Mustang, go !

Exceptionnellement, la route du rock de cette Fête de la musique 2014 mènera à Lans-en-Vercors où se produiront les insaisissables Mustang. Logique : croisement improbable de rockabilly à l'ancienne et de modernité machiniste, le trio clermontois n'est jamais là où on l'attend. Et c'est ce qui fait sa force. Stéphane Duchêne

« Je n’ai pas le sens des affaires / Et dans le monde où nous vivons / C’est pire qu’une tare / Qu’un bec de lièvre / C’est pire que le cancer du poumon / (…) Non je n’ai pas le sens des affaires / Mais j’connais leur direction / Droit dans mon derrière / Allez mettez-la moi bien profond / Car je le mérite au fond / Je suis volontaire. » Ne pas voir dans ce couplet tout en crudité annoné par Jean Felzine un quelconque coming-out SM. Simplement la profession de foi d'un groupe qui se compte parmi les damnés de la terre, ceux qui ne savent pas y faire et s'en sont fait une raison, pour ne pas dire un étendard. Manière de dire en effet que la musique du trio clermontois n'a jamais eu l'heur de suivre les courbes des tendances hype/retour de hype/tempête de mainstream qui ouvrent la voie du succès sans pour autant rien garantir. Ne pas avoir le sens des affaires, c'est aussi se diriger à l'instinct, naviguer à vue, tracer sa propre route, sans trop se soucier d'où l'on va. Et pourtant.
 

Avec le titre de leur premier album, A71, les trois Mustang pouvaient donner l'impression de vouloir sillonner la Yellow Brick Road qui mène au succès, à savoir au Royaume d'Oz parisien. L'A71, c'est bien cette autoroute qui relie la capitale auvergnate au centre du monde jacobin. Mais moins qu'une « Highway to heaven », le titre marquait d'un label France les références du groupe, à la fois Route 66, Highway 61 revisitée et Autobahn kraftwerkienne. Une influence revendiquée qui n'a pas toujours suffi à dissiper le malentendu qui faisait de Mustang le tenant d'une geste rockabilly, un genre de Forbans post-moderne. Oh, bien sûr, il n'y avait rien d'excessif à maquiller Felzine et sa touche de petite frappe à Pento en Elvis bougnat, en Dick (Dale ou Rivers, rayer la mention inutile), en Eddy (Mitchell) croisé Eddie (Cochran) ou en Dean mustango.

 


Smiths version Durand


Mais c'était faire fausse route, comme rouler en crabe. Il suffisait de gratter le vernis pour découvrir la vérité d'un groupe à l'univers bien plus complexe que supposé, ou Suicide et Kraftwerk étalaient leur présence sur la banquette arrière.
Que dire alors lorsque la palette s'élargit considérablement au long des albums qui suivent A71. Sorti cette année, Écran Total est déjà leur troisième effort et là encore, son titre semble jouer avec l'idée d'écran de fumée esthétique – tu me vois, tu me vois plus, je t'enfume. Or dans Écran Total, il y a aussi « total ». Et c'est bien ce qu'est ce troisième disque, un album total, où Mustang semble plus à l'aise que jamais à l'idée de semer ses influences aux quatre vents de ses chansons, de passer en revue leur répertoire et d'accoucher de leur œuvre à la fois la plus exhaustive et la plus cohérente.

Exhaustive, parce qu'ici on croise des Smiths version Durand (Sans des filles comme toi et sa guitare Johnny Marr), ce bon vieux Dick, Rivers cette fois, au bord du Suicide (Ce n'est pas toi), tout en s'apercevant que, lexicalement, de la surf music à la new wave, il n'y a qu'une flaque. De la psychopathologie au psychobilly, guère plus (Je vis des hauts, hymne à l'addiction aux jeux vidéo, ce flipper du XXIe siècle). Cohérente, car si l'éventail est large ; comme tout éventail, il se replie sur lui-même, se redéploie autant qu'on le souhaite. S'agite aussi. Tout comme Felzine agite sa plume avec frénésie, prouvant avec une facilité éclaboussante que le français est soluble dans tout mais quelque part insolvable.


Rock pop-corn


Déjà pas manchot du stylo (il faut bien avouer que dans son genre, on tient là l'un des meilleurs et plus singuliers lyricistes français), celui-ci parvient à un niveau inégalé d'humour rockabileux et tongue-in-cheek. Si tongue-in-cheek qu'il finira bien par se transpercer la joue avec ses mots pointus et son autodérision tranchante. Les mots sont une arme et Felzine n'aime rien tant que de les retourner contre lui pour se faire sauter la tête comme un pop-corn. Or du rock pop-corn, du rock qui pète et qui crépite c'est ce qu'entend produire Mustang de manière tout à fait assumée. Si le groupe n'a pas le sens des affaires, il a celui de l'entertainment et de l'efficacité. Un couplet, un pont, un refrain, Mustang, pas tellement emballé par l'idée de devenir un groupe culte à titre posthume, ne va pas plus loin dans sa quête du tube. Totalement hermétique qu'il est à la mode de ces albums pop sans hit (Alt-J, Metronomy, Breton, les derniers MGMT) mais ne rechignant pas à reprendre ceux des autres – s'en faisant même une spécialité (cf. Mustang reprend...). Séduire – et être séduit – sans se vendre et sans pose autre que l'attitude, c'est le credo Mustang.

Oui, ce groupe, de par le créneau investi à ses débuts, aurait pu n'être qu'un feu de paille. Un coup d'un soir, une bagarre de sortie de bar vite avortée. Le fait est qu'avec ses histoires futiles mais subtiles, il a gagné en charme et en savoir faire, déjouant les pièges de la routine qui font « le ventre mou de l'amour » et se prévaloir de ce dont il rêve pourtant sur l'un des meilleurs titres de l'album, à la fois glam et anti-glam : « un coup de foudre à l'envers ». Pourquoi diable Mustang devrait-il alors se coltiner ce lot de consolation tout juste bon pour les sans-âmes qu'est « le sens des affaires » ?
 

Mustang + Miso Soup, samedi 21 juin à 21h15 au centre du village de Lans-en-Vercors. Dans le cadre de la première édition du Canap'Art Festival

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