L'amour à mort

OPÉRA / Basé sur la pièce Mademoiselle Julie de Strindberg, l’opéra Julie est une petite merveille, à découvrir dans la mise en scène de Matthew Jocelyn. Ou comment notre appétit d’opéra grandit à vue d’œil grâce à des propositions de la sorte. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Petit Bulletin : Boesmans (le compositeur) et Bondy (l’auteur du livret) réduisent la pièce en durée, mais n’éludent pas la complexité des personnages. Comment avez-vous travaillé avec les interprètes pour qu’ils restituent le caractère paradoxal de leur personnage en – seulement – 1h15 ?
Matthew Jocelyn : Quand on fait un livret d’opéra, on est obligé d’aller au plus essentiel. Luc Bondy a énormément travaillé sur le texte – moins du quart au final de celui de Strindberg. La complexité des personnages est ensuite retranscrite par la musique de Philippe Boesmans, qui est extrêmement parlante par rapport aux états d’âme, aux tergiversations et aux soubresauts émotionnels de Julie, Jean et Kristin. La musique nous donne aussi le temps ; ce temps me permettant, comme metteur en scène, de construire un itinéraire de jeu, d’action et de regards…Toute votre mise en scène tourne autour de cette relation quasi sadomasochiste entre Julie et Jean, avec notamment un choix d’érotiser au maximum ce combat…
C’est une histoire dans laquelle le désir sexuel – parfois compris, parfois incompris – agit sur tout, ce désir sexuel étant rendu très compliqué parce qu’il y a un contexte de hiérarchie sociale important, avec un historique de rancunes : de la soumission de la part de Jean et de la haine des hommes en général de la part de Julie. Donc un conflit entre désir, érotisme et sexualité d’un côté, et haine, frustration et objectifs sociaux de l’autre. Tout ceci rend la situation très complexe, mais l’érotisme est toujours présent. Même dans la mort…Justement, vous avez choisi une fin sans emphase, qui peut surprendre…
J’ai choisi de ne pas utiliser la lame de rasoir [comme dans la pièce de Strindberg, NDLR], parce qu’on a essayé de moderniser l’époque. On peut ainsi dire que tout se passe vaguement dans les années 50, plutôt qu’à la fin du XVIIIe siècle. Il y a donc l’électricité : au lieu de se raser à la main, Jean utilise un rasoir électrique. C’est donc l’apport de l’électricité, qui sert d’abord à Kristin – c’est elle qui la branche pour essayer de se faire belle. Ensuite Jean l’utilise pour se raser, et enfin Julie se sert du fil pour se pendre. Cette corde traverse les trois personnages…Ce décor, bringuebalant : est-ce l’idée d’une bourgeoisie qui maintient ses domestiques dans une certaine misère ?
Absolument. Ça m’intéressait que les domestiques se retrouvent dans une cuisine construite le lendemain d’un incendie – des toiles de tentes ont été tendues, on a petit à petit rempli la pièce avec le nécessaire pour que la cuisine soit fonctionnelle. Avec toujours cette idée de soumission par rapport à la maison des maîtres, en haut. Ainsi, le tuyau d’évacuation des toilettes du Conte passe à travers la cuisine : ils vivent donc littéralement dans la merde du Comte.Vous travaillez beaucoup autour de la musique. Mettre en scène un opéra serait-il plus galvanisant que de mettre en scène une pièce de théâtre ?
Je ne dirais pas que c’est plus galvanisant… On est moins libre dans le sens où la colonne vertébrale qu’est la musique ne peut pas changer. Dans le théâtre, on a beaucoup de liberté dans l’élasticité du texte – on peut faire des coupes, des rajouts, jouer sur le rythme… Alors qu’avec un opéra, on ne peut rien faire de tout ça, on est contraint à suivre la structure musicale. Et en même temps, comme on est dans une forme théâtrale par excellence – les personnages chantent –, ça donne effectivement un tremplin pour traiter de façon plus libre la réalité sur le plateau.JULIE
Mardi 11 mai à 20h, à la Rampe (Échirolles)

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