Jan Lauwers : « J'écris sur l'humanité »

Spectacles / Comment est née la trilogie "Sad Face / Happy Face" ? Pourquoi "Le Bazar du homard" est-il si différent de "La Chambre d’Isabella" ? Et finalement, à quoi ça sert tout ça Monsieur Lauwers ?

Vous envisagez la scène comme un espace multidisciplinaire, en vous définissant aussi bien comme plasticien, auteur, metteur en scène…

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Jan Lauwers : C’est ma nature ! Je travaille toujours sur différentes pistes artistiques. Quand je suis dans mon atelier, j’écris, mais en même temps je fais des dessins, de la peinture, de la musique, des films… Je ne l’ai pas choisi, c’est quelque chose de très naturel.

Et cette pluridisciplinarité trouve sens avec les arts de la scène…

Au cours des vingt dernières années, le théâtre a pris une place très importante. Au début, je trouvais mon théâtre plutôt médiocre, mais j’ai réalisé au fur et à mesure que cet art est l’un des médias les plus importants, parce que justement, il peut englober tous les autres sur scène : les arts plastiques, la musique, la scénographie, les acteurs… C’est donc une discipline qui me plaît de plus en plus.

La trilogie est devenue trilogie a posteriori : vous avez d’abord créé La Chambre d’Isabella

Oui, tout à fait. Ensuite, j’ai monté Le Bazar du homard, et tout d’un coup, j’ai réalisé que j’étais en train d’écrire sur les mêmes thèmes : l’idée de perte, de désir, de chagrin… Bref, autour de l’humanité. Le directeur du festival de Salzburg m’a alors demandé une troisième partie avec les mêmes acteurs, et j’ai trouvé l’idée excellente. Par contre, je n’étais pas tellement convaincu du fait de les montrer à la suite… Mais dès qu’on l’a fait à Avignon, j’ai changé d’avis ! Parce que je pense qu’il existe une relation forte entre les trois, cela donne un autre contenu même.

Le Bazar du homard, second volet de la trilogie et spectacle sans fil narratif, semble avoir été conçu comme un contre-pied à La Chambre d’Isabella ?

Chaque pièce demande une nouvelle façon de travailler. Pour La Chambre d’Isabella, je voulais une histoire linéaire et une centralisation sur le plateau, alors que pour Le Bazar du homard, j’ai abandonné ces idées : j’ai donc interdit aux acteurs de prendre une place fixe sur scène, tout le monde doit bouger et il y a donc une autre sorte d’énergie, de communication. Artistiquement, je considère Le Bazar du homard comme le plus important des trois. Je ne veux pas dire que ce soit le meilleur, évidemment… Mais au sein de la trilogie, ce spectacle gagne beaucoup de poids.

Et puis il y a La Maison des cerfs, dernier volet de la trilogie et spectacle surréaliste partant d’un véritable drame – à savoir la mort au Kosovo du frère journaliste de l’une des danseuses. Ce n’est pas trop difficile de la confronter à la même souffrance à chaque représentation ?

Oui, c’était très dur. D’ailleurs, elle a décidé de ne plus jouer le spectacle et a quitté la compagnie, pour des raisons d’ordre privé. Elle voulait s’offrir un temps de réflexion, car à la fin, elle trouvait cette aventure trop intime…

Votre art se veut au cœur de la cité, même s’il verse dans l’onirisme ou le fantastique…

Je veux interroger le monde. Je pense que l’art doit entretenir une relation très importante avec la société. Chaque artiste doit être en son centre pour créer. Je ne vois donc pas du tout l’art comme une échappatoire, au contraire…


Le maître du monde

Les trois spectacles s’étalent sur 6h30. Entre chacun, un entracte pour permettre au public de reprendre des forces. Et avant chacun, Jan Lauwers qui présente sa compagnie, les nouvelles recrues… Car l’homme, à la tête de la Needcompany, travaille en groupe, écrivant pour ses interprètes qui le suivent de spectacle en spectacle. L’un d’eux ressort ainsi à chaque création : Viviane De Muynck, qui interprète Isabella, revient dans La Maison des cerfs, en mère protectrice. Cette notion de troupe est la force de Lauwers.

Né en 1957 à Anvers, notre homme, plasticien de formation (il a étudié à l'Académie des Beaux-Arts de Gand), fonde fin 1979, avec plusieurs autres artistes, l’Epigonentheater zlv (zlv pour "zonder leiding van", sous la direction de personne), avant de dissoudre ce collectif en 1985 pour créer la Needcompany avec Grace Ellen Barkey (chorégraphe attitrée de la Needcompany, elle est interprète sur Le Bazar du homard et La Maison des cerfs). Les spectacles de Lauwers, généreux, ont pour mission subliminale de renouveler le théâtre européen, notamment en confrontant pleinement tous les arts. Lauwers signe ainsi tout un travail plastique conséquent, magnifique sur Sad Face / Happy Face.

Toujours dans cette idée d’exploration, Lauwers lance en 1999 les Needlapb : « des rencontres permettant la présentation d'idées, d'observations, d'esquisses, de considérations diverses ». Le public découvre ainsi « différents projets à l’état d’ébauche, des expériences se frayant à tâtons un chemin vers la scène ». Un véritable artiste qui redonne un sens à la notion de spectacle vivant.

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