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Quand on arrive en livre !

Yamina Benahmed Daho, l'affaire de tous

Yamina Benahmed Daho + Fabienne Jacob

Hippodrome de Parilly

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Littérature / La parole des femmes se libère, nous dit-on, depuis l'affaire Weinstein et le salvateur mouvement #metoo. Oui, mais elle n'est que réponse à des actes masculins liberticides. La romancière Yamina Benahmed Daho met en perspective une tentative de viol et les conséquences destructrices chez la victime. Limpide et poignant.

L'apaisement vient quand elle cuisine. Laver et éplucher des légumes lui permet enfin de se concentrer sur autre chose que le traumatisme survenu au petit matin d'une année toute neuve. Un homme alors la pousse dans un hall, la brutalise et pose violemment ses mains sur son corps et ses organes sexuels. Elle parviendra à s'enfuir par une porte entrouverte, retrouver la rue et un passant temporairement protecteur. De la sauvagerie, les gestes interdits et l'attaque venue lâchement de dos, Alya va conserver une peur tenace, invalidante. La façon dont elle se propage, se déjoue, s'encadre dans la sphère publique, dans le cercle intime et par les pouvoirs publics est le propos de ce roman si bien-nommé De mémoire.

L'écrivaine Yamina Benahmed Daho choisit de raconter cela aussi scrupuleusement que les traces laissées (invisibles) le permettent. Ainsi s’enchaînent et se croisent les récits faits à un médecin généraliste le lendemain de l'agression, à une gardienne de la paix, un médecin légiste, un psychiatre, une psychanalyste, un juge d'instruction... soit quatre années de traversée avec ces nouveaux compagnons étranges. Car comment identifier le coupable lorsque, par réflexe de survie, comme Alya, toutes empreintes ont été immédiatement supprimées par le lavage de vêtements, que le témoin n'a pas de nom car comment penser à lui demander cela dans « l'urgence vitale de s'échapper » ?

Notre intime

Une fois, deux fois, vingt fois, Alya revient sur les faits, les énonce avec clarté, rajoute des éléments, précise le contexte, détaille ses sensations (l'étouffement), suppose reconnaître l'offenseur au poste de police mais ne l'identifie pas formellement, ce qui judiciairement ne vaut rien. Quand la principale activité est de lutter contre l'anxiété, le quotidien est bouleversé, malmené. L'autrice le rend palpable et offre à son lecteur de se familiariser avec cette agression - "tentative de viol" - souvent fantomatique lorsqu'elle est approchée dans les faits divers.

Dormir ? C'est un laisser-aller qui expose au danger et à la vulnérabilité. Travailler ? Rendu impossible car cela engendre des déplacements et l'extérieur est peuplé d'agresseurs potentiels. Aimer ? Encore impossible jusqu'à une rencontre essentielle, quelques années plus tard, avec Simon qui rassure, réconforte et atténue les blessures. Cette attaque est aussi l'occasion pour la narratrice de fouiller brièvement l'histoire familiale avec des parents muets face au deuil qu'ils ont traversé jadis, un bébé mort-né, dont la non vie irrigue fatalement celle des autres. Et se mêle par la fluidité de l'écriture au continuum de cette existence.

« Faire du courage »

Au-delà de ce récit personnel, l'écrivaine parvient à dire à plusieurs reprises comment l'agression qu'elle a subie n'est pas déterritorialisée. Si jamais elle ne la justifie et ne s'apitoie sur le bourreau sans remord qui « ne prend pas en charge la vérité », ni n'accepte la plaidoirie effarante de niaiserie et d'inconséquences de son avocate (« il se frotte aux femmes parce qu'il a été rejeté par sa mère... »), elle esquisse tout de même une société qui amoindrit la place des petites filles au profit des petits garçons dans les jardins d'enfants et où « la solitude d'une femme dans l'espace public est toujours interprétée comme une sollicitation. »

Sans aucun simplisme ni conclusion hâtive, forcément fausse et réductrice, elle tisse la toile dans laquelle son personnage et son agresseur évoluent : un endroit partagé où il est fréquent et accepté qu'un homme s'approche d'une femme en lançant débonnairement mais jamais innocemment « Alors un p'tit livre au soleil ? Alors on s'entraîne pour le prochain marathon ? Alors on est toute seule ? ». C'est de ces détails que Yamina Benahmed Daho (par ailleurs spécialiste de football, cf. son ouvrage Poule D) truffe son troisième livre et permet de donner une réalité concrète, parfois clinique, sans pathos et à l'os d'une déflagration intime qui n'est pas sans rapport avec le monde dans lequel chacun vit, bien au contraire. Cet ouvrage s'en trouve aussi être un acte politique, au sens des "affaires de la cité".

Yamina Benahmed Daho, De mémoire (Gallimard / L'Arbalète)

Dialogue avec Fabienne Jacob sur le thème "À bras le corps (des femmes)"
À l'Hippodrome de Parilly (salle des Balances) le dimanche 10 mars à 14h
Dans le cadre de la Fête du Livre de Bron

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