Petits meurtres à l'espagnole

De l'assassinat considéré comme un des beaux-arts. C'est le titre du classique de l'humour noir de de Thomas de Quincey, dans lequel des érudits de la chose criminelle se réunissent pour discuter des vertus esthétiques des meurtres les plus célèbres de l'histoire, du fratricide de Caïn aux étouffements en série de William Burke et William Hare. Ce pourrait être celui du nouveau roman graphique d'Antonio Altarriba, qui pousse le concept plus loin : dans Moi, assassin, le dénommé Enrique Rodríguez Ramírez, professeur d'histoire de l'art, ne se contente pas d'étudier «la douleur et le supplice dans la peinture occidentale», il y apporte sa contribution, revendiquant plus d'une trentaine d'homicides mus par un impératif plastique – dont un «bloody painting» à faire blêmir Pollock. Au-delà de sa macabre ironie, le scénariste espagnol convoquant Bacon, Dix ou Goya pour pourfendre d'un même mouvement l'académisme et la pose, ce contexte est surtout pour lui l'occasion, deux ans après l'homérique et bouleversant L'Art de voler – cette fois au sens aérien : Altarriba y raconte la vie conflictuelle de son père, républicain et résistant, de sa naissance à sa défenestration – de signer à nouveau une palpitante étude de caractère. Et de révéler le dessinateur Keko, dont le noir et blanc stylisé et maculé d'éclaboussures sanguines n'est pas sans rappeler les Sin City de Frank Miller, mais aussi et surtout leur descendant vidéoludique, Madworld, où le but était justement de rivaliser d'inventivité dans la mise à mort des ennemis.

Antonio Altarriba & Keko
A la librairie Expérience, vendredi 17 octobre
Moi, assassin (Denoël Graphic)