Le Carnaval des Animal

Musique / Animal Collective revient à Grnd Zero avec sous le bras un album hors-norme, Strawberry Jam, où les animaux de la forêt se déguisent en Beach Boys des bois. Stéphane Duchêne

Comme l'a mentionné l'hebdo anglais New Musical Express dans sa revue de l'album Strawberry Jam, définir par écrit la musique d'Animal Collective nécessiterait une feuille de papier de la taille du Texas. Sur laquelle on éparpillerait à l'infini les genres musicaux à épithète (weird folk, psyché pop, noise rock...) et les parentèles (Syd Barrett, Brian Wilson, Aphex Twin, My Bloody Valentine...). «Larger than Life» disent les Américains pour décrire ce que trois dimensions ne suffisent pas à mesurer. Pas étonnant, donc, que les bestioles Avey Tare, Panda Bear, Geologist et Deakin aient quitté très tôt leur nid de Baltimore, fade voisine de Washington, dont John Waters célébra au caca l'insipidité dans plus d'un film, et où leur musique, capable de recouvrir le plus grand État américain (après l'Alaska, province en quarantaine boréale), ne pouvait que se sentir à l'étroit. Mais c'est finalement moins dans la faune arty de Brooklyn qu'ils ont fini par émigrer, que vers la quête errante d'un éclatement des frontières où mirages psychédéliques et paganisme bordélique d'un Songe d'une Nuit d'Été, aspergés façon Pollock de giclées d'expérimentations électroniques et tribales, ont fini paradoxalement par structurer une parole musicale. Ce qui a conduit Animal Collective à sortir du bois pour explorer les transfigurations sous acides de Brian Wilson et ses Beach Boys, déjà sur le précédent Feels et plus encore sur ce Strawberry Jam qui n'a rien d'une marmelade et tout de l'avenir de la pop. Messies neuneusMais là où Brian Wilson, J.-S. Bach en chemise à fleurs, tentait d'édifier des cathédrales baroques sur des paillottes sud-californiennes, Animal Collective, élève la pop à des hauteurs insoupçonnées, certes, mais en n'acceptant le recours aux échafaudages que si l'on peut ensuite se jeter dans le vide en faisant la bombe. Ici se joue la tension à l'œuvre chez Animal Collective : le futur se construit en régression, la main dans le pot de confiture, la structure n'est belle que lorsqu'on la dynamite et que la Nature reprend ses droits, comme sur Peacebone, tonitruant pow-wow inaugural où l'entrelacs de bip-bips est dévoré par les cris d'animaux. En rapprochant ainsi chant de la terre et surf music, chamanisme folk et Fun Fun Fun à la Beach Boys, Animal Collective réconcilie deux piliers du mythe américain se regardant en miroir dans l'adoration de la Nature originelle et le culte de l'illumination spirituelle : les Indiens, dépossédés d'une Terre dont les Grands Esprits agitent toujours le titre de propriété, et les surfeurs, pionniers jusqu'au-boutistes poussés à l'eau faute de territoires à conquérir. En ce sens, Strawberry Jam pourrait d'ailleurs être la bande son de John From Cincinnati, nouvelle série étrange du créateur de Deadwood, grand explorateur de l'inconscient américain, où une famille de surfeurs en rupture de ban, ne se contentant plus de «marcher sur l'eau», fait, entre lévitation et résurrection, l'expérience d'une révélation mystique initiée par John, frère cosmique du Brian Wilson à l'Ouest de la fin des 60's et étrange messie neuneu venu de Cincinnati (mais c'eut peut-être de Baltimore). Messies neuneus, voilà qui sied bien aux membres d'Animal Collective et à l'abstraction de leur glossolalie post-babélienne, parole révélée autant que «paroles gelées» rabelaisiennes à réchauffer au coin du feu de camp pour en saisir le sens précaire. Bouillie de fraiseQuant à dire que Strawberry Jam est l'équivalent du chef d'œuvre des Beach Boys, Pet Sounds («Cris d'animaux de compagnie»), il n'y a qu'un pas. Sur les deux disques, on retrouve à quarante ans d'écart, les mêmes motifs aquatiques (Cuckoo Cuckoo), les mêmes yodles illuminés (les scotchants For Reverend Green, Winter Wonder Land et Derek), la même recherche de l'innovation appliquée aux derniers retranchements de l'époque (#1), travail déjà entrepris en solo par Panda Bear sur Person Pitch, sorti au printemps. Mais là où Pet Sounds a constitué à la fois un sommet et un chant du cygne pour les Beach Boys (dépression de Wilson, coup d'État permanent de l'odieux Mike Love), Strawberry Jam n'est qu'une étape supplémentaire pour Animal Collective, dont les membres avouent être déjà passés au repas suivant. En vérité, ce disque, comme Feels avant lui, a aussi pas mal à voir avec la paire bancale Smile/Smiley Smile, albums maudits et inachevés de Wilson, dont ce dernier baptisait «feels», les amorces de chansons. Mais sur la mythique pochette de Pet Sounds, les Boys, en escapade au zoo, ne nourrissent-ils pas de fruits un collectif animalier étrangement affamé ? Métaphore prémonitoire de ce qui semble alimenter ici l'inconscient musical d'Animal Collective, recraché sous la forme de cette bouillie de fraise dont on n'a pas fini d'essayer de déterminer les véritables ingrédients.ANIMAL COLLECTIVE + FRANCOIS VIROT + ISLAJAAu Grnd Zero (Vaise)Jeudi 25 oct.

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