Gare aux gorilles

Adaptation libre d’une nouvelle de Franz Kafka, Le Gorille est un spectacle fascinant mis en scène par la légende du cinéma Alejandro Jodorowsky, et interprété par son fils Brontis. Rencontre avec ce dernier pour évoquer la pièce. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Un gorille est récompensé par une illustre académie pour avoir acquis la parole, à l’image d’un véritable être humain. Il délivre donc un discours sur son nouveau statut, discours néanmoins empli de désillusions. Pour camper cet animal devenu homme, le réalisateur, acteur et metteur en scène Alejandro Jodorowsky a fait appel à son fils Brontis, qui livre une heure durant une prestation sidérante.

Le Gorille est une relecture de la nouvelle Rapport pour une académie de Kafka
Brontis Jodorowsky : Mon père a commencé à lire très jeune. Vers huit ou neuf ans, il a lu cette nouvelle qui l’a beaucoup marqué, parce que c’est l’histoire d’un être qui est dans une forme d’enfermement, qui pour être accepté doit devenir quelqu’un d’autre, changer sa nature intérieure. En tant qu’enfant d’immigré, mon père s’est identifié à l’histoire de ce singe. C’est une nouvelle un peu désespérante parce que le petit singe subit une transformation, il arrive à acquérir la parole humaine, et il est reconnu par l’académie non pas parce qu’il est devenu un homme mais parce qu’il a appris à parler. Il devient alors une espèce de phénomène de music-hall, et ça s’arrête là, dans une autre forme d’enfermement. Mon père était sorti de la lecture complètement anéanti !

D’où son envie de ne pas monter le texte tel quel…
Nous ne défendons pas un théâtre déprimant ! Donc oui, la moitié du texte est une adaptation, l’autre moitié, plus sombre, venant directement de Kafka. On a ainsi décidé de poursuivre l’histoire, pour que la star de music-hall continue de se développer en tant qu’être humain, acquière l’état d’homme, et réussisse à s’en sortir en prenant conscience d’elle-même.

Le spectacle parle d’un animal qui devient homme en gommant son passé primitif. Mais on peut aisément dépasser cette lecture pour trouver un message plus universel…
Tout à fait. Le thème essentiel, c’est l’effort que l’on doit faire pour être accepté par les autres, cet effort passant par la négation de ce que l’on est réellement. Mais cette acceptation est plus une tolérance, car on ne devient jamais vraiment autre chose que ce que l’on est. Évidemment, ça peut s’appliquer aux réfugiés, aux immigrés… Ça peut aussi s’appliquer socialement : on doit ainsi adopter un certain nombre de comportements pour être accepter. On peut prendre l’exemple d’homosexuels qui construisent toute une vie qui n’est pas la leur. Évidemment, il y a processus nécessaire d’intégration, puisque nous sommes des êtres sociaux, mais la pièce dénonce quand on va au-delà, quand ce processus nous amène à renoncer à ce que nous sommes réellement.

Malgré votre envie de ne pas faire un théâtre déprimant, votre regard sur la société est tout de même sombre…
C’est un regard sombre, absolument. Pourtant, nous pensons que l’art n’est pas seulement là pour dire que la vie est une merde, mais aussi pour proposer des formes d’espoir, d’ouverture… Notre portons un théâtre qui ne doit pas donner la solution des problèmes, mais mettre en avant ces problèmes. Même si à la fin de la pièce, nous ouvrons une porte, pour montrer qu’il y a une possibilité de sortie…

Votre interprétation du singe est très physique, et dépasse le simple fait d’être grimé en animal…
Mon interprétation part du corps. Le maquillage, c’est simplement une sorte de masque. Quand on a un masque, c’est le corps qui est impliqué. Il était important de trouver comment rester sur le fil entre l’animal et l’homme : jamais trop l’un, jamais trop l’autre, pour que ça ne soit pas une caricature. Il ne s’agit pas de faire des singeries sur scène ! Ça va jusqu’à la fin de la pièce, où pour saluer, j’enlève ma perruque. On va au bout du processus en disant : c’est un singe qui est devenu un homme, mais c’est aussi un acteur qui est devenu un homme.

Le Gorille, vendredi 27 avril à 20h30, à l’Espace Paul Jargot (Crolles).
Aper’art avec le scientifique Albert Jacquard autour des thèmes abordés par Le Gorille, jeudi 26 avril à 19h30. Entrée libre.

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