Vincent Duluc : Mémoire de nos Verts

Divinement foot !

Musées Gadagne

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Portrait / Journaliste à L'Équipe, où il suit l'Olympique Lyonnais depuis plus de 25 ans, Vincent Duluc est le co-commissaire de l'exposition Divinement Foot présentée aux musées Gadagne et l'auteur d'Un printemps 76. Portrait d'un fan atavique des Verts chroniquant au quotidien leur ennemi juré en gardant le cœur chez lui, à Bourg-en-Bresse. Et surtout en enfance, patrie universelle du football.

À l'entrée de l'expo Divinement foot, un documentaire propose sept portraits de passionnés de football. À chacun, il est notamment demandé de laisser sa mémoire faire le récit d'un but en tout point marquant pour eux. Question posée ici au commissaire (de l'expo) Duluc, journaliste et suiveur de l'Olympique Lyonnais au journal L'Équipe depuis, pour ainsi dire, toujours.

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L'occasion de constater s'il était besoin que la mémoire est décidément une splendide machine à reculer : « Je pense souvent, commence Vincent Duluc, au but de Wiltord à la 93e en finale de l'Euro 2000, c'est surtout un souvenir professionnel puisque je venais de boucler mon papier sur la victoire de l'Italie (Wiltord propulsera la France vers la prolongation puis le but en or de David Trézeguet, NDLR). C'est un drôle de souvenir. »

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Dont acte, s'apprête-t-on à conclure, sauf que tel un train de marchandise, mais lancé en arrière, la mémoire du journaliste ne s'arrête pas là : «... en fait, poursuit-il sans qu'on ait pu enchaîner, je pense que le but qui m'a rendu fou, c'est le but de Platini contre le Portugal en demi-finale de l'Euro 84 à Marseille. On était à la rue, tout était difficile... C'est un but qui m'a rendu heureux parce qu'il fait toute la différence (à 2-2 à une minute de la fin de la prolongation Michel Platini inscrit un but de pur sang-froid, sur une percée désespérée de Tigana et envoie la France en finale, NDLR). »

Enfin, la mémoire entre en marche-arrière, en gare de Saint-Étienne, un soir de mars 1976. Un de ces moments en noir et blanc auxquels le souvenir donne de la couleur et du relief : «Le but de Rocheteau le jour de Saint-Étienne vs Kiev (quart de finale retour de la Coupe des Clubs Champions que les Verts remportent 3-0 après une défaite 2-0 à l'aller), alors que je suis contre la grille derrière la cage, m'a sans doute marqué plus que d'autres, mais j'étais tellement dedans, tellement dépassé, que c'était autre chose, d'une autre nature que juste un but fantastique. Les Verts c'était l'équipe dont on parlait à la maison, c'était juste à côté, et tout à coup il y avait cette idée que le centre du monde était sur le palier. »

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Une enfance revisitée

L'événement est tellement irréel que Vincent Duluc doute parfois encore aujourd'hui d'en avoir été, là, dans cette tribune. Ce qu'il met en scène dans le livre Un printemps 76, à la recherche d'une photo qui prouverait sa présence dans cette tribune plongée dans une obscurité stéphanoise ironiquement minière : « Ce sont des moments tellement fantasmés que l'on en vient à avoir un doute. Bien sûr que j'y étais, mais parfois j'ai eu un doute. Disons que j'en suis sûr à 99% mais le 1% restant me paraît énorme. »

Depuis, Vincent Duluc, qui va au stade environ « 80 fois par an », peut affirmer — et même le prouver — avoir vu quelques milliers de match. Et regarder chacun d'eux comme le premier. Car comme il l'écrit, on se rend au stade « sur ses propres traces », un match n'étant rien d'autre qu'une « enfance revisitée. »

La sienne, d'enfance, se passe à Bourg-en-Bresse, confite dans cet ennui provincial pompidolo-giscardien dont beaucoup ne se sont jamais remis. Lui en a fait un moteur : « Je crois que j'ai passé ma vie à échapper à l'ennui et pour ça je n'ai jamais rien trouvé de mieux que le sport. » Nourri de la chronique sportive burgienne (basket, rugby, foot...) et enflammé par l'odyssée stéphanoise, c'est presque naturellement — non sans avoir scellé la fin de ses études par un rendez-vous manqué avec Sciences Po — que le jeune Vincent se retrouve à 17 ans à couvrir les exploits de ses copains d'enfance.

Y trouvant un mode de vie à ce point paradoxal qu'il lui va comme un gant : « Être branleur c'est beaucoup de sacrifices, se marre-t-il. J'ai travaillé beaucoup plus que si j'avais fait des études : sept jours sur sept, quinze heures par jour le week-end. Mais tout de suite, j'ai eu le sentiment que c'était une vie privilégiée. Quand on est gamin on se fait chier le dimanche, là, coup de bol, on bosse. Quand on est de repos, c'est le mardi-mercredi, pendant que les autres travaillent, on ne s'ennuie pas en même temps que les gens et on se repose pendant qu'ils bossent. » Cette double peine, Duluc la voit comme un « double privilège ».

Un truc de dingue

On l'aura compris, Vincent Duluc ne place pas la contradiction au même endroit que les autres. Pas quand ce fils de Stéphanois, celui qui était presque au bout du pied de l'Ange Vert ce fameux soir de mars 76, se retrouve à suivre quotidiennement les matches de l'OL pour le compte de L'Équipe. Bien des Verts de cœur eussent tourné Verts de rage, mais pour lui « ce n'est pas si différent d'un Grégory Coupet, formé à Saint-Étienne qui joue à Lyon pendant huit ans, est champion avec l'OL et a envie de gagner le derby. Evidemment nous, journalistes, on ne porte pas casaque mais on est totalement immergés dans cette histoire, qu'on a envie de voir la suite. »

Et cela n'a sans doute jamais été aussi vrai qu'en ces jours de 1998 quand l'impossible se produit : le club de sa ville natale Bourg-Péronnas élimine le FC Metz en Coupe de France à Gerland et y affronte, au tour suivant... Lyon. Pourtant devenu supporter de l'OL avec ses enfants, Duluc concède : « j'aurais donné cher pour que Lyon perde. Les entraîneurs de Bourg étaient mes copains de lycée. Le jour où ils battent Metz, je suis debout sur mon pupitre en tribune de presse. C'est mon plus grand souvenir de foot. Si on m'avait dit gamin que je finirais à L'Équipe, bien sûr, je ne l'aurais pas crû. Mais le truc le plus improbable qui ait pu m'arriver, c'était d'être à L'Équipe, d'y raconter l'histoire de mes potes, et qu'un lundi de février un copain d'enfance y soit à la Une entre Boris Becker et Michael Jordan. Ça oui, c'était un truc de dingue. » dit-il, les yeux en mode Stade des Lumières.

C'est un fait, quand on cherche chaque semaine à revisiter un morceau de son enfance en tribune et qu'en plus on y parvient, parfois au prix de miracles de la bonne fée Coupe, on est objectivement un nostalgique. Mais, le concernant, cette nostalgie s'arrête là où pour certains de ses confrères blasés commence la réaction : « on ne me fera jamais dire que le foot c'était mieux avant. Le jeu va plus vite, est plus spectaculaire, et je n'ai aucune nostalgie de la rareté. Je pourrais me mettre en colère si on me faisait attendre trois semaines avant le prochain grand match de foot. Mon côté réac' se limite à citer Michèle Torr en tête de chapitre. » Et, quand même, à écrire des livres, en tout cas les plus personnels, sur l'icône 60's George Best et les Verts de son enfance. Ce à quoi il répondrait presque par un aveu : « ce qui est très bizarre, c'est que j'ai d'abord écrit ces deux bouquins au présent, et après j'ai changé. La musique du texte ne fonctionnait pas. » Comme si le présent ne passait pas si bien, en fin de compte.

Nostalgique avide de modernité, toujours sur le qui-vive du prochain coup d'envoi, mais grand défenseur de la mémoire — comme le montrent les passages d'Un Printemps 76 sur le passé ouvrier de Saint-Étienne et la partie lyonnaise de l'expo Divinement Foot — Vincent Duluc rappelle parfois dans son rapport au temps, dans cette auto-injonction contradictoire à une nostalgie qui ne dit pas son nom et ramène toujours en arrière même quand on fixe l'avenir, la phrase qui clôt Gatsby le Magnifique : « C'est ainsi que nous allons, barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé. »

Et peut-être plus encore à celle-ci, si l'on substituait au nom du Magnifique, obsédé dans le roman par une lumière verte de l'autre côté de l'East River, celui du journaliste : « Gatsby croyait en la lumière verte, l'extatique avenir qui, d'année en année, recule devant nous. » En une lumière verte, du fond noir d'un Chaudron, Vincent Duluc crut un jour très fort. Et quand bien même ne suffit-elle pas au printemps 76 à éclairer une tribune, elle ne s'est jamais vraiment éteinte.

Divinement Foot
Au Musée Gadagne jusqu'au 4 septembre

À lire : Un printemps 76 (Stock)
Vient de paraître : Au cœur des Bleus (Stock)

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