Quand les étudiants passent l'épreuve du trottoir

« Pute », « traînée », « esclave » : les connotations ne manquent pas pour désigner le fait de se prostituer. Pourtant, cette profession revêt de multiples aspects et problématiques, à tel point que de plus en plus de jeunes, étudiants le plus souvent, décident d’en faire leur gagne-pain. Orlando Fernandes

Marla a 22 ans. Elle a passé quelques années à Sciences Po Grenoble, et puis non au final, elle ne sera pas journaliste ou avocate. Sa came à elle, c’est la rue, le trottoir. La prostitution, c’est son choix depuis deux ans, pas un acte lié à une situation insoutenable au quotidien. D'une voix confiante et joviale, Marla parle sans tabou et ne s’époumone pas lorsqu’une toux gutturale vient ciseler ses propos poignants et assurés. Membre du Strass (syndicat du travail sexuel), elle officie désormais en tant qu’escort, via Internet, et non plus dans un bar en tant que travailleuse du sexe.

La prostitution étudiante n’est ni un phénomène, ni une nouveauté. Difficile à chiffrer, elle toucherait 2 % des étudiants selon une étude menée par l’Amicale du Nid de Montpellier auprès de 651 étudiants. Leur motivation ? Payer les études, manger convenablement ou, plus simplement, profiter de la vie, comme tous les jeunes de leur âge. Certains y viennent pour mettre un terme à une situation économique contraignante, d’autres par curiosité. Pour Marla, rien de tout ça : «  À Sciences Po, je devais faire un travail d’étude sociologique sur la prostitution étudiante et comme je ne trouvais pas de témoignage, et bien je l’ai fait moi-même. Au final, au lieu d’un mois, j’y suis resté un an. Et j’ai eu 16/20. ». Une légère appréhension au départ, mais « les filles » l’ont vite mise en confiance, grâce à des conseils pour pratiquer la prostitution dans un bar américain. Elle a abandonné ses études et vit de son activité, couplée à des rôles dans des films pornographiques. Et gagne « suffisamment pour arrêter lorsqu’elle n’en a plus besoin ». Lucratif.

Considérées comme « la dernière merde de la société »

Des filles comme Marla, Agnès en croise tous les jours. Chef du service à l’association l’Amicale du Nid de Grenoble (créée en 1974), elle accompagne depuis deux ans toute personne confrontée à des situations ou aux risques de prostitution. « Ce n’est pas toujours facile pour les femmes qu’on aide de parler car elles sont parfois sous le joug de réseaux de proxénètes », explique-t-elle. « La précarité économique les amène là, parfois des réseaux de passeurs. C’est la contrainte qui les prostitue, elles n’y vont pas pour le cul ». Dans ce qu’elle définit comme un « rapport marchand pour un rapport sexuel dans un rapport de domination au genre, y compris pour la prostitution masculine », Agnès n’en peut plus que les « putes » soient considérées comme « la dernière merde de la société » : « C’est paradoxal car la prostitution n’a pas de cadre légal en France, c’est un décret qui règle tout cela, sinon c’est la jurisprudence qui fait foi. La prostitution n’est pas considérée comme travail mais il leur est demandé de déclarer leurs ressources et de payer la Sécu », souligne cette éducatrice. 

Si se faire payer pour assouvir le désir ou le fantasme d’un client est plus visible dans la société et dans l’espace public, le fait que des jeunes y ont recours inquiète. À commencer par les proches : « Mes amis le vivent bien mais pour mes parents, c’est très difficile. Beaucoup de gens estiment qu’il s’agit de vendre son corps, ce qui est péjoratif et faux, alors pour des parents…», confie Marla. Pourtant, ces derniers n’ont jamais refusé de lui donner de l’argent, pour ses études ou loisirs. Désireuse d’être « indépendante » elle ne veut plus d’aide financière parentale.

Les clients ? « Des hommes mariés, des vieux, des handicapés »

Héberger des prostituées demeure strictement prohibé par la loi. Pourtant, de nombreux bars américains à Grenoble pratiquent le proxénétisme sans tracas. Deux d’entre eux ont été assignés en justice pour pareille activité en 2010. Le client arrive au bar, se voit proposer une furtive discussion avec une prostituée, puis direction le salon à l’étage pour une partie de plaisir et une bouteille de champagne (très) onéreuse. « Dans le bar où je bossais, je n’ai jamais eu de problème mais je connais un lieu où le patron touchait les filles ». Face à un tel cas, l’action des organismes et des associations demeure essentielle : « Je reçois des jeunes étudiants, surtout des filles, qui sont contraints à se prostituer. C’est quand même incroyable que les médias les visent sans scrupule alors que les clients ne sont jamais inquiétés », affirme Anne, conseillère conjugale au Planning familial. « Ce sont des réseaux internationaux tentaculaires très difficiles à démanteler. Le phénomène est aussi lié à l’immigration, y compris à Grenoble, où des femmes venues d’Afrique sont poussées à se prostituer », ajoute Agnès de l’Amicale du Nid qui agit sur le terrain et va à la rencontre de ces victimes. La prostitution concerne aussi, bien que minoritaires, les garçons, de plus en plus jeunes, proposant leurs services à des hommes souvent mariés mais « pas pédé, juste une fois ou deux ».

Alors, qui sont ces hommes qui s’emploient à prendre du bon temps en échange d’une rémunération ? En ce qui concerne Marla, « la majorité d’entre eux a entre 40 et 55 ans. Souvent des hommes mariés, qui ont des fantasmes inavouables par peur de casser leur image de patriarche. Il y a aussi des personnes handicapées, des clients qui font appel à moi quand ils n’ont pas d’autres moyens de prendre leur pied. » Position inextricable ou parenthèse dans une vie ? Certaines tombent enceintes suite à un acte non consenti ou à un viol. D’autres s’en sortent, considérant la prostitution comme une étape et non une fin en soi. Et Marla ? « Je me vois faire ça encore quelques années parce que j’adore ça. Ensuite, pourquoi pas travailler dans le milieu associatif pour aider les gens ? ». Il faudra encore un peu de temps pour faire disparaître le plus vieux métier du monde.

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