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Quand on arrive en livre !

«Faire marrer, c'est mon plus produit»

Entretien / Richard Bellia, photographe rock, auteur d’Un Œil sur la Musique, colossal retour en images essentielles et en textes acides sur 25 ans de rock. Propos recueillis par Stéphane Duchêne

Petit Bulletin : Un Œil sur la musique vaut presque autant pour les légendes des photos que pour les clichés eux-mêmes…
Richard Bellia : J’ai un peu voulu bousculer la norme : en général, chacun fait son taf : le journaliste écrit son papier, le photographe fait un portrait. Point. J’ai l’impression que personne n’a encore sorti de bouquin où le photographe donne son avis. Et puis, au bout de 260 pages, on peut se dire que mes photos m’autorisent un peu à l’ouvrir... Mais j’ai surtout fait en sorte d’éviter les poncifs de l’écriture rock.

Justement, on est frappé par le regard distancié que tu portes sur la mythologie rock. Comme quand tu ironises sur Metallica ou Björk…
Être à fond sur la mythologie du rock, c’est typiquement français. Mais ça fait du bien d’apporter un éclairage supplémentaire sur des choses un peu crispantes : Metallica, c’est le premier groupe qui a fait un procès à Napster parce qu’on téléchargeait leur musique. Dans un sens, c’est légitime, mais ces mecs là depuis 20 ans, ils vendent un disque toutes les 8 secondes. Ils avaient peur de quoi ? De ne plus vendre qu’un disque toutes les 16 secondes ? Björk, il y a une espèce de consensus autour d’elle mais tu as déjà rencontré quelqu’un capable d’écouter un de ses albums jusqu’au bout et de dire à la fin : «Ouah, c’est tellement bien que vais je le remettre» ?

Tu portes un regard tout aussi ironique sur le fanatisme rock… Toi-même tu as parfois eu affaire aux fans mécontents de Cure et des Pixies après avoir moqué leurs idoles…
J’adore me farcir les fans de Cure. Il faut voir que la vie de Robert Smith, que j’adore, est hyper-angoissante. Depuis 25 ans, il ne peut pas prendre l’avion avec ses copains et ses guitares sans trouver, où qu’il aille, à Lyon, au Japon, au Mexique, 5000 mecs habillés en grand-mère qui rejouent ses clips. Ça fout la trouille. Mais le truc génial avec la musique, c’est quand même la qualité de sourire des gens au premier rang. Tu es à un concert de metal, il y a 80 000 personnes qui font la queue et quand la porte s’ouvre un petit bipède qui écoute du métal depuis toujours, court se mettre au premier rang. Il a 80 000 mecs dans son dos, il se dit «ça y est, j’y suis mon pote». Et les mecs au troisième rang, ils font : «Aaah presque !».

Tu te retrouves dans ces fans ?
J’adore la musique. Quand tu es photographe de concert, t’es au premier rang, tu peux rencontrer les groupes, leur serrer la louche, c’est génial. Mais en même temps tu n’arrives pas en disant : «Bonjour, j’adore ce que vous faites, je vous ai acheté une peluche» mais «je suis photographe, votre musique m’intéresse et je vais essayer de confronter ma créativité à la vôtre». Le truc c’est : «qu’est-ce qu’on peut faire de ce que m’inspire votre musique ?» Photographe, c’est un acte créatif dont je n’arrive pas à me lasser.

Certaines photos témoignent de la naissance de mouvements, comme le hip-hop ou le grunge. Comment saisir sur le moment l’importance de ce qui se passe ?
Quand ils arrivent, tu vois bien que les mecs ne cherchent pas à plaire mais avancent avec l’absolue certitude que leur musique va ringardiser tout le reste. Mais je fais surtout les photos que j’ai envie de faire. Quand je fais les Happy Mondays ou Nirvana, ce qui intéresse la presse française c’est les Garçons Bouchers. Nirvana, franchement, ils n’en ont rien à foutre. Je continue à aller chercher mes photos en fonction de ce qui m’intéresse, pas de ce qui marche ou de ce que je pense qui va marcher. Sinon, j’irais faire des photos de la Tektonik à Bellecour. Même Time Magazine en cherche, mais ça ne m’intéresse pas.

Quelques photographes rock, comme Anton Corbijn, accèdent à une forme de starisation comparable à celle des musiciens eux-mêmes. Sur quoi se fait la différence ?
Il faut un style excitant dans lequel les musiciens se retrouvent. N’importe quel mec photographié par Corbijn a envie de recommencer. Et puis, entre son film (Control, sur la vie de Ian Curtis, chanteur de Joy Division, NdlR), ses clips, ses pochettes de disques, ses photos dans la presse, ses expos, c’est un mec qui bosse énormément. Il fait même des timbres en Hollande. En France, Clause Gassian marche très bien parce qu’il n’a jamais arrêté. C’est comme ça que tu te rends indispensable.

Il y a une technique particulière à la photographie rock ?
Il faut aller vite. Avec les attachés de presse, c’est «rendez-vous à l’Hôtel dans une heure, vous avez quatre minutes». Ça implique d’être super concentré et ça conditionne ton travail et ton style. Tu as quatre minutes d’attention, tu les exploites à fond, tu dis merci et c’est bon. J’ai eu deux fois des séances où on m’a laissé un groupe pendant trois heures. On peut pense que c’est confortable, mais c’est mortifère. Au bout d’une demi-heure, les mecs s’emmerdent tellement qu’ils ont l’œil vide et tu ne sais plus quoi faire d’eux. Les gens capables d’avoir un sourire photogénique pendant quatre heures, c’est les présentateurs télé, les acteurs et les mannequins. Pas les musiciens.

À l’inverse de la tendance de la photo rock depuis des lustres, on voit pourtant beaucoup de sourires sur tes photos.
Je me suis rendu compte que je faisais marrer plein de gens. C’est peut-être aussi inhérent au fait que ce sont des artistes que j’aime bien, que je leur montre que je suis content d’être là avec eux. En tout cas je ne leur demande pas de sourire, ça vient naturellement. Dans le marketing, on appelle ça le «plus produit». Le mien ça doit être de faire marrer.

RICHARD BELLIA
«Un Œil sur la musique» (Ed. Trois chansons sans flashs)
Disponible sur www.richardbellia.com

EXPOSITION
Au Café Cousu
Du 9 au 19 novembre

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