La revanche des stagiaires

Ni syndicat, ni association, Génération précaire a réussi à faire du recours abusif aux stages en entreprise un sujet médiatique et politique. Mais deux ans après leurs premiers coups d'éclat, le statut de stagiaire est toujours aussi bâtard. Entretien avec Guillaume, porte-parole du mouvement. Propos recueillis par Bernard de Vienne

Petit Bulletin : Comment s’est créé Génération précaire ? Sur quels constats ? Quelle a été votre stratégie médiatique ?
Guillaume : Génération précaire est né du constat qu’un système s’était mis en place, consistant à confier à des stagiaires des tâches effectives, productives, mais non rémunérées. Une fille a inondé les forums de messages après s’être vue refuser un stage d’assistante dans une structure culturelle. Le directeur avait préféré un candidat plus diplômé pour se former. La boucle était bouclée, le stagiaire devenait formateur ! Une dizaine de personnes sont rentrées en contact avec elle, sûres qu’il fallait agir. Le talent de la fondatrice a été dans la mise en scène de ce mouvement. Un premier reportage sur France Inter a intrigué les rédac-chefs qui ont envoyé des stagiaires couvrir notre sujet. Ces stagiaires connaissaient la situation de l’intérieur. Ensuite les médias veulent des experts. Il n’y avait personne, on a dit ça va être nous : pendant deux ans, on a demandé des chiffres à différentes instances. On est passé à l’intérieur de la machine au point qu’il y a six mois, c’est pratiquement nous qui avons rédigé le questionnaire que le ministère a envoyé aux universités. L’alchimie fonctionne toujours bien, on aime passer du temps ensemble… La proximité avec des jeunes journalistes, le fait d’être sur Paris, mobilisables en permanence, a permis au mouvement de perdurer en étant peu nombreux.

À quoi attribuer l’étendue du travail gratuit en France ?

La peur du chômage incite à travailler pour rien. On a accepté des conditions d’embauche à la baisse, puis de remplacer un salarié pour rien, sans rechercher le conflit : j’ai vu des gens passer deux ou trois ans sur le site Internet de France Culture ! Seuls 8% des stages débouchent sur une embauche. Affirmer que 80% des salariés d’une entreprise y ont effectué un stage, c’est malhonnête. Combien de stagiaires sont passés par ce poste avant qu’une embauche ait lieu ? S’il est pourvu dix fois de suite par des stagiaires de 6 mois, l’entreprise a économisé 5 ans de salaire. À partir de 2001-2002 et la généralisation d’Internet, le marché de l’emploi dégradé s’est fluidifié : les entreprises en difficulté n’ont qu’à créer des postes pourvus par des stagiaires.

Quelles sont vos revendications ? De quels leviers disposez-vous ?

La durée est stratégique : rémunération au delà de deux mois, et 6 mois max. Si on est plus souvent en entreprise qu’à l’école, c’est un apprentissage et les conventions d’encadrement existent. Les entreprises ont recours au stage, qui n’est qu’une dérogation créée par circulaire en 1966. On veut faire repasser ces stagiaires dans le système de l’apprentissage. On fait du lobbying : sur la base de centaines de milliers de témoignages reçus on dit les choses telles qu’elles sont à des hauts fonctionnaires.

Ne peut-on pas faire pression sur les écoles elles-mêmes ?

Un président d’université, on peut l’impliquer sur l’aspect éthique. La logique quand on crée un CFA (Centre de Formation pour Adultes) est de s’assurer qu’il y a autant de place en apprentissage dans les entreprises de la région qu’il y a d’effectifs dans une promotion. À l’inverse, on peut créer des masters d’édition à Limoges, on trouvera toujours des gens prêts à faire un stage à Paris ou dans un canard local, mais le bassin d’emploi régional ne les intégrera pas. Cette fabrique de stagiaires, c’est de la fausse monnaie qui dévalue la vraie : certaines facs n’aiment pas l’entendre, parce que ça apporte des subventions, qu’il y a le prestige de tel titre de master ronflant… C’est pire dans certaines écoles de commerce où l’année de césure est un vrai scandale : sur 3 ou 4 années de formation, il y en a une où l’étudiant ne met pas les pieds à l’école. Il la passe à faire des stages en entreprise, c’est du prêt de main d’œuvre aux entreprises qui reversent leur taxe d‘apprentissage. Quelles avancées avec le gouvernement ?
STAPRO, une commission à durée illimitée, regroupe syndicats étudiants, professionnels, le Medef, nous... Jusqu’alors les seules rencontres entre syndicats étudiants et Medef se faisaient au sein de l’université, sans contact avec le monde professionnel. Ça nous plaît que cette instance existe grâce à nous, même si les choses n’avancent pas assez vite. Avant l’été on a rencontré Santini, Woerth et Pécresse. Les conseillers de Santini ont proposé que les stages dans la fonction publique soient rémunérés au SMIC. Ça en ferait des CDD... On a du mal à le croire et on pense qu’il ne se rendent pas compte de l’usage énorme qui en est fait dans les Ministères ! Rien qu’à l’Intérieur, ils ont 300 stagiaires, sans parler du Quai d’Orsay. Ce serait une avancée très importante. Ou alors c’est machiavélique et ça vise à compenser la perte de 30000 emplois dans la fonction publique. Dans les ambassades une écrasante majorité des stagiaires travaille pour la gloire. Quand le Ministère des Affaires Étrangères demande des stagiaires pour organiser des sommets internationaux ou s’occuper de la liaison avec les forces armées ce n’est plus de l’observation ! Quels conseils aux étudiants ?
Il faut leur dire : si on vous donne des responsabilités, c’est que vous valez quelque chose. Tout travail mérite salaire, et 1/2 travail mérite 1/2 salaire, etc... À l’entretien, on s’assure de leurs compétences, tout en s’assurant qu’ils ne seront pas trop revendicatifs. En stage, il faut aussi apprendre à défendre vos droits ! L’argument du prestige, il faut le retourner. Si c’est prestigieux un stage au Figaro, pourquoi le rédac chef ne travaille pas gratuitement ? Les stagiaires sont très isolés, ils pensent être sans recours. Mais ils ont au moins le recours de nous écrire.

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