Secret sunshine

Un magnifique mélodrame sur le sort qui s'acharne sur une femme cherchant à refaire sa vie, par Lee Chang-Dong, figure majeure du cinéma sud-coréen. Christophe Chabert

Pour bien comprendre d'où vient Secret sunshine qui, entre autres splendeurs, possède celle d'une étonnante singularité, il faut d'abord présenter son réalisateur Lee Chang-Dong. Dans le paysage du nouveau cinéma sud-coréen, celui-ci possède une place à la fois centrale et particulière. Centrale, car il fût pendant plusieurs années ministre de la culture, défendant l'exception culturelle qui permit l'explosion de toute une vague de nouveaux talents. Cependant, là où les jeunes cinéastes apparus ces dernières années ont cherché dans leur œuvre à marier thématiques personnelles et cinéma commercial, Lee Chang-Dong creuse patiemment un vrai cinéma d'auteur, à la manière d'un Kim Ki-Duk. Mais si ce dernier tourne plus vite que son ombre des œuvres courtes et inégales, Lee préfère laisser mûrir ses sujets, quitte à les laisser s'épanouir ensuite dans une durée confortable (souvent près de 2h30). Après Green Fish (inédit en France) et Peppermint Candy, sidérante histoire de la Corée racontée à l'envers à travers un parcours romanesque tragique, il réalise Oasis, film risqué, insensé et miraculeusement réussi. L'histoire d'amour entre un petit voyou pas bien malin et une handicapée mentale faisait frissonner sur le papier ; à l'écran, le film réussit l'exploit de la rendre évidente, jamais scabreuse, utilisant l'onirisme non pas comme un cache-sexe, mais comme un rempart face à la cruauté du monde. De cette idée bouleversante découle aussi Secret sunshine, qui n'a même plus besoin de rêveries pour dire l'espoir qui surgit dans une vie qui prend l'eau de toute part.Une petite ville hostileShin-ae, jeune professeur de piano, vient s'installer avec son fils dans la petite ville de son mari défunt, Myriang (qui signifie en coréen Rayon de soleil caché). Là, elle va connaître un nouveau drame personnel, terrible ; elle cherchera à s'en sortir et à faire une fois encore son deuil, mais chacune de ses tentatives contribuera à l'enfoncer un peu plus dans le désespoir. C'est donc un véritable calvaire que Lee Chang-Dong met en scène, celui d'une femme qui perd tout et se cogne contre des murs en pensant échapper à sa douleur. Le cinéaste, cependant refuse de brusquer ce destin déjà brutal ; l'installation dans la petite ville laisse ainsi le doute planer sur les sentiments de ses habitants face à cette étrangère. Qui, de Shin-ae ou de ses «hôtes» sont les plus décalés ? Le malaise gagne, et le récit oscille constamment d'un point de vue à l'autre, entre cette brave fille qui, mine de rien, commet beaucoup de gaffes et d'erreurs, et des locaux coincés entre mesquinerie glaçante et longues habitudes provinciales. Le basculement de la chronique à la tragédie n'en est que plus surprenant ; le film paraît dégringoler en bas d'une pente qu'il avait mis près d'une heure à grimper, et qu'il s'apprête à escalader de nouveau. Mais c'est un trompe-l'œil car Secret Sunshine ne change de registre que pour mieux creuser son véritable sujet, qu'il tient lui aussi précieusement caché : dans le drame, les individus sont toujours seuls face à leur communauté.L'impasse religieuseC'est pour cela que le détour, que l'on imaginait bref, par la religion va finir par occuper presque un tiers du film. Shin-ae, incapable de surmonter la tragédie, finit par céder aux sirènes d'une pharmacienne évangéliste, et franchit les portes d'un temple. La description qu'en fait Lee Chang-Dong est d'abord hilarante : les prières des fidèles sont outrées, la mise en scène du culte grotesque (une sorte de pop band assure la partie musicale). Mais, plutôt que de fermer la parenthèse, il va suivre son héroïne qui, étrangement, trouve dans ce simulacre religieux un authentique réconfort. Jusqu'à ce que, lors d'une scène d'une puissance exceptionnelle, cette rédemption ne lui revienne en pleine figure, l'amenant à nouveau dans l'impasse. Dans un même mouvement, le cinéaste règle leur compte aux bondieusards qui exploitent la misère humaine et fait franchir à son personnage un palier dans l'acceptation de cette dure vérité : il n'y a pas de sens à l'existence humaine, et le chemin est long et solitaire. La richesse inouïe du scénario mériterait un commentaire complet (notamment le rôle de cette adolescente rebelle que Shin-ae n'ose pas aider, laissant supposer que l'égoïsme peut aussi être du côté de ceux qui souffrent, des «victimes»). Mais il faut aussi dire la manière cinématographique avec laquelle Lee Chang-Dong fait de Secret sunshine un film absolument unique. Son style, brut et réaliste, caméra à l'épaule toujours proche de son personnage, laisse croire que le film est un proche cousin de ceux des frères Dardenne. Ce qui n'est pas complètement faux, à ce détail majeur près : face à Shin-ae (Jeon Do-Jeon, prix d'interprétation ultra-mérité à Cannes), le cinéaste introduit le personnage un peu benêt mais absolument dévoué du garagiste Kim, incarné par Song Kang-Ho (extraordinaire comédien révélé dans Memories of murder et The Host). Kim est, face à ce bloc tragique qu'est Shin-ae, un vrai personnage de comédie. Ce duo-là aurait pu s'annuler ou, pire, provoquer l'embarras. Mais, au contraire, Kim apporte au film une distance nécessaire : le regard incrédule de celui qui porte l'espoir et l'amour, même naïvement, dans un monde basculant dans la folie.Secret Sunshinede Lee Chang-Dong (Corée du Sud, 2h22) avec Jeon Do-Jeon, Song Kang-Ho...

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