard curieux à l’égard de la vie sociale et culturelle qui gravite autour du monde sportif : « J’adore la ferveur qui anime les gens et le désir qu’ils ont de se rassembler. » C’est ainsi qu’il débuta, en 1994, sans avoir initialement l’idée d’en faire un projet conséquent, une série d’images consacrées aux spectateurs du Tour de France. À l’inverse du photo-journaliste en quête d’une image spectaculaire de l’exploit sportif (qui, il faut bien le reconnaître, est souvent très photogénique), Michel Gasarian se tourne vers l’anodin, le banal, voire le trivial : les spectateurs de l’événement. Alors que, comme il l’explique, « la ligne d’arrivée focalise toute l’attention », lui se livre dans cette série à une sorte d’observation ethnologique de la population diverse que rassemble cette médiatico-mythique traversée de renommée internationale de notre territoire (et de nos belles montagnes, donc). On y voit des groupes de gens qui déploient tout un arsenal de matériel destiné à rendre confortable (supportable ?) leur attente (souvent longue) du passage des coureurs du Tour. « C’est un théâtre à ciel ouvert. Il y a toute une mise en scène, involontaire mais bien réelle », nous raconte Michel Gasarian. Une mise en scène qui prend place dans un décor naturel somptueux que les spectateurs photographiés semblent ignorer, tant leur attention est pleinement consacrée à l’arrivée prochaine des coureurs.

Détails croustillants

Chacune de ces petites saynètes permet au spectateur de se délecter de détails que Michel Gasarian, dans un savant travail de cadrage et de composition, parvient à mettre en exergue. Des coureurs amateurs, maillots à pois rouges et logos de supermarché sur le dossard, semblent livrés à eux-mêmes, désœuvrés dans un espace naturel magnifique ; des parasols aux motifs improbables sont péniblement déployés pour se protéger d’une possible intempérie ; vautré dans des herbes hautes, à l’ombre d’un buisson, un cycliste amateur lit un journal qui titre « Coup de frais », tandis que sur un autre cliché, un homme assis, dans la position exacte du Penseur de Rodin, semble égaré au sommet du mont Ventoux… Des situations souvent cocasses qui évoquent l’univers doucement burlesque et poétique de Tati auquel Michel Gasarian rend hommage en détournant le titre du film Jour de fête. Tout un tas de détails croustillants que le photographe a relevés au cours de quatorze années passées à observer ces spectateurs qui font en somme ce à quoi lui-même consacre l’essentiel de son temps : regarder et surtout … attendre ! « Ces spectateurs, c’est nous (les photographes) sur le bord du Tour. Finalement, on se ressemble assez ! », renchérit Michel Gasarian.

Rétro-pédalage

Par ailleurs, produits entre 1994 et 2008, les clichés de Michel Gasarian portent en eux la mémoire d’une époque où notre rapport aux événements et à la vie sociale était tout autre. Prises à la charnière de deux siècles (millénaires, même !), ces images témoignent de la manière dont, il n’y a pas si longtemps, la spontanéité d’un rassemblement ne générait pas nécessairement une surenchère d’hystérie sécuritaire et où surtout, nous étions pleinement à ce que nous vivions. En effet, dans ces images, pas de téléphonie mobile, ni d’hyper-connectivité, encore moins d’information en continu. Les spectateurs sont entièrement à ce qu’ils font, même lorsqu’il s’agit de ne rien faire, car ce moment d’expectative et d’incertitude, à la limite de l’ennui, participe du plaisir qu’ils ont à assister à l’événement Tour de France. À méditer.

« Tour de fête » de Michel Gasarian
Au domaine de Vizille jusqu’au 4 novembre

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