« Un oracle de l'époque »

THÉÂTRE/ Le metteur en scène Moïse Touré, grenoblois sans cesse en vadrouille sur les scènes internationales, a momentanément posé ses valises à Saint-Martin-d’Hères le temps d’un cycle consacré à Koltès, auteur de théâtre passionnant disparu il y a vingt-deux ans. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Petit Bulletin : Pourquoi monter Bernard-Marie Koltès aujourd’hui ?
Moïse Touré : Il y a comme une nécessité : relire son œuvre. Car il ne faut pas oublier que quand Koltès apparaît sur les scènes françaises avec les mises en scène de Chéreau, il y a de l’engouement, de l’attirance, mais aussi, d’une certaine manière, une difficulté de lecture de ce qu’il racontait. Pour moi, il avait un côté visionnaire, comme une espèce d’oracle de l’époque. Vingt ans après, il est donc intéressant de revenir sur l’œuvre. De cette expérience-là sont sorties cinq formes, dont trois seront présentées à Saint-Martin-d’Hères. Elles ont été pensées et créées à l’étranger pour la majorité d’entre elles…
Oui, parce que je souhaitais voir comment l’extérieur appréhendait Koltès. Quand on le voit de France, on est dans le raccourci : on l’imagine comme un auteur classique ! Je voulais donc qu’on le regarde d’ailleurs, puisque pour moi, c’est une œuvre qui permet véritablement une ouverture vers l’extérieur. Une œuvre qui donne les moyens d’une confrontation, et aussi d’une compréhension du monde. C’était intéressant d’aller le faire en Afrique, au Japon, à Mayotte : de multiplier les points de vue, et de regarder comment il était entendu là-bas.Tout en essayant de rester fidèle à la pensée même de Koltès…
Koltès était ouvert sur le monde ! Dans Quai ouest par exemple, que j’ai monté au Japon, il utilise le quechua [langue parlée entre autre au Pérou – NDLR], alors qu’à l’époque, on ne savait pas du tout ce que c’était. Dans ses pièces, il utilise des personnages arabes, des Noirs ; mais aussi des marginaux, des bourgeois… Il y a vingt ans, on pouvait trouver ça très loin de nous, très étranger à nos préoccupations. Il posait la question de notre identité, des territoires, de la mondialisation, du commerce : des questions vues à l’époque comme éloignées. Alors qu’aujourd’hui, on est en plein dedans.Dans La Nuit juste avant les forêts, l’une des trois pièces présentes à l’Heure Bleue, vous avez associé un chœur d’amateurs de Saint-Martin-d’Hères à la création…
Je n’avais jamais travaillé ce texte – l’un des premiers de Koltès officiellement. Parce que c’est un monologue, parce que je n’avais pas la lecture de cette chose. Maintenant, je le vois plutôt comme une œuvre polyphonique. Cette parole de l’errance – on est dans la nuit, il pleut –, n’est pas pour moi celle d’un seul individu, mais d’un corps doté de plusieurs voix. C’est le monde qui parle, à travers la question des travailleurs, la revendication presque révolutionnaire du peuple… Sous forme d’ateliers, on a donc convoqué des amateurs, de tous horizons, pour leur donner des bases de réflexion sur l’œuvre, et travailler aussi d’un point de vue dramaturgique… Ce qui, plus que le spectacle final, permet d’ouvrir un espace audible pour qu’ils expérimentent la question de la création artistique.Pour finir, on vous voit beaucoup moins à Grenoble depuis un certain temps [avant son parcours international, il avait travaillé avec des figures locales comme Chantal Morel, Georges Lavaudant, …]. Pourquoi ?
Je suis de Grenoble. La compagnie est née à Grenoble, et ce n’est pas rien pour moi. Ce n’est pas juste une plaque de boîte aux lettres. Donc, ce que je suis aujourd’hui, je le dois à Grenoble. J’ai besoin de lien avec cette ville – et il y a quand même eu une dizaine d’années où je ne suis pas sorti de Grenoble ! Maintenant, certes, je suis moins présent, mais encore un peu – comme quand, la saison dernière, j’ai travaillé avec les Barbarins pour mener là aussi un travail d’ateliers avec des amateurs. Aujourd’hui, je suis moins dans des logiques de programmation. Je travaille sur quatre-cinq ans, sur des œuvres de façon plus globale, et je cherche des théâtres capables de répondre à ces enjeux-là… Quand on voit le travail mené à Saint-Martin-d’Hères avec des amateurs, la résidence dans un collège, les trois formes que l’on va présenter… : c’est ça un projet pour moi. Je ne suis pas dans une logique de production spectacle par spectacle, ce qui change beaucoup de choses. En plus, la question du théâtre à Grenoble pour des compagnies comme la nôtre, qui n’est ni émergente, ni de taille moyenne, est un peu compliquée. On n’est pas identifié : quand tu es en émergence, on sait à peu près de quoi il s’agit ; quand tu es entre-deux, tu es en train d’avancer, tu n’a pas encore fait la Maison de la culture… Mais pour nous, il est difficile de trouver une place…KOLTES, LA QUÊTE DE L’AUTRE
Vendredi 1er avril (Tabataba), mardi 5 (La Nuit juste avant les forêts), et jeudi 7 (Dans la solitude des champs de coton), à 20h, à l’Heure Bleue (SMH)

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