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"Tirer la langue"

Entretien / Emmanuel Daumas, metteur en scène de l’Ignorant et le fou au Théâtre du Point du Jour. Propos recueillis par Dorotée Aznar

Les spectateurs Lyonnais ont déjà pu voir le travail que vous avez effectué sur des textes de Paul Claudel ou de Copi. Cette fois, on vous retrouve avec un texte de Thomas Bernhard, vos choix d'auteurs peuvent paraître étonnants…Emmanuel Daumas : En fait, j'envisage chacun de mes projets comme une tentative. Il n'y a pas vraiment de cohérence plastique ou de sillon thématique. Je pars simplement d'un projet qui me paraît cohérent. En même temps, je trouve qu'il y a une très grande proximité entre La Tour de la Défense et L'Ignorant et le fou. Les deux pièces disent un peu : puisque rien ne sert à rien, il n'y a plus qu'à tirer la langue. Dans ces deux pièces, on retrouve le détournement, ce sont presque des anti-représentations, mais avec un amour énorme du théâtre. Ce ne sont pas simplement des auteurs à thèse qui feraient une tentative de destruction.Mort, maladie, fin des illusions sont des thèmes que ces auteurs développent chacun à leur manière…Ces deux auteurs rendent compte d'une Europe au bout du rouleau. On fête le réveillon ou on fait de l'opéra mais on est au bout. Je pense qu'aujourd'hui, l'insignifiance est claire pour tout le monde, plus personne n'est dupe, pas même les politiques j'ose espérer. Quant à la maladie, Bernhard et Copi sont tous les deux malades, ils écrivent des pièces qui sont des vanités avec des pulsions de vie colossales. Quand j'ai décidé de mettre en scène l’Ignorant et le fou, les gens trouvaient que c'était un texte triste alors que personnellement je le trouve hyper drôle. On peut penser que c'est un spectacle un peu janséniste, pourtant, le fou rire libérateur intervient. Je ne trouve pas cela sage comme travail. Bernhard parle des carcans de la bourgeoisie, pour moi, ce sont les mêmes que ceux de l'univers des pédés ou des travelos.Votre version de La Tour de la Défense était particulièrement déjantée. Cette fois, on retrouve très peu de fioritures ou d'ajouts personnels…Je me suis mis en position très humble par rapport au texte. Je me suis même un peu écrasé par rapport à la profondeur de la réflexion de Bernhard. J'ai tenté de chercher où était l'auteur et d'être le plus proche de lui. Je suis toujours tenté de faire des ajouts, des conneries, mais cette fois je me suis dit que cela ne pouvait être que réducteur.Votre dernière mise en scène peut faire penser au travail de Tg Stan, notamment lors de l'épisode du dîner… C'est volontaire de votre part ?J'apprécie en effet beaucoup le travail de Tg Stan et il m'influence beaucoup. J'aime l'idée que les acteurs tentent quelque chose un soir, même si ça ne marche pas. Mes acteurs sont assez libres. Par exemple, Dominique Valadié essaie toujours de questionner le texte au moment où elle le joue. J'aime aussi quand on peut faire penser une chose et son contraire ; toutes ces vérités qui mises ensemble sont monstrueuses… Les gens parlent en essayant de comprendre le monde et un jour on meurt et on n'a toujours rien compris. Je crois que Bernhard ça le fait marrer d'entendre les gens parler.Les rapports père-fille sont particulièrement violents dans la pièce. Que pensez-vous du père tel que le dépeint Bernhard ?Même si j'adore mon père et que nos rapports sont sans heurt aucun, j'ai l'impression que le rapport au père ne peut être que celui que décrit Bernhard : nos pères sont aveugles et il faut leur mettre des brassards pour que tout le monde le sache. C'est drôle, la cantatrice reproche à son père de n'avoir pas su "éveiller sa confiance" alors même qu'il n'arrête pas de lui dire qu'elle est géniale. On ne sait pas trop dans quel type de rapports ils sont, ils sont à la tour à tour parent et enfant… Quelle horreur !Cette pièce n'est pas tendre avec l'art, avec le théâtre, avec le public. Vous avez des comptes à régler ?Souvent, je me demande à quoi ça sert… Cette idée de la supériorité des artistes est vraiment très fatiguante. Pour moi, c'est difficile d'envisager de faire du théâtre sans envisager la possibilité d'arrêter… Même si c'est un leurre. Comme Bernhard, je m'interroge sur le sens, depuis toujours. Je cherche aussi à savoir pour qui nous continuons. C'est ambigu car cracher au visage du public, c'est aussi se cracher dessus. Il faut être en dissidence, être toujours contre, si l'on suit la masse on est dans le faux. Bernhard a dit : "les enfants vivent dans la vérité, les adultes vivent dans l'imaginaire", j'espère que le spectacle fait penser à cette phrase.Vous semblez particulièrement marqué par cette mise en scène…C'est vraiment troublant d'entrer dans le monde de Bernhard. Après cela, même quand on marche dans la rue, on regarde les gens et on se demande dans quel imaginaire les gens ont décidé de vivre le temps qui leur reste !

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