Mardi 22 septembre 2020 Alléchant plateau que celui proposé ce jeudi 24 septembre à la Source, qui associera sur scène le garage rock psychédélique teinté d’exotica des Normands de Cannibale, à celui, occulte, sombre et flamboyant des Grenoblois de Moonrite.
Déshandicaper notre regard
Par Séverine Delrieu
Publié Mercredi 28 mars 2007 - 1897 lectures
À l'issue d'un stage de danse contemporaine co-animé par les chorégraphes Nienke Reehorst et Sidi Larbi Cherkoui au Stap Theater en 2002, la troupe composée de dix interprètes handicapés mentaux et les chorégraphes ont créé Ook : une proposition collective intense, fraîche, décalée sur la lutte existentielle. Séverine Delrieu
Pour seul élément scénographique, un mur couvert d'articles de presse. Articles qui furent choisis par les comédiens parce qu'ils expriment leurs désirs, leurs rêves, leurs préoccupations et colères. Car sur cette scène, on assiste à un vrai déchaînement : lieu de tous les excès, de toutes les libertés, de tous les cris et expériences, la scène est un espace non sacré et est véritablement occupée par les interprètes. Rapidement, le ton est donné. De la fumée monte sur le plateau – on ne sait si elle provient du pot d'échappement de la mobylette qui entre, ou bien si l'on est dans une boîte de nuit – et de la musique disco accompagne ce ballet motorisé. Le conducteur chante à tue tête cette chanson des années 80 ; le reste des comédiens acclame la nouvelle star. Il n'y a pas de critique du kitsch, mais une acceptation, un amusement sincère à cette ambiance Saturday Night Fever. Autre abolition des différences, celle de la hiérarchisation dans les musiques : plus tard on entendra Piaf, Brel, Iggy Pop, musique électro. Première sensation d'énergie aussi avec cette première scène, fulgurante et décalée. Après l'euphorie, les corps s'écroulent après le coup d'un pistolet posé sur la tempe : on assiste à un suicide collectif. Les mouvements lents, répétitifs, les visages expressifs miment l'acte le plus tabou qui soit, et qui touche pourtant toutes les classes sociales, sans différence aucune.
Le rêve des autres
Sur le son de Je suis malade, chantée par les voix mixées de Dalida et de Serge Lama, le mal-être s'intensifie, particulièrement parce que cette scène est jouée par des personnes qui sont vues comme différentes, voire malades, et pour qui la lutte existentielle est certainement plus dure. En attendant, l'intensité du moment pousse à un retour à soi. Puis, une femme pleure, ardemment. Des sanglots démesurément stridents, montent. Elle s'effondre. Froidement, un comédien habillé d’une blouse de médecin, entre. Lave un linge, l'autre le sèche à l'aide d'un sèche-cheveux, un dernier le repasse, enfin un prêtre le lui pose sur le visage : ne plus la voir. Une réponse de notre société. Dans le même ordre d'idées, une autre scène regroupe des femmes berçant leurs bébés : un désir tabou qu'elles ne pourront réaliser, alors que pour la plupart d'entre elles, ce désir est profond. Notre société réprouve pourtant sa concrétisation... Entre les tableaux qui filent et dans lesquels quelques fois plusieurs scènes se déroulent simultanément, des transitions plus intimes allègent le propos collectif. Marc Wagemans, un comédien arborant un tee-shirt de Bruce Lee, exhibe ses muscles dans une longue démonstration de karaté. Puis, il s'approche du public pour faire tâter sa musculature ; il se déshabille, se montre : comme s'il nous disait avec humour, qu'hormis les corps exposés dans les magazines ou ceux des concours de bodybuilder, d'autres corps existaient et avaient droit d'être regardés, aimés, de s'en amuser. Mais nulle morale, ni manichéisme non plus : le collectif pointe du doigt le public, avant de lui adresser injures virulentes, et gestes haineux.
Complexe particularité
Puis, un rire éclate, rire extrêmement communicatif, jusque dans la salle. S'enchaînent des duos un brin sensuels évoquant le tabou de la sexualité chez les personnes handicapées ; des prises de paroles, des danses, des chants disent leurs univers. Enfin, en conclusion, une émouvante et dérangeante scène se construit : lentement, les comédiens recouvrent leurs visages sur la chanson Voir un ami pleurer de Brel. Les mains s'ouvrent, et, à la place des larmes, ce sont des grimaces, plutôt amusantes, recherchées qui nous font face. Marc, lui, ne modifiera pas son visage, mais présentera le sien, asymétrique, son visage de tous les jours. Sidi Larbi Cherkaoui et Nienke Reehorst ont voulu questionner, titiller le spectateur sur le regard que nous portons sur les personnes handicapées. Sans jamais nier leurs différences, mais en soulignant nos similitudes, nos ressemblances, ils appuient là où ça dérange pour eux sur scène, et pour nous. D'ailleurs, dans cette proposition qui prend source dans les rêves réalisables ou pas de chaque comédien, les moments d'identification avec les acteurs sont nombreux : le spectateur fait son propre parcours au milieu de ce foisonnement de tableaux, d'actions, de mouvements, de performances, mais il est en permanence, renvoyé à lui-même. Dans ce concentré de fragilité et de fulgurance, la densité du propos, ne laisse jamais le spectateur dans la passivité.
Ook, le 27 mars à 20h30, à l'Heure Bleue (clôture du Mois de la Création Belge)
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