La recette du bonheur

Sur le chemin d'Antigone

La Rampe

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Avec "Sur le chemin d’Antigone", le metteur en scène Philippe Car a conçu un spectacle joyeux et brillant partant d’un mythe plus tout jeune. Comme il l’avait fait avant avec des textes de Molière, Corneille ou encore Shakespeare. Du coup, à l’occasion de son passage par la Rampe d’Échirolles, on lui a passé un coup de fil pour connaître sa méthode si efficace. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Depuis 2007, une compagnie de théâtre se confronte à tous les textes du répertoire avec un talent certain. Son nom ? L’Agence de voyages imaginaires. Son boss ? Philippe Car, ancien Cartoun Sardines (compagnie mythique fondée dans les années 80 avec son acolyte Patrick Ponce) à la fois metteur en scène et comédien. Sa méthode ? Prendre des œuvres classiques emblématiques, en garder l’idée principale et la trame avant de les réécrire partiellement ou entièrement pour concevoir des spectacles drôles et terriblement efficaces. Entre les mains de Philippe Car, ce théâtre pouvant être vu par certains comme poussiéreux et daté est on ne peut plus vivant.

« Ce n’est bien sûr pas la seule façon de transmettre ces textes. Il y a une manière un peu muséographique, avec le texte dans son intégralité et en costumes d’époque. La Comédie-Française est là pour ça : je trouve ça intéressant d’un point de vue d’archives, pour voir comment c’était à l’époque. Par contre, pour vraiment toucher le spectateur d’aujourd’hui de la même manière que l’auteur l’avait voulu à son époque, il faut aller un peu plus loin. » Et donc du côté de la réécriture de ces auteurs du patrimoine : un procédé qui a de quoi faire bondir ceux qui estiment qu’on ne doit surtout pas toucher aux mots des grandes figures de la littérature, sous peine de les dénaturer (voire de les trahir).

« Le public a évolué »

Une peur que Philippe Car balaye d’un revers de main. « J’estime qu’il est plus irrespectueux de monter un texte dans son intégralité que de l’adapter aux spectateurs d’aujourd’hui comme nous le faisons. Ce qui était important pour l’auteur est plutôt ce qu’il a voulu raconter que les mots eux-mêmes. Ne pas toucher aux textes classiques, c’est ne pas tenir compte que le public a évolué. Corneille a par exemple écrit Le Cid il y a 300 ans, pour un public d’il y a 300 ans. Il y a des passages difficiles. On les a passés à la moulinette pour les faire comprendre aux spectateurs [la compagnie était venu jouer son Cid à l’Hexagone la saison passée – NDLR]. On coupe aussi beaucoup, comme on est dans un contexte différent. Les gens sont plus concentrés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a 300 ans, où ils rentraient et sortaient du théâtre pendant la représentation. Il fallait du coup beaucoup répéter les informations, ce qui n’est plus utile aujourd’hui… »

Un travail de réécriture qui a aussi été fait par des pontes du théâtre. « Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Anouilh a réécrit Antigone parce qu’il y voyait l’écho de quelque chose qui se passait pendant la guerre. Il l’a donc adaptée à sa façon, sans trahir le mythe. On a fait pareil avec Sur le chemin d'Antigone, qui part du texte de Sophocle mais qui est très réécrit. » Un travail proche aussi de ce qui se fait aujourd’hui avec le théâtre de répertoire étranger, constamment retraduit – il n’existe pas de traduction figée pour chaque pièce de Shakespeare ou de Brecht.

« Un bonheur pour le spectateur »

Avec cette recette, Philippe Car met en place un théâtre du plaisir qui fonctionne magnifiquement. « Le théâtre est sacré, c’est un temple. Mais il ne faut pas que les gens aient peur d’y entrer, en leur laissant penser que ce qui se fait à l’intérieur n’est pas pour eux. Quand on fabrique du théâtre, il y a une donnée capitale : ça se doit d’être un bonheur pour le spectateur, même si on est sur des tragédies. Je défends quelque chose de populaire. J’habite dans un quartier populaire de Marseille, j’ai des voisins qui sont dockers. J’essaie de me mettre à leur place. Quand je leur ai dit de venir voir Le Cid, ils ont pris peur, pensant que ce n’était pas pour eux. Et finalement, ils ont adoré ! » Sa démarche est ainsi parfaitement rodée, que ce soit avec des grandes formes à plusieurs interprètes (il jouait le rôle principale du Cid) ou des spectacles avec une seule comédienne qui campe tous les personnages – comme dans Sur le chemin d’Antigone, cette semaine à la Rampe.

Mais après tout ce temps et ces nombreuses mises en scène au compteur, Philippe Car n’a-t-il pas envie d’aller voir ailleurs, notamment du côté des textes d’aujourd’hui ? « Pour l’instant, il n’en est pas encore question. Les prochaines créations seront ainsi Le Conte d’hiver de Shakespeare puis un texte d’Edmond Rostand, sa famille nous ayant contactés. Les textes viennent souvent à nous d’ailleurs, des directeurs de théâtre nous disent qu’ils aimeraient bien nous voir adapter tel ou tel auteur. On est un peu portés par notre manière de faire, sachant qu’on a pas mal d’expérience maintenant dans le domaine. On a un tel plaisir à mener ce travail, ça plaît au public, ça nous semble important dans le faire : il n’y a pas de raison qu’on fasse autre chose. Même s’il n’y a pas de raison qu’on ne fasse pas autre chose ! »

Sur le chemin d’Antigone, jeudi 22 janvier à 20h, à la Rampe (Échirolles)

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