The Shaggs, bande de filles

The Shaggs (Better than the Beatles)

Amphithéâtre

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Célébré entre autres par Kurt Cobain, le groupe The Shaggs, composé de trois puis de quatre sœurs, a eu droit à toutes les formes d'hommages : tribute albums, comédies musicales et même pièces de théâtre. Comme cette semaine avec "Better than The Beatles" (expression signée Zappa), spectacle de Frédéric Sonntag que nous n'avons pas vu mais qui nous donne l'occasion de revenir sur l'improbable destin du soi-disant « plus mauvais groupe de rock » de l'Histoire. Stéphane Duchêne

Tout commence aux États-Unis, dans le New Hampshire, au cœur de cette Nouvelle Angleterre percluse de superstitions gothiques ; celle de Mary Wilkins Freeman, de Lovecraft, de Stephen King et des maisons hantées. Un jour, la mère du dénommé Austin Wiggin, chiromancienne de son état, lui fait une série de prédictions à long terme alors qu'il n'est encore qu'adolescent : il épousera une blonde vénitienne, aura deux fils, puis quatre filles qui, ça se corse, formeront l'un des groupes pop les plus populaires d'Amérique.

Des années plus tard, une partie des prophéties maternelles étant avérées, sans que l'on sache quelle proportion d'auto-réalisation entre en ligne de compte, Austin Wiggin passe la seconde : il retire ses trois filles Dot, Bet et Helen de l'école pour les coller derrière des instruments bon marché en vue d'en faire les stars prophétisées. De cet objectif, tel Murry Wilson ou Joseph Jackson avec leurs fils Beach Boys et Jackson Five, il ne déviera jamais. Même quand lors de leur premier concert, en 1968, les trois sœurs quittent la scène sous une pluie de canettes.

Car s'il est bien beau que les augures d'une bonne fée viennent se pencher sur votre berceau, la réalité est parfois beaucoup plus cruelle. C'est un fait : les sœurs Wiggin n'ont rien pour elles. Peu importe qu'elles soient dotées de physiques à effrayer les corbeaux et de cheveux en paille. Le problème, c'est qu'avec la meilleure volonté du monde, elles sont infoutues d'aligner trois notes et de tenir ne serait-ce que deux mesures en rythme.

Tergal underground

Les Shaggs, c'est donc la pop bubblegum qu'on obtiendrait en mâchant un chewing-gum trop sec pour ne pas s'effriter sur la langue ; c'est du tergal underground, faute d'une patte de velours, du Syd sans barrettes avec une f(r)ange musicale en travers du visage ; le groupe de petites filles moches qu'on imagine jouer du rock dans les couloirs de La Maison aux Sept Pignons de Nathanael Hawthorne – des filles torturées qui supplient régulièrement leur père de leur ficher la paix avec ses rêves étoilés.

Car non seulement elles ne veulent pas de cette vie mais elles sont rongées, elles, par ce que l'écrivain Edouard Glissant appelle, parlant des États-Unis, le sentiment d'« illégitimité de la fondation » : elles savent qu'elles n'ont rien à faire là, la preuve étant qu'elles n'y sont pas vraiment. D'où une carrière qui se résumera à un disque – sur lequel les rejoint brièvement leur soeur Rachel – pompeusement baptisé Philosophy of the World (1969) et enregistré dans un studio de Boston par un ingénieur du son navré. À sa sortie, le distributeur, effrayé par la laideur de la pochette, fera cadeau d'une centaine d'exemplaires à la famille avant de disparaître dans la nature. Il y aura aussi quelques concerts hebdomadaires... dans une maison de retraite de leur ville, Fremont. Les filles, bien élevées, attendront la mort de papa en 1975 pour arrêter les frais. Stop, fin de l'histoire.

Relique

Sauf qu'un peu plus tard, il va se trouver quelques petits malins, comme Terry Adams du groupe NRBQ, pour tomber sur leur fameux disque et trouver ça formidable – « meilleures que les Beatles » dira Zappa... qui n'aimait guère le Fab Four. Les Shaggs font alors l'objet d'un culte mi-sincère, mi-condescendant, qui amène à la réédition d'un Philosophy of the World soudainement passé au statut d'incunable.

Puis, derrière l'incompétence, on va finir par dénicher des chansons, des vraies, auxquels les tributes rendront, une fois bien jouées, joliment grâce. Une liberté aussi – certes pour le moins contradictoire – qui influencera Cobain, les Raincoats, les Moldy Peaches et tout un pan d'une école lo-fi qui, après tout, vénère pareillement les manières détraquées d'un Daniel Johnston.

Du groupe, Mike Fornatale, producteur ayant travaillé avec Dot Wiggin (l'une des quatre sœurs), dira assez justement : « La musique des Shaggs est simplement la quintessence de ce qui se produit dans la tête de quelqu'un que l'on a forcé à faire de la musique, qui ne voulait absolument pas en faire et qui a fait de son mieux. En donnant tout ce qu'elles avaient, elles sont parvenues à une forme de pure expression qui est belle parce qu'elle est ce qu'elle est. La même musique exécutée par des musiciens professionnels n'aurait aucun intérêt et il n'y a aucune condescendance à avoir, surtout si l'on est soi-même musicien. Parce qu'il y a quelque chose de vrai et de pur dans la musique des Shaggs qui frappe dès la première seconde. » Une pureté dans l'acte créatif après laquelle des musiciens bien plus doués courent toute leur vie. Partant de là, allez savoir si, au fond, les Shaggs n'ont pas, à leur manière, accompli la prophétie familiale.

The Shaggs (Better than the Beatles), jeudi 4 décembre à 20h, à l'Amphithéâtre (Pont-de-Claix). Suivi d'un concert des Barbarins fourchus

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