L'autre monde de Koudlam

Près de cinq ans après son flamboyant "Goodbye", l’inclassable Koudlam est de retour avec un nouvel album-monde, "Benidorm Dream", qu’il viendra défendre (à guichets fermés) sur la scène du Ciel. L’occasion rêvée de faire le point sur son univers singulier. Damien Grimbert

On pourrait partir sur d’innombrables pistes pour expliquer l’étrange pouvoir d’attraction de la musique de Koudlam, et le consensus aussi bien critique que public que cette dernière rencontre à chaque nouvelle sortie. Sa manière d’emprunter à différentes esthétiques sans jamais se fondre dans aucune, cette capacité à être profondément ancrée dans notre époque et à simultanément sonner complètement hors du temps… S’il ne fallait en garder qu’une cependant, outre d’évidents talents de composition, ce serait sans doute sa puissance d’évocation hors-norme, sa faculté à projeter l’auditeur dans un univers à la fois inconnu et étrangement familier où décadence, romantisme, violence, aventure et mystère s’entremêlent en permanence.

Alors que tant de musiques actuelles, aussi bien foutues et pertinentes soient-elles, tombent rapidement dans le piège de la fonctionnalité, celle de Koudlam évoque surtout un océan de fantasmes sur lequel chacun va greffer sa propre interprétation. Il faut dire qu’avant d’atteindre la reconnaissance en 2009, à l’âge de trente ans, l’artiste avait déjà pas mal bourlingué entre temps : une enfance passée en Afrique, une adolescence marquée par le skate, le rock et le tag, la découverte des raves et free parties dans lesquelles il va s’immerger jusqu’à plus soif, des voyages lointains à travers le monde, une passion conjointe pour la géographie, l’architecture, le cinéma, la littérature de science-fiction…

Partout et nulle part 

Autant de matrices qui vont aboutir à l’élaboration d’un premier album en 2006, Nowhere, autoproduit et largement passé inaperçu, puis à une série de collaborations avec l’artiste contemporain Cyprien Gaillard et enfin une signature sur Pan European Recording, label-phare du néo-psychédélisme français qui va sortir en 2008 son premier EP, le (déjà) titanesque Live At Teotihuacan. Aux côtés d’une épopée-fleuve de vingt minutes, The Great Empire, on y retrouve notamment See You All, premier "tube" de Koudlam qui va intégrer la bande-son d’Un Prophète de Jacques Audiard, et largement contribuer au succès de Goodbye, deuxième album qui va du coup connaître un destin radicalement opposé au premier.

Succession ininterrompue d’hymnes imparables flirtant avec le psyché, le rock, la cold-wave, la pop, l’éléctro et l’exotica, Goodbye fait l’effet d’une véritable bombe et propulse Koudlam en Rimbaud des temps modernes, poète-crooner décadent et sulfureux d’un monde au bord du chaos qui n’a pourtant jamais semblé si beau. La machine médiatique est en marche, et rien ne semble pouvoir l’arrêter si ce n’est l’artiste lui-même. Après une série de concerts en solo simplement armé d’un laptop et d’un micro, l’artiste se fait rare, délivrant seulement un EP 4 titres (Alcoholic’s Hymns) et une collaboration avec le duo Scratch Massive le temps d’un titre mémorable, Waiting For a Sign. Dixit Koudlam : « Je ne voulais pas faire un Goodbye 2, j’avais vraiment besoin de faire quelque chose de différent, d’explorer d’autres voies. »

Direction Benidorm, ville espagnole symbole d’un tourisme low-cost balnéaire et surbétonné, regroupant le plus grand nombre de gratte-ciels par habitant d’Europe, Benidorm est décrite par Koudlam comme une sorte de « cour des miracles » « des familles avec leurs landaus passent devant des nains et des prostituées. Ça a un côté Babylone, grotesque, et en même temps hyper troublant, hyper beau… Et puis ces tours gigantesques, avec une architecture tout en angles et en diagonales, il y a un côté futuriste, intemporel, et en même temps un peu pété, déclinant ». Un cadre idéal pour l’artiste. « J’étais en quête d’un espèce d’écrin, de décor pour ma musique. Avant même d’y aller, j’avais envie de faire une sorte de BO de science-fiction, et ça m’a semblé la ville parfaite pour ça, j’arrivais facilement à imaginer cette ville à une autre époque, dans les temps futurs… Rien que le mot Benidorm, pour moi, ça évoquait plein de choses, ça sonnait comme un personnage mythique, le dieu obèse de notre société régnant sur une ville de tours, je trouvais ça parfait. En plus j’avais cette espèce de fantasme depuis longtemps de vivre au sommet d’une tour avec juste le minimum vital… Finalement, j’en suis peu sorti d’ailleurs, je suis resté très cloisonné. »

Tout pour rien

Comme un écho à ce cadre décadent, la musique de Benidorm Dream semble d’ailleurs un peu souillée par rapport à celle de Goodbye. Si l’on y retrouve la même quête d’absolu, de démesure quasi mystique, cette dernière passe désormais par le biais de sonorités nettement plus "cheap", empruntées à la trance, au jumpstyle, au R’n’B sous autotune… « Avant d’aller dans des fêtes gabber en Hollande et en Allemagne pour tourner le clip de Negative Creep avec Jamie Harley, j’ai regardé beaucoup de vidéos de jumpstyle, avec ces gamins qui dansent à quinze dans des terrains vagues, sous des ponts… Dans cette musique, il y a un côté hyper véner’, mais toujours avec une mélodie hyper-triste, épique, héroïque, c’est vraiment touchant. »

Comme si la fuite vers un ailleurs idéalisé était désormais impossible, et que la seule solution restante était désormais de se confronter à l’hystérie du monde pour mieux la transcender. Une interprétation parmi d’autres, qui ne doit pas pour autant masquer l’essentiel : cinq ans après la sortie de son précédent album, la musique de Koudlam n’a rien perdu de sa pertinence et de son urgence. Son concert de samedi au Ciel, accompagné cette fois de deux musiciens et d’un ingénieur son, devrait en constituer une nouvelle démonstration.

Koudlam, samedi 15 novembre  à 20h30, au Ciel. Complet.

Benidorm Dream (Pan European Recording)

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