Butô deux fois qu'une

Depuis maintenant huit ans, la compagnie locale Encorps à venir propose des spectacles inspirés de la danse butô, dont la grande qualité est malheureusement proportionnelle à la discrétion de leur réception. Rencontre avec la chorégraphe / interprète Adéli Motchan, à l’occasion de la création de Sous la pluie noire. Propos recueillis par François Cau

Petit Bulletin : Qu’est-ce qui vous a poussée vers la danse butô ?
Adéli Motchan : A la base, je viens du cirque, où j’ai fait carrière pendant dix ans - en fait, jusqu’au jour où j’ai vu un spectacle de danse butô. Ça m’a complètement bouleversée, je savais que c’était ça que je voulais faire.

C’est un art très ancré dans l’Histoire d’un pays, des traditions culturelles qui ne sont pas les nôtres… Comment l’avez-vous adapté ?
Ce qui me plaît dans cette danse, c’est avant tout l’émotion, cette expressivité radicale. L’esthétique et le jeu d’acteur, c’est de ça dont je m’empare.

Le point de départ de la compagnie était de faire des créations in situ, mais vous vous retrouvez depuis quelques créations sur des scènes de théâtre…
J’aimerais pouvoir continuer à créer dans des lieux insolites. Nous avons eu la proposition du CCSTI il y a quelques années pour concevoir un spectacle à la Casemate, mais une fois qu’on a pris le parti de passer par la Mairie pour avoir du soutien, on nous a dit qu’il fallait faire du plateau. Donc je m’y suis mise, mais c’est vrai que ça me manque d’investir des espaces éphémères, de réfléchir à une scénographie originale… c’est ce que je préfère, en fait, investir un espace, conceptualiser son architecture.

J’ai eu l’impression que Sous la pluie noire était beaucoup plus porté sur la matière musicale que les créations précédentes de la compagnie, où les textures sonores étaient plus abstraites…
Oui, j’avais envie que ce soit comparable au fait d’écouter un album, ou plutôt de se retrouver à un concert. Sur les spectacles précédents, Laurent était seul, et Coco [Laurent Buisson et Franck “Coco Fruits“ Serpinet, par ailleurs membres éminents du groupe Rien, assurent la bande-son en live] a apporté quelque chose d’énorme. Ils se sont inspirés de ce qu’ils ont vu en répétitions, de la scénographie. Je ne les ai pratiquement pas dirigés, j’ai juste resserré quelques passages avec eux.

Pour la première fois, vous n’êtes pas seule sur scène…
J’ai voulu procéder comme ça parce qu’au bout d’un moment, les solos, ce n’est plus possible, il faut évoluer. Puis il y a l’aspect lié à la transmission, si on se dit chorégraphe, à un moment, il faut aussi se poser la question de savoir si on peut transmettre son univers à quelqu’un. C’était un challenge pour moi, et j’en suis finalement très contente. C’est limite si je n’en viens pas à souhaiter ne plus être sur le plateau et n’avoir que des interprètes !

Le spectacle se partage entre un personnage excessivement calme, contrôlé, et un autre hystérique. Dans la note d’intention, vous dites que l’un est la représentation mentale de l’autre. Je me suis demandé tout du long duquel il s’agissait !
Ça peut être l’un ou l’autre en fonction de la sensibilité de chacun. Mes univers sont toujours un peu abstraits, absurdes, c’est au spectateur de s’en emparer, ou pas. Je sais que c’est particulier, avec une première scène plutôt rude, mais sa lenteur extrême procède d’une exigence, que je demande aussi au spectateur…

Dans toutes vos créations, je suis en empathie avec ce qu’il se passe sur scène, et là, cette retenue, cette décomposition du geste après une toute première image très forte, ça m’a mis très mal…
Oui, il y a une tension…
… qui fonctionne très bien (rires). C’est aussi pour ça que je voulais qu’on se voie cette fois-ci, qu’on repose les partis pris de la compagnie plutôt que de ne donner que mes interprétations dans une critique…
D’accord… Je reconnais que c’est intrigant. On n’est pas dans le film d’horreur, mais pas loin !

En même temps, en parlant avec les musiciens, ils me disaient s’être inspirés de John Carpenter, en utilisant notamment les mêmes claviers
C’est vrai que la première scène peut avoir des faux airs de films de Carpenter !

Et donc sinon à l’avenir, on vous verra moins sur scène ?
Il me reste des envies, mais c’est peut-être trop d’être seule sur scène, de porter le projet, d’en faire la mise en scène, de s’occuper de la scénographie, dire je veux ci, je veux ça… Le côté multicartes peut avoir ses avantages mais je pense aussi que ça peut être très bien de ne se concentrer que sur une chose – en l’occurrence, la mise en scène. Je ne dis pas que j’arrête de danser, je suis en réflexion sur le devenir. Après, les spectacles ne tournent pas, ne se vendent pas… Vous avez une idée de la raison ?
Non. On me dit souvent que le travail est bien, mais…

… derrière ça ne suit pas… Les diffuseurs ne se déplacent pas ?
C’est ça. Là, on essaie, on a enfin une chargée de diffusion – je sais que c’est aussi une question de moyens, on en a peu. Il y a une reconnaissance du public mais ça n’éclate pas, jouer en dehors de Grenoble, ça ne se passe pas. Je ne sais pas, c’est peut-être trop atypique, ou alors il y a un problème avec les formes émergentes… Je crois malheureusement que c’est la réalité du spectacle vivant aujourd’hui.

Sous la pluie noire
Jusqu’au samedi 26 mars, à la Salle Noire

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