OL / ASSE : le meilleur des derbys

Il y a The Old Firm à Glasgow (Celtic-Rangers), une quasi guerre de religion entre catholiques et protestants ; le Fla-Flu à Rio (Flamengo-Fluminense) qui a compté jusqu'à 200 000 spectateurs dans un Maracana (95 000 places) pour une fois étriqué ; le Ktalar Aras Derbi (Fenerbahçe-Galatasaray), seul exemple connu de derby intercontinental, à cheval sur le Bosphore. Le duel de la Mersey (Liverpool-Everton) aka le “Friendly derby” qui divise les familles liverpudliennes ; les derby romains (Roma-Lazio) et milanais (AC Milan-Inter), et le plus mythique : le Superclàsico de Buenos Aires (River Plate-Boca). Et bien d'autres duels fratricides la plupart du temps sis intra-métropoles...

En France, il y a un derby du Nord (Lille-Lens), un derby breton (Nantes-Rennes), un autre de l'Est (Metz-Strasbourg), mais il n'y en a qu'un seul pour avoir véritablement imprégné la légende du foot français, plein d'histoires folles, de déclarations de guerre et de matches (pas toujours) inoubliables. Un derby dont les équipes sont distantes de 62 km mais qu'un monde sépare, la cité de la soie et du cinéma contre la ville minière : l'Olympique Lyonnais et l'AS Saint-Étienne, deux clubs emblématiques ayant porté le label de “plus grand grand français” et foulé le domaine des Dieux européens. À quelques jours de sa 124e édition, retour sur les grands moments de l'histoire de ce match qui met d'accord les supporters des deux clubs sur au moins une chose : « c'est le plus important de l'année ».

Par Stéphane Duchêne

À jamais le premier

Frédéric Woehl n'est ni Lyonnais, ni Stéphanois. Il n'est même pas de la région et même un peu étranger bien que tout à fait français. Et pour cause, il est né en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale. Ou plutôt en Alsace, encore allemande pour plus d'un an, en 1917. On le surnomme d'ailleurs “Fritz”, un diminutif germanique de Frédéric mais aussi l'un des petits noms pas très affectueux donnés à l'époque aux Allemands. Mais il a été un héros de l'Armée d'Afrique pendant le deuxième conflit mondial contre ces mêmes Allemands avant de devenir footballeur professionnel, à Strasbourg évidemment, où il devient “Le Tank”. Footballeur largement oublié, pour ne pas dire anonyme, il ne passe qu'une saison à Lyon. Ce qui ne l'empêche pas d'être le héros du premier derby, le premier d'une longue série. Le 28 octobre 1951, l'OL et l'ASSE disputent leur première confrontation, posant les bases d'une vendetta éternelle. Frédéric Woehl qui n'a forcément guèrec onscience de tout ça – et probablement s'en serait fichu – inscrit trois buts. L'OL l'emporte 4-2. Et écrit la première page d'une longue histoire.

Woelh

Rachid, première

Les débuts furent à la hauteur du reste. Rachid Mekloufi, le grand Rachid (1,68m mais du talent plein les pattes et des crochets qui provoquent l'ivresse du défenseur), devenue une légende pour bien des raisons, a à peine 18 ans – selon les standards et la loi de l'époque, il n'est pas majeur – lorsqu'il inscrit deux buts pour l'ASSE. Nous sommes le 28 novembre 1954 à Geoffroy-Guichard. C'est le premier derby en championnat depuis le retour de l'OL en première division (après une éclipse de deux saisons à l'échelon inférieur). Rachid n'en restera pas là. Dans sa carrière, il marquera neuf fois contre l'OL (en championnat). Et ce malgré une interruption de carrière de quatre ans (1958-1962) pendant laquelle le joueur, international français, s'en va créer l'équipe de foot du FLN, dissoute à l'indépendance de l'Algérie. Revenu cinq ans à Saint-Étienne en 1963, il s'en va en 1968 sur un doublé en finale de la Coupe de France.

Une valse à neuf temps

C'est l'un des derbys de légende, peut-être le premier de tous. Un match, disputé le 23 septembre 1963 à Gerland durant lequel les deux équipes – qui forment à elles deux, malgré les absences de Robert Herbin côté Verts et de Di Nallo côté lyonnais, une belle ratatouille d'internationaux présents ou futurs, les gardiens Aubour (OL) et Bernard (ASSE) et les joueurs de champs Djorkaeff, Combin, Rambert (OL) et Domingo, Tylinski, Mekhloufi (ASSE) – ne semblent pas vouloir se départager. À l'ouverture rapide du score par Mekhloufi et Foix, Lyon répond tout aussi rapidement par son Franco-argentin Angel Rambert qui ramène l'OL au score. À la 27e minute, le score est déjà de 2-2. À la 65e, Rivoire donne l'avantage à Lyon mais Mekhloufi, toujours lui, égalise dans la foulée (71e). Mais Lyon repasse devant dans la suivante, toujours par Rambert, intenable (78e), qui marque d'une frappe terrible des 30 mètres. C'est un match de rafales dans lequel les gardiens s'accrochent tant bien que mal à leur casquette. Car cinq minutes plus tard c'est au tour d'André Guy d'entrer dans cette danse folle, inscrivant deux buts en deux minutes (83e et 85e) scellant la victoire des hommes de Jean Snella. Dans les tribunes, un certain Bernard Lacombe, 11 ans, ne loupe pas une miette de cette orgie offensive.

Et 1, et 2, et 6-0

Un an après ce derby très disputé, le 25 octobre 1964, Lyon est premier et se déplace chez le champion stéphanois pour une réédition promise du bras de fer. C'est bien parti puisque comme un an auparavant, l'ASSE ouvre le score à la 7e minute par Robert Salen. Sauf qu'il n'y a pas de match, les Verts en mettent un deuxième, puis un troisième et comme ça jusqu'au sixième, inscrit par Mekhloufi à la 80e. André Guy, François Heutte (deux buts) et même l'infortuné lyonnais Polak (csc) participent à la fête. À la fin du match, Lucien Jasseron lâche : « nous avons été surpris par les six premiers buts ». L'OL remporte au moins la victoire de l'humour. Saint-Étienne semble lancé vers un nouveau titre de champion. Mais non, l'ASSE ne terminera que 7e... derrière l'OL.

Buteur en série

Du 3 octobre 1965, date du 25e derby, au 19 mars 1967, Fleury Di Nallo aura fait beaucoup pour faire reluire son totem de légende lyonnaise. Le Petit prince de Gerland marque en effet lors de cinq derbys consécutifs dont l'un intervient en Coupe de France. Déjà auteur d'un doublé en 1962, il en marquera bien d'autres dont un triplé en Coupe de France en 1971 qui qualifie l'OL au match retour (à l'époque la Coupe se joue sur des matches aller-retour) après une défaite 2-0 à Sainté. Fleury marquera son dernier but – et dernier doublé – lors d'un derby, le 23 mars 1973, soit onze ans après le premier. Avec 14 buts (en championnat), il est alors le meilleur buteur de l'Histoire du derby.

Treize à la douzaine

Au fil des saisons, l'ASSE est devenu un grand d'Europe. La preuve, à trois jours du derby aller de cette saison 1969-70, les Verts éliminent le grand Bayern de Beckenbauer et Gerd Muller. Défaits 2-0 à l'aller, Hervé Revelli (qui inscrit un doublé) et Salif Keita mettent la défense de Sepp Maier au supplice et l'emportent 3-0. Loin de craindre le même sort et persuadés que les Verts seront éreintés par un tel exploit, les Lyonnais frôlent l'excès de confiance en promettant l'enfer à leurs rivaux. Mais il ne faut jamais titiller un grand fauve, même fatigué, surtout fatigué. Les hommes de Batteux se pointent à Gerland le 5 octobre avec des semelles de vent et retournent la pelouse, les tribunes et leurs adversaires. Saint-Étienne l'emporte 7-1 avec des doublés de leurs flèches Revelli et Keita et un but de Jean-Michel Larqué. L'OL sauve le peu d'honneur restant à la 87e par André Perrin. Mais il y a un match retour. À Saint-Étienne, sous la neige. La note est tout aussi salée et la pilule aussi amère. L'OL en reprend six. Syndical, Revelli, y va de son doublé, comme Georges Bereta, Keita et Aimé Jacquet complètent le tableau. Sur la saison, le bilan du derby est de 13-1. Saint-Étienne est irrésistible et s'apprête à être champion de France pour la 6e fois.

Revelli, numéro 14

Ce n'est certainement pas le plus beau derby de l'histoire mais pour Hervé Revelli, l'essentiel n'est pas là. Le 1er novembre 1974 à Geoffroy-Guichard, l'attaquant plonge tête la première malgré le pied de Lubomir Mihajlovic en opposition, sur lequel il pourrait bien s'empaler. Ou au moins s'éplucher le cuir chevelu. Peu importe, Hervé y va, met la tête, et, quoi qu'il en coûte, catapulte le ballon dans le but d'Yves Chauveau. C'est son dernier but dans le derby. Il en a inscrit 14 (en championnat), à égalité avec le Lyonnais Di Nallo. Cette année-là, Saint-Étienne remporte son huitième championnat de France, la Coupe de France, et après l'exploit d'Hajduk Split (5-1 au retour après une défaite 4-1 à l'aller), s'offre sa première épopée européenne, achevée en demi-finale de la Coupe d'Europe des clubs champions face au Bayern.

La Marque verte

Il s'agissait de « renflouer les caisses du club », comprendre, les caisses de l'OL qui tire la langue après une saison où il a frôlé la relégation. Il avait promis de n'avoir pas plus d'influence qu'une ombre lors du derby aller à Gerland et a tenu promesse. D'ailleurs, avant le match, il s'était trompé de vestiaire. Mais le retour marque un petit événement : Bernard Lacombe, gone au carré passé à l'ennemi à l'été 78, figure sacrificielle d'un transfert pour l'argent – il ne fera qu'une saison à Sainté avant de filer aux Girondins où il continuera d'asseoir sa gloire –, Nanard ouvre le score contre son OL à Geoffroy-Guichard et les Verts l'emportent 3-0 en ce 17 décembre. À Lyon, parce que c'est Lacombe, on l'a pardonné. Pas sûr que lui ait eu cette même indulgence envers lui-même. Elle est longue la liste des “traîtres” et des transfuges des deux bords, mais celui-ci est l'ultime.

Une valse à neuf temps

C'est l'un des derbys de légende, peut-être le premier de tous. Un match, disputé le 23 septembre 1963 à Gerland durant lequel les deux équipes – qui forment à elles deux, malgré les absences de Robert Herbin côté Verts et de Di Nallo côté lyonnais, une belle ratatouille d'internationaux présents ou futurs, les gardiens Aubour (OL) et Bernard (ASSE) et les joueurs de champs Djorkaeff, Combin, Rambert (OL) et Domingo, Tylinski, Mekhloufi (ASSE) – ne semblent pas vouloir se départager. À l'ouverture rapide du score par Mekhloufi et Foix, Lyon répond tout aussi rapidement par son Franco-argentin Angel Rambert qui ramène l'OL au score. À la 27e minute, le score est déjà de 2-2. À la 65e, Rivoire donne l'avantage à Lyon mais Mekhloufi, toujours lui, égalise dans la foulée (71e). Mais Lyon repasse devant dans la suivante, toujours par Rambert, intenable (78e), qui marque d'une frappe terrible des 30 mètres. C'est un match de rafales dans lequel les gardiens s'accrochent tant bien que mal à leur casquette. Car cinq minutes plus tard c'est au tour d'André Guy d'entrer dans cette danse folle, inscrivant deux buts en deux minutes (83e et 85e) scellant la victoire des hommes de Jean Snella. Dans les tribunes, un certain Bernard Lacombe, 11 ans, ne loupe pas une miette de cette orgie offensive.

Winter classic

En février 1981 le derby se déroule sous la neige dans un climat stéphanois. Un climat et l'ère du temps puisque l'ASSE menée par Michel Platini domine le championnat de France (avec Nantes, coiffé au poteau). Lyon n'est pas mal non plus avec Jean Tigana, Serge Chiesa, et les jeunes Daniel Xuereb et Laurent Fournier. C'est le prodige (rapidement déchu) Laurent Paganelli qui ouvre le score, suivi par Platini. Ce sont les Lyonnais qui marqueront les trois derniers buts. Mais c'est Saint-Étienne qui l'emporte, l'un de ces buts étant marqué contre-son-camp par André Ferri.

Mélodie en sous-sol

28septembre 1984, c'est le début du purgatoire, la marque d'une autre époque. Les deux clubs sont en D2. Saint-Étienne qui a marché sur le toit de l'Europe, regoûté à la joie du champion en 1981 sous l'ère Platini, parti depuis conquérir l'Italie, et touché le fond avec l'affaire de la caisse noire – qui a déclenché l'effondrement sportif – vient de rejoindre en D2 l'OL qui devra encore patienter pour dominer le championnat de France. Pour l'heure, les deux clubs mangent leur pain noir quasiment côté-à-côte dans le groupe B d'une antique D2 (alors divisée en deux groupes régionaux). Comme un symbole, ce premier derby disputé à la cave se solde par un 0-0. Quelques mois plus tard au retour, à Gerland, l'ASSE s'affirme en dominant 5-1 un OL aux abois qui perd à onze contre dix. Si Sainté remonte au bout de deux saisons, l'OL traînera ses guêtres dans l'anti-chambre jusqu'à la fin de la décennie, en profitant pour y être repris en main par un jeune industriel lyonnais : Jean-Michel Aulas.

Nouvelles ères

C'est le 69e derby et il marque ironiquement le retour de l'OL en première division qui retrouve son meilleur ennemi le 9 septembre 1989, à Geoffroy-Guichard pour reprendre l'histoire des derbys là où elle avait été laissée en D2. À l'occasion les deux équipes battent le record d'affluence pour un derby : 40 412 spectateurs assistent au retour des grandes joutes fratricides. L'ASSE l'emporte 1-0, inaugurant une poignée de derbys qui durant les années 90 s'avèreront pour la plupart bien tristes et souvent nuls au score – et parfois pas qu'au score.

Match inamical

Un derby amical, drôle de concept. En préparation de la saison 1990-91, les deux clubs s'affrontent en terre forézienne, à Feurs. Et le match n'a rien de très amical. D'abord Roberto Cabanas, le Paraguayen volant, et Jean-Pierre Cyprien, se battent et sont envoyés au vestiaire. Un peu plus tard, l'attaquant David Brockers est séché de manière un peu trop virile. Mais par un supporter lyonnais entré sur la pelouse, Jean-Pierre Cicarello. Aux anges, l'entraîneur lyonnais Raymond Domenech s'en va même défendre la cause du gone auprès de l'arbitre, dit la légende : « le tacle était régulier » lâche-t-il. N'importe quoi.

Mendy, super paysan

L'histoire du derby est faite de provocations et de slogans tous plus imaginatifs (et parfois limites) les uns que les autres (on se souvient du fameux : « Les Gones inventaient le cinéma… Quand vos pères crevaient dans les mines ». C'est le cas ce 6 avril 1994 quand les supporters lyonnais s'avancent dans Saint-Étienne tel un convoi funèbre célébrant « l'enterrement des paysans » stéphanois. Mais l'histoire du derby c'est aussi une succession d'occasions de se taire. C'est le cas ce 6 avril puisque les paysans en question, qui comptent quand même dans leur équipe Lubomir Moravcik, Laurent Blanc et Roland Wolfarth, se révoltent. Et pas qu'un peu. D'abord Joseph-Antoine Bell, quarante ans, résiste aux assauts lyonnais. Puis, c'est le moment que choisit l'attaquant Étienne Mendy pour sauver sa saison. D'abord en offrant une passe décisive à Pascal Despeyroux puis en inscrivant un doublé, entrant à jamais dans l'histoire du derby et dans le cœur des Stéphanois. hommes de Jean Snella. Dans les tribunes, un certain Bernard Lacombe, 11 ans, ne loupe pas une miette de cette orgie offensive.

Mendy

Super Sonny

Dix ans après le derby des retrouvailles, s'en déroule un autre – car l'ASSE est reparti faire un petit tour de trois saisons en D2 – qui là encore marque un tournant : le premier buteur en est un certain Sonny Anderson, Brésilien passé par Marseille, Monaco et le Barça et acheté pour 120 millions de francs. Le symbole de l'ambition lyonnaise et la première star de cet OL qui va écraser les années 2000, décennie durant laquelle l'OL reste invaincu dans le derby : 15 matchs, 9 victoires, 6 nuls.

2x3-2

La domination lyonnaise est sans partage mais la victoire n'arrive pas toujours sur un plateau. Pour Saint-Étienne aussi le derby est le match le plus important de l'année et l'ASSE n'entend pas mourir autrement que les armes à la main. C'est le cas ce soir d'octobre 2004 où le triple champion rencontre des Verts luttant pour le maintien. Sur le papier il n'y a pas de match, sur le terrain si. Jérémie Janot pense avoir pris la mesure de Juninho sur un premier coup-franc du Brésilien qu'il repousse. Mais qui lui permet sans doute d'ajuster la mire pour le second. Car il y en a un second que Juninho marque. Mais Saint-Étienne égalise et prend l'avantage par Marin et Feindouno. À la 87e, les Verts mènent 2-1 face au champion. C'est le moment choisi par Janot pour provoquer un penalty qu'il repousse mais sur Juninho qui marque (décidément). Avant que Govou ne porte l'estocade dans les arrêts de jeu. Pour l'anecdote, à dimension historique tout de même, c'est la première victoire de l'OL à Geoffroy-Guichard depuis 1992. Le match retour sera lui aussi singulier : l'OL marque trois fois en trois minutes, le retour de l'ASSE sera trop juste (3-2).

Sans partage

Quelle meilleure manière de fêter un titre qu'un derby, qu'une victoire dans un derby. Le 30 avril 2006, Lyon est officiellement champion – à quatre journées de la fin – depuis une semaine lorsque les Stéphanois débarquent. Les Lyonnais, cheveux teints au couleur du club (un désastre capillaire intégral), sont bien décidés à célébrer – et à conjurer l'élimination en Ligue des Champions face à l'AC Milan moins d'un mois plus tôt. En tirant sur la barre, Bafétimbi Gomis entretient une certaine illusion vite dissipée par un csc d'Hellebuyck, Fred double la mise avant que les Verts ne retouchent la barre et que Juninho n'inflige un nouveau penalty à Janot. Pedretti clôt l'affaire avec un but de raccroc. 4-0, Cerise sur le gâteau d'une saison de domination absolue.

Karim le magnifique

Karim Benzema a déjà marqué dans le derby quelques mois plus tôt au match aller et permis à l'OL de s'imposer 1-0 à domicile. Il remarquera dans le prochain, la saison suivante, offrant une deuxième victoire d'un but, à Geoffroy-Guichard cette fois, à son son club. Mais celui qui compte le plus dans le cœur des Lyonnais, celui qui peut-être en septembre 2021 a conduit le public du Parc OL a scander son prénom jusqu'à faire trembler les tribunes, pendant pratiquement 90 minutes lors de France-Finlande, c'est sans doute celui du 27 janvier 2008 à Saint-Étienne. Gomis a ouvert le score pour l'ASSE sur une cagade de Coupet et l'on joue la 92e minute, les arrêts de jeu. Les Verts sont au bord de remporter leur premier derby depuis 1994 et le fameux doublé de Mendy. Mais l'OL vient d'obtenir un coup-franc et Karim le magnifique, 21 ans, s'avance. Sa frappe contourne le mur et vient mourir dans le petit filet stéphanois. Le chaudron est climatisé.

La panthère et le lion

Peut-être est-ce une nouvelle époque. Quand Bernard Lacombe avait enfilé le maillot stéphanois – à contre-cœur certes – il avait joué son premier derby du bout des pieds. Bafé Gomis, qui avait repris le rôle de la panthère à Salif Keita, n'a pas ce genre d'états d'âme. Il a signé à l'été 2009 à l'OL. Le 31 octobre il entre en jeu à la 71e, douze minutes plus tard il marque un but de renard – plus que de panthère – et offre la victoire à Lyon. À Saint-Étienne. Et se lance dans une course folle pour célébrer. Couillu. La panthère est devenue un lion.

Strass et Payet

Saint-Étienne n'aurait pas pu choisir meilleur moment pour renouer avec la victoire après seize ans de traversée du désert. Le 31 octobre 2010, c'est la centième et elle a lieu à Gerland. Oh, les Verts sont dominés mais le score reste vierge. Jusqu'à la 75e. Cette fois c'est Dimitri Payet qui va jouer les sauveurs sur coup-franc. C'est un coup-franc pour gaucher mais le droitier n'en a cure, il contourne le mur côté fermé et loge le ballon dans la lucarne, envoyant Hugo Lloris s'empêtrer dans ses filets.
Au retour, Lyon se vengera à Saint-Étienne en écrasant les Verts 4-1.

2014

C'est l'année de Saint-Étienne dans le derby. Le 30 mars 2014, c'est même un peu le monde à l'envers : l'ASSE est troisième du championnat de France (qu'elle terminera 4e, devant Lyon) et vient s'imposer 2-1 à Gerland. Chambrant même son adversaire et ses supporters comme si elle évoluait à domicile. Neuf mois plus tard, c'est le sorcier Galtier qui en galvanisant ses troupes dans le vestiaire avec un historique des grands derbys mondiaux allume l'étincelle. Les Verts l'emportent 3-0, comme lors de la dernière victoire à domicile, il y a déjà vingt ans.

Gerlantissime Lacazette

8novembre 2015, 111e derby, le dernier à Gerland. Pour l'OL il faut marquer le coup. Alexandre Lacazette qui a repris le rôle des Maurice, Govou, Benzema, en tant que prodige fait-maison l'a fort bien compris qui se fend d'un hat-trick gerlantissime. Il reprend surtout celui de Frédéric “Fritz” Woehl qui avait fait de même lors du premier derby à Gerland. La page se tourne de la plus belle des manières.

La mémoire dans la peau

Lyon ne gagne plus à Gerland, bon, depuis trois ans seulement mais ça commence à suffire pour vexer un peu les Gones. Le magicien Galtier étant parti (il s'apprête à signer à Lille), emportant avec lui ses sortilèges, c'est peut-être le moment d'y remédier en ce 5 novembre 2017. Et à vrai dire il n'y a pas de match. Lyon en met cinq, Nabil Fekir auteur d'un doublé sera le héros du match, perpétuant une longue tradition de brillance de la pépite locale dans le derby. Et offrant aux deux équipes l'une des images iconiques de l'histoire du derby : il retire son maillot, sa seconde peau, et le présente à des supporters doublement verts pour montrer qui c'est Raoul (c'est Nabil). L'OL l'emporte 5-0. Moins de quatre ans plus tard, le club lyonnais remet ça, Tino Kadewere inscrit son deuxième doublé dans un derby. Les deux fois, il n'y a personne pour l'applaudir ou le conspuer, le match est à huis clos. Un derby sans public, à quoi bon ?

À lire :

En 2004, Cyril Collot et Sébastien Vuagnat avaient déjà signé un livre sur l'histoire du derby lyonno-stéphanois. Ils y reviennent cette fois sous la forme d'un almanach qui recense les épisodes marquants de cette rivalité née en 1951, ses matches mythiques et ses buts éternels et ses retournements, les différentes manifestations des chamailleries de ses supporters, ses héros et ses symboles – ses figures parfois oubliées aussi – et ses anecdotes folles. Derbyrama, préfacé par le plus vert des Lyonnais, le journaliste Vincent Duluc, c'est aussi le portrait en pointillés de deux villes que tout semble opposer mais qui sont quelque part les deux faces d'une même pièce, qui peineraient presque à exister l'une sans l'autre et sans cette rivalité qui a tout de la vendetta dont on a oublié l'origine. C'est avec une certaine tendresse et sans animosité – on oserait dire : avec bienveillance – que les deux auteurs, eux mêmes supporters on l'aura compris – décortiquent le plus beau derby français et déclarent leur flamme au match le plus important de l'année.

Derbyrama

Derbyrama, football, amours et querelles de Cyril Collot et Sébastien Vuagnat (éditions du Volcan)

Crédits photos : DR, Icon Sport, MAXPPP