Cécile Bonthonneau (H/F Rhône-Alpes) : « Le secteur culturel n'est pas avant-gardiste »

En 2008, H/F Rhône-Alpes voyait le jour pour pointer du doigt les inégalités entre hommes et femmes dans les milieux de l’art et de la culture, et en particulier dans le domaine du spectacle vivant. Un travail colossal, tant le secteur culturel est loin d’être aussi progressiste qu’on le pense. Cette semaine, l’association organise un événement à la Bastille pour lancer la Saison 2 Égalité homme-femme dans les arts et la culture. Rencontre avec Cécile Bonthonneau, membre de l’antenne iséroise d’H/F, qui analyse notamment ces enjeux sous le prisme des études de genre.

Ce mercredi 17 octobre aura lieu le lancement à Grenoble de la Saison 2 Égalité homme-femme dans les arts et la culture...
Cécile Bonthonneau : La Saison égalité homme-femme est l’une des actions portées par H/F, qui consiste à proposer aux responsables d’équipes culturelles de s’engager vers l’égalité. Ce qui ne veut pas dire que l’on demande des quotas. C’est plutôt l’envie de regarder ce qu’il se passe dans nos structures au niveau artistique, mais aussi à l’intérieur des équipes, et constater comment les rôles se répartissent.

En mai 2006, un rapport mettait clairement en lumière le problème...
Le démarrage de l’association H/F, c’est le rapport de Reine Prat commandé par le Ministère de la culture. Un rapport qui a livré des chiffres tout à fait édifiants : 85% des textes que nous entendons sur nos scènes sont écrits par des hommes, 84% des théâtres cofinancés par l’État sont dirigés par des hommes, 78% des spectacles que nous voyons sont créés par des hommes... On s’est alors rendu compte que le secteur culturel, contrairement à ce que l’on peut imaginer, n’est pas du tout avant-gardiste. Il est même plutôt en retard par rapport à d’autres secteurs...

D’autres secteurs comme l’armée par exemple...
Oui, l’armée intègre plus facilement des femmes, parce que c’est l’armée ! Les critères de recrutement sont extrêmement clairs et définis pour accéder à une fonction. Alors que dans la culture, on est sur des notions beaucoup plus floues : le talent, la personnalité... Dans ce flou, les stéréotypes s’immiscent facilement.

Des stéréotypes comme le fait que les femmes ne seraient pas faites pour le pouvoir...
Cela est dû à la représentation collective qu’on a de quelqu’un qui a le pouvoir. En général, c’est un homme blanc de 50 ans ! On ne s’en rend pas compte, mais chacun de nous trimballe tout un tas de stéréotypes de genre, qui font qu’au moment du recrutement, il y a l’apparence de la compétence qui rentre en jeu. C’est quelque chose que l’on retrouve aussi beaucoup dans le phénomène de discrimination "raciale" – je le mets entre guillemets bien sûr, car il n’y a pas de race. Quelqu’un issu d’Afrique du Nord, même si c’est la troisième ou quatrième génération, dans l’inconscient collectif, ce n’est pas la figure de la compétence. Ce sont des choses très vicieuses. Il est très difficile de lutter contre dans la mesure où ça ne se voit pas, que personne ne va dire ouvertement que les femmes ne sont pas compétentes, ou que les femmes sont de moins bonnes artistes.

Vous analysez ce phénomène à travers la question du genre (un concept qui remet en cause l'idée de différences "naturelles" entre hommes et femmes, liées au sexe biologique, ces différences servant selon ce courant de pensée à justifier des inégalités)...
Il y a un master de sociologie à l’université Lyon II qui s’est créé autour de ces questions de genre. En France, c’est assez peu répandu, mais c’est très développé en Belgique, au Canada ou aux États-Unis. Il s’agit donc de comprendre comment cette chose-là se fabrique, essayer de déconstruire ces stéréotypes pour laisser plus de marge de manœuvre aux hommes comme aux femmes. Car si les femmes sont assignées à des rôles, les hommes le sont aussi. Par exemple, un garçon qui choisit de faire de la danse va rencontrer pas mal d’obstacles de l’ordre de la remise en cause de sa virilité. Et une femme qui choisit le pouvoir est constamment remise en cause dans sa féminité. C’est assez absurde, mais c’est une réalité.

Comment l’expliquez-vous ?
C’est un jeu assez complexe, avec un certain nombre de critères qui indirectement vont freiner les femmes. Dans le secteur culturel notamment, il y a une dimension à laquelle on ne pense pas forcément, qui est pourtant très importante : le fait que ce sont des métiers extrêmement prenants et chronophages. Une carrière d’artiste ou une carrière de direction dans le milieu culturel demande d’être disponible. Ce qui pour une femme est un problème dans le sens où elle peut difficilement imaginer avoir un homme au foyer, pour s’occuper des enfants par exemple. Ça existe évidemment, mais pour l’instant, ce n’est pas encore ça. Les femmes anticipent donc inconsciemment un certain nombre de problèmes à venir. Elles vont alors moins se projeter que les hommes.

Que pensez-vous des théories qui assurent que les femmes pourraient exercer le pouvoir de manière différente des hommes ?
Il y a un danger à dire que l’on est complémentaires et que les femmes seraient plus dans la conciliation, ou auraient plus d’intuition. Même si ce n’est pas forcément faux puisque l’on est tellement élevées différemment que l’on va développer des qualités différentes...

Ces qualités que l’on prête à tel ou tel sexe seraient des constructions sociales ?
Pour beaucoup, oui. Par exemple, la scientifique Catherine Vidal a fait tout un travail sur le cerveau. Elle a montré que le facteur sexe n’est pas très éclairant sur les différences de cerveau entre les individus. Alors que c’est un argument qui est souvent employé dans le secteur de l’entreprise pour expliquer que ça va être rentable de promouvoir des femmes. Personnellement, mais je sais qu’il y a d’autres avis sur la question, je ne pense pas qu’il y ait de différences fondamentales entre hommes et femmes là-dessus, si ce n’est celles qui sont issues d’une construction bien solide.

Comment voyez-vous évoluer ces questions ?
Formellement, on est quand même arrivés à une égalité juridique. Mais dans les faits, ça ne suit pas. Certes, aujourd’hui, il y a un contexte favorable avec la création du Ministère des droits des femmes. C’est un symbole dans la mesure où il n’y en avait plus depuis 1986. On peut donc imaginer que ça va se concrétiser dans les actes, même si l’on a besoin de moyens, qui pour l’instant sont absents.

Définissez-vous votre approche à H/F comme une approche féministe ?
Le féminisme, c’est un peu un gros mot qui fait peur ! Car on est face à une diabolisation des mouvements féministes des années 70. Une diabolisation que je trouve déplacée puisque aujourd’hui, on est quand même assis sur les acquis de ce mouvement, notamment au niveau de la contraception qui profite aux femmes comme aux hommes. Donc, pour répondre à votre question, si promouvoir l’égalité est un travail féministe, alors oui, on est féministes !

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