Regards sur l'Afrique

Théâtre / Après une première en petit comité, mais réussie, au Théâtre Prémol, la compagnie des Inachevés propose plusieurs rendez-vous autour de la littérature africaine à Grenoble et dans les environs. On a échangé quelques mots avec Moïse Touré, metteur en scène.

Il y a les signatures les plus illustres : Léopold Senghor, Ahmadou Kourouma ou Amadou Hampâté Bâ. Hommes et femmes, d’autres les côtoient, de toutes les générations d’auteurs africains. Le spectacle que propose actuellement la compagnie grenobloise des Inachevés est un vrai régal pour les curieux de littérature. Sur scène, le dispositif est minimaliste : pas de décors, des comédiens assis, un danseur qui se lève parfois pour accompagner le texte et, pour le bonheur des mélomanes, un griot qui joue d’un instrument à cordes traditionnel.

Traversée – c’est le nom de cette belle heure de théâtre dansé et musical – place sur le devant de la scène un continent que l’on laisse encore trop souvent de côté. Existe-t-il vraiment ? Dès les premiers instants, l’interrogation est lancée au public, qui s’en saisira peut-être. « C’est une bonne question, juge Moïse Touré, metteur en scène. Le mot Afrique lui-même ne vient pas des Africains. Il ne faut pas avoir peur de dire que nous avons été désignés. D’où la question de savoir qui je suis et comment je me désigne moi-même. L’Afrique, ce sont des cultures, des régions, des histoires, des langues différentes. Cette diversité fait qu’il n’y a pas une Afrique, mais des Afriques. Pour ma part, je ne peux apporter qu’une réponse poétique. »

« Réactualiser nos connaissances »

Le moins que l’on puisse écrire, à présent, c’est que c’est réussi. Sa grande sobriété technique n’empêche pas Traversée d’être un spectacle envoûtant, dont on ne ressort qu’à regret, tant le souhait d’en entendre davantage nous saisit une fois le rideau retombé. Moïse Touré en parle volontiers comme de la résultante de son envie de transmission : « Ce spectacle est une manière de réactualiser nos connaissances sur l’Afrique. Il y a les anciens, bien sûr, mais, de tous temps, les Africains ont écrit. Quelles que soient les générations. Je trouve cela important : ce qui s’écrit aujourd’hui doit être entendu. Traversée est une façon de montrer la vivacité intellectuelle et imaginaire du continent. » Surprise : les textes eux-mêmes s’éloignent parfois de l’Afrique. L’un de ceux que nous avons entendus a pour auteur un certain Michel, originaire du Burkina Faso, et parle… de la Syrie ! Preuve s’il en fallait que les artistes d’Afrique sont connectés au monde entier. « Il y a d’autres façons de parler de l’Afrique que celle des journaux. Nous proposons au public de prendre de nos nouvelles autrement. »

« La vie continue »

Autre particularité du spectacle : il associe plusieurs langues au français. On entend ainsi du bambara, la langue du Mali, de la Guinée et de la Côte d’Ivoire, du dioula, une forme populaire, du mossi, parlé au Burkina Faso, du wolof sénégalais, du peul utilisé par les nomades… et ce n’est pas si surprenant. « Nous avons commencé à créer ce travail à Bodo-Dioulasso et à Ouagadougou, les deux grandes villes du Burkina Faso, raconte Moïse Touré. Certaines personnes là-bas ne comprennent pas le français. Notre idée était de faire une proposition poétique où, quelle que soit leur langue, les gens pourraient se retrouver aussi. Certaines rencontres ont été violentes, avec notamment la colonisation, mais la vie continue. Ce genre de travail permet de se rendre compte qu’il n’est pas possible d’être manichéen. »

Le metteur en scène – qui est né et a commencé le théâtre dans le quartier de la Villeneuve, à Grenoble – témoigne de sa conviction qu’un comédien qui s’exprime dans sa langue joue différemment et met une impulsion particulière à son texte. Il propose à des auteurs africains de traduire les textes de leurs homologues européens. Traversée démontre que la beauté naît ainsi d’improbables rencontres. Dans sa logique même, il est donc aussi, bien sûr, question de fraternité.

Traversée. Au Pot au Noir (Rivoiranche) samedi 10 juillet, à 18h30. Au Théâtre Sainte-Marie-d’en-Bas mardi 13, à 20h. Au Musée dauphinois vendredi 16, à 20h. Au Festival Textes en l’Air (Saint-Antoine-l’Abbaye) mercredi 21, à 16h30.

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