Eve couche-toi ?

Depuis sa création en 2003, l’Espace vie étudiante (Eve) est géré par une association d’étudiants. Mais les universités grenobloises envisagent aujourd’hui de remettre en cause cette délégation de service public, pour reprendre la main sur le bâtiment. Ce qui ne plaît pas, mais alors pas du tout, aux principaux intéressés. État des lieux pour comprendre tous les enjeux. AM

Au cœur du campus, un lieu atypique déborde d’énergies, proposant un bar, des activités culturelles, des services pratiques… Cet eldorado, c’est Eve, doux acronyme féminin pour Espace vie étudiante. Olivier Royer, son directeur depuis le début, retrace l’historique avec nous. « C’est un projet qui remonte au milieu des années 90, au moment où Jospin est ministre de l’éducation nationale. Il constate un problème de locaux dans les universités du fait du passage de un à deux millions d’étudiants. Il met donc massivement de l’argent dans la construction de bâtiments, avec une petite somme allouée pour la réalisation de maisons des étudiants. C’est à ce moment-là qu’à Grenoble, un collectif d’associations – Les Rêveurs – se crée, pour travailler en relation avec les autorités universitaires afin d’imaginer ce que pourrait être cette maison des étudiants. » Rapidement, l’idée suscite l’intérêt des collectivités territoriales, et fin 2002, on arrive à l’édification d’un bâtiment de 900 m2, dédié dans la forme à la vie étudiante… mais dont personne ne sait encore réellement à quoi il va servir. « Les universités décident alors de partir sur un modèle de gestion de type délégation de service public. Elles choisissent l’association Eve [un regroupement de différents membres d’associations qui va rapidement s’appeler Éponyme pour éviter la confusion – NdlR], qui rentre dans les murs en avril 2004, pour gérer l’outil de manière globale : à savoir des ressources humaines aux contrats d’entretien, en passant par l’animation, les commandes du café…» Trois salariés sont recrutés : une responsable de la pépinière des associations, un comptable aux commandes des activités commerciales, et un directeur qui s’occupe de la coordination des services (Olivier Royer lui-même).

The place to be

C’est un succès. Eve se développe rapidement, avec le soutien des facs. Le lieu, très convivial avec sa grande terrasse et son agora centrale, rend possible un véritable espace de vie et de rencontres sur le campus. De plus, Eve met en place de nombreux services pour faciliter la vie des étudiants : des guichets de la préfecture pour les étudiants étrangers, une assistance informatique pour tous… Et, surtout, les associations présentes s’occupent de la programmation culturelle, très riche et fournie compte tenu de la polyvalence de la structure qui permet aussi bien de faire de la musique, du théâtre, des conférences, du cinéma… « Tout se passe bien jusqu’en 2008. À cette date, il y a des changements dans les équipes présidentielles des universités, avec des modifications de vision : les nouvelles équipes ne voient plus la vie étudiante comme un élément important dans la construction du parcours et de la future intégration professionnelle des étudiants. » 2008 correspond aussi à l’année du renouvellement de la délégation de service public, renouvellement que l’association Éponyme obtient. « Mais un audit externe montre qu’Eve est sous-financé par les facs : ça coûte réellement 80 000 euros de frais de fonctionnement, alors que ça avait été évalué à 40 000 euros. » Éponyme se bat pour une rallonge budgétaire, invoquant un développement massif de ses activités au regard de la première DSP. « Les facs décident finalement de nous donner un peu plus – 3, 25 euros par étudiants, contre 3 précédemment. Ça ne suffit absolument pas, et c’est l’audit qu’elles ont elles-mêmes commandé qui le dit ! »

« Insupportable »

Les relations se détériorent donc selon Olivier Royer, « les universités se désintéressant de plus en plus d’Eve. » On en arrive à la situation actuelle, où la délégation de service publique va arriver à son terme en février 2012 (suite à une prolongation temporaire de six mois). « En mars dernier, le Pres [le Pôle de recherche et d’enseignement supérieur de Grenoble, regroupant les différentes universités en une même entité – NdlR] nous avertit que nous devons effectuer un bilan de nos activités sur les trois dernières années. Un audit est fait, arrivant à la conclusion qu’il n’y a pas de faute de gestion majeure qui remettrait en cause la gestion étudiante. » Pourtant, le Pres réfléchit à un autre avenir pour le bâtiment, remettant en cause la DSP accordée à Éponyme. « Les associations utilisatrices sont en train de se mobiliser. Au Pres, ils nous expliquent que les présidents des universités leur ont demandé de réfléchir à une organisation où une partie du personnel serait gérée par le Pres, et l’activité commerciale par un opérateur extérieur – eux souhaitant que ce soit le Crous. Dans cette nouvelle configuration, les associations étudiantes n’auraient encore la main que sur la programmation. » Olivier conclut : « C’est déposséder les étudiants d’un projet qu’ils ont construit de leurs mains. La mobilisation est en train de monter là-dessus, car c’est insupportable. Les collectivités territoriales – et notamment la Métro – vont sans doute monter au créneau car elles ne sont pas du tout d’accord pour que les universités remettent en cause de cette manière-là la gestion étudiante. »

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