Into the (musical) wild

Cosmophonies

Hexagone

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

C’est parti pour trois semaines dédiées à «l’art musical» sous toutes ses formes grâce à l’exigeant festival Les Détours de Babel, centré cette année sur les rapports entre musique et nature. Rappel du projet et sélection de concerts et autres événements. Aurélien Martinez, Charline Corubolo, Stéphane Duchêne et Damien Grimbert

Quatrième édition pour les Détours de Babel, festival né – on le rappelle – de la fusion entre les 38e Rugissants (très centrés sur les musiques contemporaines) et le Grenoble jazz festival (qui portait bien son nom). Après la religion en 2013, la politique en 2012 et les questions d’identité en 2011, c’est le thème de la nature qui a été retenu cette année, avec un sous-titre assez large pour ne pas être réducteur : les musiciens de la Terre.

Bien appuyé sur ses trois jambes (« les musiques nouvelles – tout ce qui est lié à la musique contemporaine, à la musique électronique… –, le jazz et les musiques improvisées, et enfin les musiques traditionnelles, dites musiques du monde » comme nous l’expliquait son directeur Benoît Thiebergien en 2012), même si ces trois jambes ont de plus en plus tendance à se fondre les unes dans les autres, la manifestation est toujours construite autour du concept que nous lui avions accolé l’an passé : l’élitisme pour tous.

Car de prime abord, la prog a de quoi impressionner, avec ses projets perchés (ici de la musique audio-naturaliste, là des chants venus de territoires insulaires, là encore un concert de smartphones…), et ses noms de musiciens pas forcément grand public. Mais pour peu que l’on mette de côté ses réticences, l’aventure peut s’avérer passionnante, déroutante, enrichissante – voire les trois à la fois !

Alors si, comme lors de chaque édition, nous n’avons quasiment pu découvrir aucune proposition en amont (ce ne sont pas des concerts que l’on voit facilement), nous sommes tout de même allés sélectionner quelques temps forts. Pourquoi ceux-ci ? Voici nos réponses !

Parce que c’est Hubert Reeves

Hubert Reeves (photo), c’est un peu la rockstar de la science. Un homme lettré qui a su démocratiser son domaine de compétence (l’astrophysique), devenant ainsi une référence niveau vulgarisation scientifique. C’est aussi un militant chevronné (il préside depuis 2001 l’association Humanité et Biodiversité ; il a publié en 2003 l’ouvrage Le Mal de Terre) et un homme jamais loin de l’art (il a été récitant dans de nombreux projets musicaux et a à son actif divers films scientifiques). Une sorte de Léonard de Vinci moderne en somme !

Qu’on le retrouve cette année au sein de la programmation des Détours de Babel est une évidence au vu du thème, et surtout une excellente nouvelle. Il viendra ainsi défendre le spectacle Cosmophonies pensé avec l’ensemble Calliopée, formation « de musique de chambre à géométrie variable » dirigée par Karine Lethiec. Soit « un dialogue mettant en parallèle la création de l’univers et la création musicale ». Basé sur des œuvres de Debussy, Messiaen, Murail ou encore Pécou, et « conçu comme un hymne à la Nature », Cosmophonies se veut « un véritable kaléidoscope poétique et musical qui s’appuie sur les thématiques des ouvrages écrits par Hubert Reeves pendant plus de trente ans ». AM

Cosmophonies, jeudi 27 mars à 14h30 et 20h à l’Hexagone (Meylan)

Parce que c’est pile dans la thématique de cette année

Que sont devenus les petits bruits naturels ? Selon le bioacousticien Bernie Krause, ils auraient disparu depuis 1960 du fait de l’activité humaine. L’homme, dans sa grandeur, a réduit au silence tous ces sons si atypiques de la nature. Les craquements d’un arbre sont recouverts par les moteurs des voitures, et même en forêt, les brames sont plus discrets depuis que l’humanité s’est industrialisée. Mais fort heureusement, la technologie n’a pas que du mauvais et des adeptes du mouvement "Field Recording" ont parcouru la planète afin de glaner ces émissions sonores que nous n’entendons plus.

Laissés à l’état brut, les bruits captés sous la banquise ou encore dans la chaleur de l’Amazonie offriront, en première partie du concert qu’a conçu le compositeur lyonnais de musique électroacoustique Bernard Fort, un voyage sonore dans l’inconnu, interprété par de grands haut-parleurs. Peu à peu, un univers visuel se dessinera par l’oreille pour finalement laisser place aux créations musicales des "compositeurs naturalistes". Les œuvres originales électroacoustiques, en seconde partie, feront de la nature une matière contemporaine et illustreront pleinement le thème du festival. CCo

Le Grand Orchestre de la Nature, jeudi 3 avril à 20h à l’Odyssée (Eybens)

Parce que c’est vraiment dans la nature

Si les bruits de la nature sont amplifiés dans une salle de concert, ils sont en revanche à l’état brut dans les jardins... Enfin presque ! Le Safari dans le noir de Bernard Fort, comme son nom l’indique, propose de partir à la recherche des animaux, muni d’une lampe de poche, à la nuit tombée. Distillés aux quatre coins du Jardin des plantes du Muséum, des diffuseurs laissent échapper des sons d’insectes, d’oiseaux et autres mammifères. Le dispositif devient une partition pour une symphonie nocturne, tandis que les créations de Pierre Estève prennent le relais en journée.

Autre ambiance avec l’installation artistique Flowers 2.0 / Vox Natura, toujours au Jardin des plantes : une centaine de fleurs en plastique sonores (via une composition à partir de bruit de bouteilles) suggère un univers où les sonorités industrielles sont magnifiées par le recyclage.

Enfin, avec les Jardins invisibles du Musée dauphinois, c’est le promeneur qui se meut en créateur. Grâce à une dizaine de partitions dissimulées dans l’espace végétale, sa balade avec un iPhone devient interactive, le déplacement conditionnant la musique qu’il appartient alors à chacun de moduler selon ses mouvements. CCo

Safari dans le noir, vendredi 28 et samedi 29 mars à 20h30, au Jardin des plantes
Flowers 2.0 / Vox Natura, du samedi 29 mars au samedi 12 avril en journée, au Jardin des plantes
Jardins invisibles, du samedi 5 avril au samedi 12 avril en journée, au Musée dauphinois

Parce que ce n’est pas intimidant

C’est chaque année l’un des moments les plus agréables du festival. Les incontournables brunchs permettent ainsi de mêler passionnés et néophytes dans un même cadre idyllique le temps d’une journée où la musique peut aussi bien se vivre que se picorer – le tarif d’entrée est libre.

On a donc rendez-vous au Muséum et au Musée dauphinois pour les deux dimanches du festival. Avec, au programme au Muséum, des « arbrassons » du sculpteur d’arbres et de sons José Le Piez ou encore un ciné-concert autour des films de Jean Painlevé (biologiste français de renom mort en 1989).

Au Musée dauphinois, on croisera le blues indiens (mais pas que) de Pura Fé (voir plus bas), du jazz et des musiques électroniques, voire même des chants sardes et mongols. Soit un concentré de l’essence même du festival et des croisements qu’il permet. AM

Brunch #1, dimanche 30 mars de 10h à 17h au Muséum
Brunch #2, dimanche 6 avril de 10h à 17h au Musée dauphinois

Parce que c’est une vision du monde

Qui d'autre pour incarner la problématique babélienne des « musiciens de la Terre » qu'Antiquarks, rejeton d'une cosmogonie "inter-mondiale" que ne renierait sans doute pas le grand intervenant de cette édition, Hubert Reeves, et porteuse d'une cosmologie et d'une mythologie à la fois traditionnelles et alternatives, non pas postmodernes, mais "après-modernes", comme une manière de repenser la modernité, à la fois ancrée et nomade. Une « éthique de la terre », une éthique de la musique du corps, voilà ce qui anime le projet d'Antiquarks, quels que soient les moyens d'expression du groupe.

D'où l'élan forcément altermondialiste, analysé et décrit par le sociologue Philippe Corcuff, d'un Bal Interterrestre qui, au-delà de l'expérience musicale, se fait toujours un peu expérience du monde. À la rencontre de Gaïa, Antiquarks invite cette fois la blueswoman d'origine iroquoise-tuscarora Pura Fé, l'une des plus grandes ambassadrices de l'ancrage amérindien dans la modernité américaine. SD

Bal Interterrestre – Antiquarks invite Pura Fé, samedi 5 avril à 20h, à l’Heure bleue (Saint-Martin-d’Hères)

Parce qu’il ne faut pas négliger l’intérêt des musiques dansantes

Pour son traditionnel bal de clôture, l’équipe du festival a cette année donné carte blanche aux musiciens de Dyade A&D / L’ArTisterie pour une soirée Natural born groovers qui réunira percussions, clavier, saxophone baryton, contrebasse, un comédien, un vidéaste… et visiblement la participation du public, invité à danser et jouer au cours de cette « création spontanée et participative »… Une proposition dont on ne remet pas un instant en doute les mérites artistiques, mais qui, avouons-le, nous laisse, comme chaque année, un peu sur notre faim.

Venant d’un festival aussi novateur, pointu et avant-gardiste que les Détours de Babel, on ne peut en effet s’empêcher de penser que la programmation des bals de clôture (qui représentent, rappelons-le, l’occasion de s’ouvrir à la fois à un public plus large et à la vaste gamme stylistique que représentent les musiques dansantes) manque quelque peu d’ambition au regard des nouvelles propositions musicales émanant des quatre coins du globe. À la fois dansantes, volontiers expérimentales, et nées d’un contexte socio-culturel aussi précis que passionnant, ces dernières ne semblent malheureusement pas encore avoir trouvé auprès des Détours de Babel un écho réellement conséquent. On est bien les premiers à le regretter… DG

Natural born groovers, samedi 12 avril à partir de 22h, à la salle Messiaen

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