L'amer à boire

Après avoir marqué la scène drum’n’bass anglaise de son indélébile marque mélancolique avec Third Eye Foundation, Matt Elliott dispense désormais ses compositions écorchées au travers d’albums tous plus excellents les uns que les autres. Interview à l’occasion de son passage à la Bobine. Propos recueillis par François Cau

Peux-tu évoquer tes premières expériences musicales, avec AMP, Movietone et Flying Saucer Attack ?
Matt Elliott : On était tout simplement une bande à traîner chez les mêmes disquaires, à s’échanger des sons, puis tout naturellement, on s’est mis à faire de la musique ensemble peu de temps après. C’était très focalisé sur la guitare, dans la lignée de Slowdive.

Par la suite avec Third Eye Foundation, tu t’es attaché à amener la drum’n’bass dans des territoires inédits…
J’avais beau être dans plusieurs groupes, je restais frustré de ne jouer que les compositions des autres, je voulais explorer mes propres envies. Au même moment, il y avait ce nouveau son qui s’est répandu à une vitesse phénoménale, il suffisait de descendre dans la rue et on entendait de la drum’n’bass qui sortait des voitures, les gens se sont mis à jouer ça de partout. Je me suis demandé ce que c’était que ce bordel, je trouvais que c’était un aboutissement intéressant de la musique électronique. Et parallèlement, il y avait un renouvellement de la scène rock avec des groupes comme My Bloody Valentine. J’ai voulu mélanger ces deux sons qui étaient les plus intéressants à l’époque, de mon point de vue.

Puis brusquement, tu quittes le label Domino Records et changes complètement de style.
Je suis resté pas mal d’années chez Domino, et je voulais voir comment fonctionnaient les autres labels, je voulais surtout partir à la recherche de sons inédits qui me trottaient dans la tête. J’ai entendu que les choses bougeaient pas mal en France, ça m’a poussé à venir m’y installer. Je ne regrette pas du tout de l’avoir fait, ça m’a permis d’arriver à une forme d’achèvement personnel que j’ai toujours recherché artistiquement.

C’est à cette période que tu explores tes affinités avec la musique balkanique.
En fait je m’étais enferré dans le système pentatonique [l’une des échelles musicales les plus communes- NdlR] et j’ai passé un temps fou à m’en détacher. Je me suis donc intéressé à toutes les musiques du monde qui se basent sur d’autres échelles – les sonorités indiennes, égyptiennes, et balkaniques, dont je me sens particulièrement proche.

Autre grand changement, tu intègres ta voix aux compositions signées Matt Elliott.
Pour l’album The Mess we Made, je ne voulais plus de sons bidouillés par ordinateur, ça commençait à me saouler. Ça a créé un vide que j’ai décidé de combler avec ma voix, puisque tout ce que j’avais essayé ne collait pas. Je me suis fait violence pour apprendre à chanter, et à retranscrire vocalement la douleur que je voulais exprimer.

À travers tes morceaux, tant au niveau de la musique que des paroles, et des textes que tu rédiges sur ton blog, tu sembles entretenir un rapport très paradoxal avec la religion.
J’ai eu une éducation religieuse, et j’ai vite été amené à me dire que c’était des conneries. Je ne suis pas chrétien, mais je m’intéresse à l’Histoire en général, et la chrétienté n’en est pour moi qu’une partie. Je me sens concerné par ce qui s’est vraiment passé, par opposition à ce qu’on nous dit, en particulier via le dogmatisme de l’Église Catholique, qui à mon sens va à l’encontre de ce qu’a pu prêcher Jésus. Tout ce qui relève du fondamentalisme est dangereux, les gens devraient rester libre d’explorer leurs propres idées, leurs propres sentiments quant à ce qui relève de la moralité. Il y a une chose que ma mère m’a appris et répété, ce qui peut sembler paradoxal puisqu’elle est très croyante, c’est qu’il faut toujours tout remettre en question. Pourquoi les règles sont établies, la signification de telle loi, chercher les vraies motivations.

Dans Failing Songs, et en particulier dans le morceau-titre, tu vas très loin dans une mélancolie quasi extrême, fataliste. Est-ce que c’est cathartique, ou “simplement“ du désespoir sur l’état actuel du monde ?
Ma vie ne m’inspire pas vraiment de mélancolie, si ce n’est que j’ai des faces sombres comme tout le monde, et que j’ai tendance de plus en plus à prendre des décisions susceptibles de foutre ma vie en l’air, ce qui est presque logique en tant qu’artiste… Tu cherches à expérimenter toutes les possibilités et parfois ça te retombe méchamment dessus. Écrire et interpréter des chansons reste le meilleur moyen de gérer ça. On nous rabat constamment les oreilles avec le progrès, mais j’ai plutôt l’impression qu’on est dans le processus inverse. En France, les gens ont apparemment envie de ce retour en arrière, ils veulent que l’État ait plus de pouvoir, lui confier le contrôle de leur vie. L’un de mes modèles, Jacques Brel, a déclaré dans une interview qu’on ne doit jamais renoncer à ses rêves, et c’est exactement le contraire qui est en train de se passer. Les gens se réveillent à l’âge de soixante ans, en se demandant ce qu’ils ont fait de leur vie à part enrichir un nombre restreint de personnes.

Tu as quitté l’Angleterre entre autres à cause de ton désaccord avec la politique nationale. Que vas-tu faire si la situation en France devient pire ?
En fait, j’envisage sérieusement de quitter le pays pour l’Espagne. C’est assez facile pour moi de dire ça, je suis déjà un étranger ici, en devenir un en Espagne revient à peu près au même. Le vrai drame, ce serait qu’à ce moment-là, je laisserais ma famille derrière moi, ma femme et mon enfant sont Français et ils ne veulent pas me suivre. Mais je ne pourrais pas me résoudre à payer des impôts à un gouvernement dirigé par Nicolas Sarkozy.

Matt Elliott, le 3 mai à 20h30, à la Bobine Album : “Failing Songs“ (Ici d’Ailleurs)

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