Le corps comme champ de bataille

Après la troublante poésie macabre de "Lilith… Eve", la compagnie Encorps à venir nous prend par surprise avec la violence de son "Ninten". Et on l’en remercie vigoureusement. François Cau

Créé au Japon dans les années ayant suivi le traumatisme des explosions atomiques, le butō est une danse foutrement intimidante, à l’expressionnisme radical, voyant des interprètes, le corps généralement nu et peint en blanc, s’adonner à des gestuelles dont la brutalité et l’apparente arythmie témoignent d’une volonté cathartique extrême. La danseuse et scénographe Adéli Motchan, au sein de la compagnie Encorps à venir, s’est emparée de cette matière chorégraphique pour la plier à ses envies artistiques : une réinterprétation des textes de Michel Foucault et Antonin Artaud (La nuit vivante se dissipe à la clarté de la mort), une exploration dansée des affres de la vieillesse (Le cas A) ou de la féminité (Lilith… Eve). Pour cette nouvelle création, la compagnie s’intéresse cette fois-ci à la fusion puissamment organique entre deux concepts bouddhistes : le Nin, l’apaisement du quotidien, et le Ten, le vertige de la passion. Autant prévenir tout de suite : toi qui espère la tranquillité d’un spectacle fleur bleue sur l’éveil amoureux, prends donc tes jambes à ton cou.

L’amour et violence

Chaque tableau s’appuie sur des postulats scénographiques immédiatement évocateurs, où viennent se greffer des dissonances sonores déstabilisantes, clés d’entrée dans un univers chorégraphique complexe, à l’apparence rugueuse, où le point de repère majeur serait le corps chorégraphiquement torturé de l’incroyable Adéli Motchan, dont il faut encore une fois souligner la maîtrise hypnotique. Loin de se reposer sur ces bases, Ninten se plaît à bousculer son spectateur par de brutaux sursauts. Le premier tableau joue à foison sur cette idée, perdant son interprète dans le jeu de lumières de multiples projecteurs, ou dans le chaos sonore d’une bande-son faisant exploser des déflagrations rock inattendues, et sur lesquelles le corps de la danseuse se fait le catalyseur de la violence des passions. Au sortir d’un intermède avec ce qu’il faut de mélancolie poétique pour se redonner une contenance, le spectateur est ensuite pleinement confronté à la fragilité de la chair, nue, languide, le cœur hors de la poitrine, bientôt agitée de convulsions dont la puissante charge érotique ne fera qu’accentuer le trouble ressenti. Ce que le spectacle renvoie alors, dans son image d’un corps littéralement ravagé par la passion, est fatalement inconfortable. Mais de notre côté, on n’aime rien tant qu’être maltraité, surtout avec un mélange à ce point convaincant de grâce et de fureur…

Ninten
Jusqu’au 28 mars, au Théâtre de Création

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