Il était une fois

Depuis près d’une dizaine d’années, la compagnie lyonnaise La Cordonnerie nous émerveille avec ses cinés-concerts originaux, jubilatoires et émouvants. Entretien avec l’homme-orchestre Samuel Hercule, à l’occasion de la représentation à l’Hexagone d’un Ali Baba revisité à la sauce western. Propos recueillis par FC

Une question anodine pour commencer, pourquoi avoir changé le titre original (Ali B. in the West) ?
Samuel Hercule : Déjà, Ali B. ça fait un peu Agnès B., ça m’effrayait… Il me semble qu’en annonçant la couleur clairement, en reprenant le titre Ali Baba et les 40 voleurs, c’est sans doute plus fort, on ne ment pas sur la marchandise même si on ne précise pas qu’il s’agit d’une adaptation. Le décalage est du coup plus évident.

Quel est le postulat qui régit les créations de la Cordonnerie, l’envie de faire du ciné-concert ou d’en détourner les codes en tournant les films vous-même ?
Quand on a démarré avec la compagnie, on avait une vingtaine d’années, on n’a pas vraiment eu de grandes réflexions sur ce qu’on voulait faire. On a commencé avec Hippolyte, des sketchs dans l’esprit du cinéma muet. Il y avait déjà cette idée de la création autour du ciné-concert, mais dans les mimiques, les gimmicks visuels, c’était totalement empreint de cinéma muet. Ça a évolué au fur et à mesure, on a grandi, j’ai rencontré Métilde Weyergans, et quand on s’est mis à travailler ensemble, ça a introduit une écriture plus contemporaine. En termes cinématographiques, notamment ; on conserve les mêmes règles inhérentes à ce qu’on fait, sans beaucoup de dialogues, mais peu à peu les voix sont devenues plus présentes, la narration aussi.

Et pour ce qui est de la mise en scène, en particulier depuis Barbe Bleue, vos partis pris visuels sont de plus en plus affirmés et convaincants, plus que dans beaucoup de films français contemporains…
On compense cette absence de dialogue par des idées de réalisation. C’est toujours ce que j’essaie de faire quand je mets en scène. Là, je suis en train de terminer le tournage d’une comédie musicale, où on essaie de développer des idées graphiques fortes, ne pas se contenter de faire un master, un champ, un contrechamp, comme c’est souvent le cas.
Pour pallier ce mutisme on essaie d’insuffler une poésie… Enfin, j’aime pas trop ce mot, tout le monde parle de poésie et d’onirisme aujourd’hui, on voit ça de partout… Mais c’est vrai que dans Barbe Bleue, il y avait cette idée de plans qui demandent beaucoup de travail.

Et votre usage systématique du système D stimule aussi l’imagination…
C’est notre deuxième élément clé. Le manque de moyens n’a jamais été un problème, c’est effectivement quelque chose qui te pousse à te dépasser, à réfléchir en permanence à la meilleure façon de concrétiser ta vision.

Vous tournez tous les films de vos créations en 16 mm… Pourquoi ce format ?
Déjà parce que c’est très beau. On aurait pu tourner en HD ou en HDV, mais l’image aurait été moins bonne. La deuxième raison, c’est que les tournages sont assez éprouvants, c’est trois semaines dans des conditions financières et logistiques précaires, là en plus on avait tourné en février, en plein froid… Mais le fait de tourner en pellicule motive tout le monde, ça nous soude. Même si c’est un format qui est amené à disparaître – même s’il disparaît beaucoup moins vite que prévu -, on ne s’est jamais posé la question de tourner sur un autre support. Par contre, sur scène, c’est de la vidéoprojection, histoire de se permettre des retouches numériques, des effets spéciaux, et puis c’est très dur de trouver un projecteur 16 mm fiable.

Qu’est-ce qui a changé dans votre approche de la création par rapport à Barbe Bleue ?
Je dirais que c’est beaucoup plus “simple“. On est dans une musique de western, plus carrée, plus dictée par les codes du western spaghetti, dans la compo musicale comme dans la mise en scène du film. On a plus de dialogue, une histoire d’amour…

On vous sent plus en déférence vis-à-vis du genre abordé…
Ça nous a grandement inspiré, mais ça ne nous a pas empêché d’y greffer de l’humour, notamment lors de l’arrivée des voleurs sur leurs mobylettes. D’ailleurs c’est assez marrant de voir les différentes réactions, les adultes se marrent, pensent à Easy Rider, mais les enfants ont peur de cette scène. J’aime bien du coup avoir des salles mixtes, avec tous les âges, pour constater de visu les différents degrés de lecture.

Vous faites de nombreux ateliers en marge des représentations, à destination des plus jeunes notamment. C’est tout à votre honneur, mais vous n’avez jamais eu peur de casser un peu la magie des spectacles ?
Je trouve que c’est d’autant plus magique quand on dévoile le comment. C’est comme le cinéma, on connaît les acteurs, on identifie les astuces de mise en scène mais on se fait quand même avoir. Je trouve même que ce genre de démarche renforce la portée du spectacle. Et les rencontres avec les enfants sont toujours intéressantes ; c’est même parfois édifiant de voir que des enfants de plus en plus grands ne font toujours pas la différence entre réalité et fiction. Récemment, on a dû rassurer un CE2 en lui disant que tel personnage n’était pas vraiment mort, c’est vraiment étonnant. Je ne veux me lancer dans une analyse hâtive sur la responsabilité de la télévision, mais ça reste troublant. Globalement, les ateliers sont toujours intéressants, c’est important d’aller au contact du public. Souvent, les réflexions les plus simples et les plus anodines qui en émergent sont les plus capitales pour nous.

Ali Baba et les 40 voleurs. jeu 10 à 14h30, et ven 11 jan à 14h30 et 19h, à l’Hexagone (Meylan)

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