« Le mouvement arrive en premier »

Le chorégraphe et danseur britannique Akram Khan va entamer une collaboration de trois ans avec la MC2 en tant qu’artiste associé. On en a profité pour le rencontrer. François Cau et Aurélien Martinez

C’est un gros coup que vient de faire la MC2 : s’associer, pendant trois ans, avec le chorégraphe britannique d’origine bangladaise Akram Khan. Une véritable star à l’aura internationale, réputée pour son approche originale de la danse contemporaine, qu’il mêle au kathak indien, appris dès l’enfance. Un artiste que l’on a souvent pu apercevoir sur les scènes françaises, notamment lorsqu’il a créé en 2006 Sacred Monsters avec la danseuse et chorégraphe Sylvie Guillem ; ou quand, en 2008, il a monté un duo avec la je-sais-tout-faire Juliette Binoche. Un homme qui croit ouvertement aux pouvoirs de la danse, seule façon selon lui de dire la vérité dans « un monde verbal où tout le monde ment ». « Je ne me considère pas comme pessimiste, j’essaie d’être honnête : c’est ma manière de voir les choses. Si une personne me dit que l’on vit dans un beau monde, je ne la considère pas comme optimiste, mais comme idiote. Aujourd’hui, les mots sont de plus en plus manipulés. Pour s’approcher d’une forme de vérité, on doit s’en remettre à l'expression corporelle. Notre verbalisation passe par le filtre de nos opinions politiques, religieuses, le mouvement ne pouvant justement pas passer par ces filtres pour se produire. Ce que je dis, c’est qu’avant que les mots ne sortent, le mouvement arrive en premier. Peter Brook [metteur en scène qui l’a dirigé étant adolescent – NdlR] le pense aussi. Il dit que tout, aujourd’hui, vient du mouvement. Ça touche à une pureté comme celle d’un enfant, d’un bébé. »

Exception culturelle française

Une vision du monde et de l’art qu’Akram Khan exposera à la MC2, scène où il devient artiste associé, tout en le restant parallèlement au prestigieux Sadler’s Wells de Londres. Ce lien avec une maison française n’est pas le fruit du hasard, bien au contraire. « Je voulais travailler en France depuis longtemps. J’ai passé du temps dans ce pays, j’y ai beaucoup joué. Ce qui me touche ici, c’est le profond respect pour la culture, qui est plus marqué qu’en Angleterre par exemple. Certes, en Angleterre, il y a des travaux et des artistes importants, mais la culture est "marchandisée". Alors qu’en France, il y a toujours cet émerveillement pour l'art. » D’accord. Et pourquoi s’unir avec la MC2 plutôt qu’un théâtre parisien par exemple ?  – ah, le grand centralisme culturel français ! « Je ne me connecte pas avec une institution, mais avec une personne, un caractère. Toute l’équipe du Sadler’s Wells forme un personnage. C’est la même chose avec Grenoble, avec la MC2 : je me suis tout de suite entendu avec Michel Orier, le directeur, et son équipe. » Comment cette association prendra-t-elle forme alors ? « C'est une sorte de résidence de trois ans. Ce qui veut dire que je présenterai des pièces créées sur place. Par exemple, j’y ai élaboré mon projet le plus récent, Desh. Malheureusement, je ne pourrai pas le montrer parce que c’est un solo et que je me suis récemment sérieusement blessé. Mais d’autres choses pourront aussi émerger, notamment en ce qui concerne la musique : mon rapport à la musique est très important, le but étant de faire évoluer ce rapport vers de nouvelles choses. Je vais aussi mener des ateliers avec des jeunes : mes danseurs enseigneront, partageront leurs expériences. Je cherche surtout des relations les plus ouvertes possibles. »

Renaissance ?

Akram Kahn s’est donc blessé au talon d’Achille en janvier dernier, lors d’une répétition de Sacred Monsters dont les représentations étaient prévues à Paris pour début 2012. Deux des trois spectacles qu’Akram Khan devait dévoiler à Grenoble en ce mois de mars, et dans lesquels il était aussi interprète, sont logiquement annulés – du moins reportés à la saison prochaine. « C’est assez traumatisant parce que c’est ma première vraie blessure. Je ne pourrai pas remonter sur scène avant 4-5 mois. Mais je me prépare doucement pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres, pour laquelle je collabore avec Danny Boyle, qui est le directeur artistique de la cérémonie. Il faut que je travaille très dur en rééducation. Maintenant, ce n’est plus mon corps mais mon esprit qui danse. C’est un moment très important pour moi… Si je ne m’étais pas blessé, mon esprit ne pourrait pas danser comme aujourd’hui. C’est peut-être un nouveau commencement ou une nouvelle façon d'appréhender le mouvement qui s’offre à moi. » En attendant d'entrevoir la teneur de ce changement, le public grenoblois pourra tout de même découvrir Vertical Road, grande fresque pour huit danseurs chorégraphiée par ses soins. Une création monumentale, qui offre une vision grandiose (mais néanmoins parcellaire) du talent d’Akram Khan, ici véritable sculpteur du mouvement – « tout à fait, je suis content que vous pensiez ça ! ». Avant d’autres aventures…

 

Repères

1974 : Naissance à Londres.

Fin 80/ début 90 : Il commence la danse à l’âge de 7 ans avec Sri Pratap Pawar, célèbre danseur et professeur de kathak (style classique du nord de l’Inde). Il décroche son premier rôle à 14 ans dans Mahâbhârata, pièce de Peter Brook. Il intègre ensuite Parts, le laboratoire de création d’Anne Teresa de Keersmaeker.

2000 : Il fonde l’Akram Khan Company. Rush est sa première chorégraphie. Il obtient très vite une reconnaissance internationale, notamment avec des pièces comme Kaash ou Ma.

2005 : Il crée et danse Zero Degree, duo avec Sidi Larbi Cherkaoui. Puis il collabore avec Sylvie Guillem, Juliette Binoche, le Ballet national de Chine… et même Kylie Minogue, à qui il écrit une chorégraphie pour l'une de ses tournées.

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