Un grand comédien ou rien

Festival d’Avignon (4) / Olivier Balazuc, et Lina Saneh & Rabih Mroué

Ça ressemble à une promesse. Sur une affiche (de couleur verte fluo, démarcation dans la faune d’Avignon oblige), apparaissent les noms de l’auteur Laurent Binet et de l’acteur Olivier Balazuc. Encore fallait il que l’alchimie prenne. Opération réussie sur HHhH, prix Goncourt du premier roman en 2010. Un simple lit pour décor suffit à figurer l’univers du narrateur, auteur d’un roman sur la  tentative d’assassinat de Reinhard Heydrich, à Prague en 1942 par deux résistants. Heydrich n’était rien moins que le cerveau de Himmler selon la traduction de l’acronyme HHhH (Himmler Hirn heisst Heydrich). Et peu à peu, l’effroyable personnage prend une place maniaque dans la vie de l’écrivain au point que sa compagne (Leslie Bouchet, parfois un rien trop poseuse) fuit ce domicile conjugal (le clin d’œil à Truffaut est inscrit dans la mise en scène). Olivier Balazuc, comédie de haute volée qui avait récemment sauvé du naufrage le Roméo et Juliette d’Olivier Py, s’investit totalement dans son rôle au point de livrer un monologue à couper le souffle dans la dernière demi-heure. Il porte les doutes de l’écrivain et de Binet lui-même qui questionne avec pertinence la question de la « fictionnalisation » de la réalité. Jaloux de la matière de Jonathan Littell dans les Bienveillantes et maniaque de la description, le narrateur est obsédé par la véracité de la restitution des faits. La voiture de Heydrich était-elle noire ou verte foncé ? Comment distingue-t-on ces deux couleurs sur une photo en noir et blanc ? La folie rode et l’acteur se magnifie dans une mise en scène de Laurent Hatat qui apporte avec ingéniosité du texte sous forme vidéo, en appui au propos (insertion des références des livres cités...). « Pour quoi que ce soit persiste dans la mémoire, il faut le transformer en littérature » admet dépité le narrateur. Le débat reste ouvert mais une chose est sûre : transformé en théâtre, le roman gagne une force indéniable.

Chut !

Difficile d’évoquer 33 tours et quelques secondes sans trop en dire. Cette pièce du duo libanais Lina Saneh et Rabih Mroué est tout simplement une forme de spectacle que nous n’avons jamais vu. D’acteurs il n’y a pas. A aucun moment. Et pourtant, des vies défilent sous nos yeux, en voix, en images. Via Jacques Brel sur un vinyle grésillant, via des sms ou une page facebook projetée en fond de scène, la vie de Dyaa s’écrit sous nos yeux .Au grès des commentaires qui se succèdent sur le site du réseau social le plus connu au monde, on plonge dans la révolution arabe. La télé diffuse quelques images de Ben Ali, Moubarak, Kadhafi mais surtout c’est bien à travers ces messages courts qui défilent que l’on apprend que Dyaa est mort. Suicidé. Ou... peut-être en fuite. Ses amis virtuels (plus de 3000 au compteur !) le couvrent de la formule tarte à la crème, RIP, d’autres contestent sévèrement son radicalisme, son anarchisme et son souhait de ne pas voir son corps confisqué par la religion. Ses vrais amis promettent de continuer le combat et surtout en font le Mohamed Bouazizi libanais. Lina Saneh et Rabih Mroué réussissent un tour de force en ne palquant aucun grand discours sur ces révolutions. Ils les restituent telles qu’elles sont nées : sur la toile, anonymement. Au commencenent, elles étaient décharnées, désincarnées qu’à ce que les rebelles se fassent dégommer place Tahrir ou avenue Bourguiba. Au Liban, le renversement n’a pas eu lieu, mais le corps des contestataires n’a pas été épargné pour autant. Dans ce pays du pourtour méditerranéen, les idées de liberté se payent au prix de la vie. Si le constat n’est pas nouveau, la manière de le dire et de le montrer est radicalement neuve. Sans que le moindre humain de ne traverse le plateau, ce spectacle déroutant se révèle infiniment émouvant.

Nadja Pobel

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