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Sophie Divry tire le diable par la queue

Après s'être enfermée dans "La Condition Pavillonnaire", Sophie Divry sort du lotissement avec "Quand le diable sortit de la salle de bain", plongée auto-fictionnelle et méta-romanesque dans les méandres sans fin du chômage et de la langue – qui, toujours, console l'estomac.

« Mon cédé favori en fond, je m'installai devant les lumières de la ville avec Le Petit Bulletin, l'hebdo culturel gratuit, ouvert à la rubrique musicale.» Comble du vertige méta-fictionnel : le chroniqueur culturel – musique, littérature, bricoles – trébuche sur une phrase dans laquelle l'auteur-narratrice-héroïne (ne rayez aucune mention) consulte la rubrique musicale du journal pour lequel il travaille. Puis, juste ici, écrit sur ledit livre qui la contient.

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Ce peut être un jeu sans fin, à s'abîmer dans l'abîme. Or, c'est d'un jeu (de dés, de dupes, de ce qu'on voudra) dont a voulu parler Sophie Divry avec Quand le Diable sortit de la salle de bain, roman jaillissant de lui-même comme un diable sort de sa boîte. Ses règles : aucune, si ce n'est écrire, comme elle le mentionne en annexes, «le contraire» de précédemment (soit La Condition Pavillonnaire, pastiche Chambéry de Mam' Bovary) pour se rouler une bonne fois pour toute dans une écriture «gondolée».

Conditionnel

L'auteur lâche donc ici la bride et la fait claquer comme un fouet : cite en loucedé ; liste, liste, liste ; verbalise des adverbes trop verbeux ; digresse (et digresse c'est beaucoup, vu ses dettes) ; typograffite la page ; l'outrage même ; triture la langue (fourchue) du démon Lorchus qui l'habite, repousse les assauts de personnages intempestifs (éditrice, grille-pain, Hector, personnage secondaire quoique fort primaire) ; et donc exercice-de-stylise un roman se réclamant autant de Jacques le Fataliste que de Laurence Sterne ou Gilbert Sorrentino.

Mais cette histoire de contraire, c'est un peu du vent : on sentait déjà des pages de La Condition Pavillonnaire se "gondoler" sous le poids d'un humour trop peu pris au sérieux. Et puis, avec ce roman-pas-de-côté qui fuite en avant, Sophie Divry continue mine de rien de livrer sa petite Condition (in)humaine : ce qui a failli s'appeler Chômage est aussi et avant-tout un méta-roman sur la pauvreté, un livre sur la faim qui accouche d'une littérature à l'estomac vide écrite avec les tripes – faute de riz, on mange des verbes – et fait du conditionnel – qui aurait été inventé par des pauvres, genèse possiblement Divry –une condition que le destin jetterait en l'air comme une pièce qui, comme par hasard, ne tombe jamais dans la poche du pauvre – : «Chacun met au pot commun la vie qui lui a échu et qui, du coup, est épargnée à l'autre. Les autres sont tout ce que nous pourrions être, nos possibles plus encore que nos semblables.»

Ces derniers mots, en un geste méta-fictionnel, Sophie Divry les met en abîme depuis la plume d'un autre. Car les mots comme l'abîme, ce roman en fait la féroce monstration, ont ceci de commun qu'ils sont suffisamment vastes pour qu'on tienne tous dedans.

Sophie Divry
À la librairie Decitre, Écully, mercredi 30 septembre

Quand le diable sortit de la salle de bain (Noir sur Blanc/Notabilia)

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