Les temps très modernes

Hold on



ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Présenté dans le cadre du Festival international de théâtre action, le spectacle "Hold on" de la compagnie Le Laabo est une brillante analyse du monde du travail actuel et de sa standardisation à outrance. Une analyse menée avec une approche presque chorégraphique et non dénuée d’humour qui fait toute sa force. Rencontre avec la metteuse en scène Anne Astolfe pour en savoir plus. Propos recueillis par Aurélien Martinez

« Souris, ça s’entend » : une injonction que Dominique, un manager, lance à Dominique, un employé d’une plate-forme téléphonique qui n’a pas mis assez de cœur à l’ouvrage lors de son dernier appel. Alors que les consignes sont on ne peut plus claires. Hold on de la jeune compagnie Le Laabo, c’est ça : un spectacle sur le monde du travail qui fait froid dans le dos par son sens du réalisme tout en convoquant un humour noir très théâtral. Un choix assumé par la metteuse en scène Anne Astolfe : « Tout le monde connaît la difficulté et la souffrance présentes dans le monde du travail... J’ai voulu voir comment cela fonctionnait pour en rire ; pour dépasser le témoignage pleurnichard façon "les patrons sont des méchants et les salariés des victimes". Passer par l’humour permet de dévoiler la complexité des rapports humains. »

C’est justement l’une des grandes réussites de ce Hold on rempli de phrases tout droit sorties d’un guide du parfait manager – « La convivialité c’est je te tutoie tu me tutoies on se tutoie ; c’est beaucoup plus sympa » – qui, dans la bouche des comédiens, prennent une savoureuse tournure comique.


Charlot 2.0

Première création de la compagnie, Hold on ne devait pas forcément être une pièce sur des enjeux sociaux. « Le Laabo a été créé en 2010 pour chercher autour du mouvement et du jeu, notamment en utilisant la contrainte. Au départ, j’ai fait travailler les comédiens sur des phrases gestuelles pour voir comment, en ayant une phrase commune, le comédien trouve sa liberté et sa personnalité dans la contrainte. Cette phrase gestuelle, je l’avais placée autour d’un bureau : un geste est alors arrivé et nous a tout de suite fait penser aux plates-formes téléphoniques. Du coup, on a embrayé sur le prénom unique. Ça nous a fait rire, puis on a réfléchi aux conséquences plus sombres en termes d’identité, sur l’individu et sur l’intime... Tout est donc parti du mouvement et de la contrainte, ce qui nous a amenés au monde du travail : ce n’est sans doute pas un hasard ! »

L’ensemble des comédiens (trois, dont la metteuse en scène) sont passés par l’école parisienne Jacques Lecoq, qui a pour objectif « la réalisation d’un jeune théâtre de création, porteur de langages où le jeu physique du comédien soit présent » (extrait du site internet). Une ambition qui prend tout son sens avec Le Laabo, la pièce commençant par une incroyable chrographie d’opérateurs téléphoniques où les phrases d’accroche – « oui bonjour, Dominique Lambert de la société MCRA France. Je me permets de vous appeler suite à une campagne... » – sont répétées en canon. Une scène d’ouverture qui plante d’emblée le décor de cette déclinaison théâtrale et actualisée des Temps modernes de Charlie Chaplin, où Charlot serait lâché dans un monde déshumanisé et dématérialisé – les comédiens ont une table, une chaise et un téléphone, point. Une scénographie minimale néanmoins remarquablement pensée, avec une importante recherche autour du son et de la lumière.

« Éviter le cliché »

Si le sujet de la pièce s’est imposé au fur et à mesure, il n’a pourtant pas été pris à la légère par l’équipe de création. « Au départ, on a cherché dans la littérature, on a rencontré des gens, mais il nous manquait toujours une réelle connaissance quand on arrivait au plateau. On ne savait pas exactement comment cela fonctionnait sur les plates-formes. On voulait éviter le cliché, d’où notre idée d’aller voir ça de nos propres yeux. On a fait des faux CV, on a passé des entretiens, on les a parfois ratés, parfois réussis... On a vraiment joué le jeu : si on y était allés en tant que comédiens-observateurs, ça aurait faussé le truc. On s’est donc fait embaucher pour ensuite ramener une matière ressentie au plateau et la transposer théâtralement. On a eu des expériences différentes – certains dans la vente, moi à la Sofres où j’ai fait des enquêtes... – mais on a tous retrouvé les mêmes procédés managériaux : la mise en concurrence, les gens sur écoute, le temps très resserré... » Des procédés qui, sur scène, sont au cœur des relations entre les trois comédiens, comme lors de cette incroyable séquence autour d’un sapin de Noël qui reviendra à l’employé le plus efficace. « Tout ce qui est dans le spectacle est vrai. »

« Tenir le coup » 

Hold on peut donc se voir comme un spectacle politique ? « C’est la grande question ! Ce n’est pas un spectacle militant en tout cas. J’estime que mon engagement sur le plateau est artistique ; c’est mon boulot d’interroger avec le théâtre le monde qui nous entoure. » D’autant plus que l’univers ausculté n’est pas dénué de théâtralité, les salariés devant jouer un rôle – le prénom unique afin que « le client tombe toujours sur la même personne », la nécessité de respecter un script digne d’une pièce de théâtre (« Je préfère que tu lises ton script et que tu trouves ta liberté à l’intérieur » explique un manager à un employé), le nécessité de faire preuve de conviction... Anne Astolfe : « Dans les différentes entreprises où l’on a bossé, on nous disait de mette le ton comme au théâtre, ce qui était assez comique pour nous comédiens ! »

Mais malgré cette vision très sombre du monde du travail, la pièce n’est pas le brûlot attendu, le sujet étant traité avec subtilité, notamment en ne définissant pas de rôle précis. Chacun est ainsi tour à tour manager et simple salarié, manipulateur et manipulé ; sachant que le manipulateur peut ensuite se retrouver manipulé, comme dans ce tableau où un petit chef se voit formé au licenciement par son supérieur. « L’idée n’est pas de dire que les patrons ou les managers sont des salauds, car tout le monde est pris en tenaille par le fonctionnement. Nous les premiers : quand on a travaillé dans ces plates-formes, on s’est aussi pris au jeu. Très vite, on a senti que l’on se faisait avaler par cette espèce de machine. » Une ambivalence qui se retrouve dans le titre du spectacle. « Il y a vraiment deux sens : le professionnel "ne quittez pas" renvoyant aux plates-formes téléphoniques, et le plus intime "il faut tenir le coup, accrochez-vous". » Un message moins anodin qu’il n’y paraît, et du coup véritablement politique, que la compagnie va poursuivre dans (Ex) Limen, sa seconde pièce qui traitera du processus de placardisation en entreprise. On imagine que la matière est malheureusement là aussi énorme.

Hold on, mardi 18 novembre à 20h à l’Odyssée (Eybens). Dans le cadre du Fita, Festival international de théâtre action

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