Entre le Brésil et la France

THÉÂTRE / Catherine Marnas, grande admiratrice de Koltès, présente cette semaine sa vision du Retour au désert. Un texte fort de l’un des plus grands auteurs français de théâtre de la seconde moitié du XXe siècle. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Petit Bulletin : Vous travaillez depuis longtemps autour de l’œuvre de Bernard-Marie Koltès…
Catherine Marnas :Koltès, c’est mon coup de foudre. Je parle de coup de foudre car il est question d’amour ! Je me souviens très bien qu’il a eu lieu à la lecture de Roberto Zucco, avant que la pièce ne soit montée. Il y a eu une espèce de reconnaissance immédiate. Si j’avais eu les capacités d’écrire, c’est exactement ce que j’aurais eu envie d’écrire.Le Retour au désert est pourtant une pièce à part dans l’œuvre de Koltès, sorte de vaudeville contemporain…
Je n’avais pas encore monté Le Retour au désert, qui est effectivement une pièce un peu spéciale. Et bizarrement, je l’ai fait loin de la province française, le cadre normal de l’intrigue.En allant au Brésil. Pourquoi ce choix ?
Chez les poètes comme Koltès, j’aime la force de la métaphore ; à savoir arriver à développer, à partir de l’intime et du personnel, une vision totalement universelle, presque visionnaire par rapport à l’époque. En effet, le fossé entre les riches et les pauvres s’est creusé depuis l’écriture de cette pièce [en 1988, NDRL], et au Brésil – c’est aussi valable pour tout le continent sud-américain –, les choses sont plus visibles. Cette façon de s’enfermer derrière des murs est clairement énoncée par le personnage d’Adrien qui représente l’ethnocentrisme petit bourgeois à lui tout seul. Il a donc construit de grands murs pour éloigner son fils du monde : un aspect très visible sur le continent américain, principalement dans des pays dits émergents où les riches vivent en prison pour se protéger de l’extérieur.Sur scène, tous les rôles sont dédoublés. Une volonté de faire ressortir ces deux cultures ?
L’idée n’était pas de faire un spectacle en portugais et de le surtitrer (bien qu’il y ait un système de surtitrage puisque le texte est projeté dans le décor même), mais de réaliser un tricotage de langues pour que le spectateur puisse suivre l’ensemble, même s’il ne parle pas le portugais. Les personnages principaux sont dédoublés, avec un comédien brésilien et un autre français : une question peut donc être posée en français, et avec le système de répétitions de Koltès, la réponse peut être comprise dans l’autre langue même si on ne la comprend pas. Ce thème du double m’intéresse beaucoup chez Koltès. Il avait une faculté à exprimer des sentiments qui sont plutôt de l’ordre de l’inconscient, du nocturne plus que du diurne, et le double permet de dire les choses de deux manières différentes.Le travail sur la langue est très important chez Koltès, qui souhaitait la nourrir au maximum. Avec l’idée que la culture française, confrontée à d’autres, en ressortirait grandie…
Ça devient important de le dire aujourd’hui ! C’était une préoccupation très forte de Koltès, qui était un grand voyageur – il disait que certains avaient le sens des affaires, alors que lui avait le sens du monde –, et ça se remarque dans sa langue : elle paraît familière, simple, mais il y a ce léger décalage, cette distance dans la syntaxe qui la rend un peu étrange et étrangère. D’ailleurs, Koltès a écrit presque toutes ses pièces à l’étranger. Il éprouvait le besoin d’être dans un pays dont il ne comprenait pas la langue. C’est une mise à distance qui sert beaucoup cette fonction de métaphore que j’évoquais précédemment.Vous avez construit le spectacle comme une sorte de grande bagarre de rue…
On retrouve très souvent le thème du combat chez Koltès. Dans son approche des personnages, il y a une notion de territoire très forte. Dans une note que j’aime beaucoup où il parle de Dans la solitude des champs de coton, il écrit : « si un chien rencontre un chat – par hasard, ou tout simplement par probabilité, parce qu’il y a tant de chiens et de chats sur un même territoire qu’ils ne peuvent pas, à la fin, ne pas se croiser », immédiatement, le chat hérisse le poil, le chien est aux aguets, et c’est l’avant-combat plus que le combat lui-même… Toute la pièce est ainsi, comme un avant-combat, avec l’idée de protéger son territoire de façon très animale. Koltès était un grand fan de kung-fu, il adorait Bruce Lee. Il y a chez lui cette notion qu’emploie Deleuze d’"être aux aguets", avec cette forme d’hypervigilance et d’incandescence.LE RETOUR AU DÉSERT
Jusqu’au samedi 16 janvier, à la MC2

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