Sandrine Kiberlain, actrice et chanteuse, n'hésite plus à remettre son image en jeu, entre chansons distanciées et comédies noires.Christophe Chabert
"Vous voulez dire que l'ironie fait partie de mon caractère ?», nous interpelle-t-elle quand nous lui résumons cette réflexion-là. «Je pense, oui... L'ironie, le second degré, l'auto-dérision. Je n'arriverai pas à parler de moi dans un album en me prenant au sérieux, sans recul, mais pourtant je le fais sérieusement. Et j'aime quand les films parlent de choses sérieuses, mais sans tomber non plus dans la gravité». En choisissant coup sur coup deux comédies, aussi noires soient-elles, Kiberlain a en effet fait une double démonstration convaincante : primo, elle possède une vitalité proche des grandes actrices comiques américaines ; deuzio, cette vitalité-là est associée à un sens du tempo, une manière de doser les effets et faire vivre le personnage qui n'est pas à la portée de la première venue. C'est l'écriture du personnage, d'ailleurs, qui l'a séduite dans le film de Marc Fitoussi. «Quand j'ai lu le scénario, je n'ai pas vu en Alice une actrice ratée ; j'ai vu un personnage très drôle parce que très bien écrit, extrêmement égocentrique, extrêmement obsessionnel». Loin d'elle, même si elle confesse avoir connu, au début de sa carrière, les mêmes déboires qu'Alice : castings foireux («Trop grande !», ) courts métrages pas payés... La - petite - galère, mais qui «permet d'apprendre à se connaître soi-même, à construire un parcours pour devenir une vraie personne, et un vrai acteur». «Ça prend du temps», ajoute-t-elle...En avoir (ou pas)
Du temps, donc. Celui de trouver, puis de rompre, avec un alter-ego cinéaste : Lætitia Masson, qui la révèle au public dans En avoir (ou pas), puis l'impose définitivement dans À vendre, avant de lui faire endosser la tenue mal ajustée de Marylin française perdue dans des rêveries pseudo-lynchiennes où elle croise un Johnny Halliday en imitation faux-cuir d'Elvis. Love me marque logiquement la fin de cette collaboration ; pour Kiberlain, cela débouche sur une autre rencontre, pendant le tournage du film de Benoît Jacquot Le Septième ciel, avec son partenaire à l'écran puis, un temps, à la ville, Vincent Lindon. Avec qui elle partagera aussi quelques amitiés avec des metteurs en scène... mais pas les meilleurs, hélas ! Seul Pierre Salvadori dans Après vous pressent ce désir de comédie inquiète chez Kiberlain ; un désir qu'Emmanuel Cuau et Marc Fitoussi sont venus confirmer avec éclat. Aujourd'hui, elle peut pose à l'écran en équivalent féminin d'un Jean-Pierre Bacri, tant elle excelle dans la bougonnerie vacharde et pleine de bon sens, le regard amusé et lucide sur un monde qui devient fou. Mais son modèle revendiqué, c'est Judy Davis, et notamment son personnage de femme trompée et frigide dans Maris et femmes de Woody Allen : «stressé, à bout de nerfs, antipathique, mais à mourir de rire». La boucle est bouclée : pour son entrée au Conservatoire, elle n'avait pas hésité à jouer un extrait de... Annie Hall, du même Woody Allen. Reste à voir (et à entendre) la suite : un deuxième album (Coupés bien net et bien carré, le 1er octobre dans les bacs), une nouvelle comédie avec Agnès Obadia. Et, plus risqué, l'adaptation fictionnelle d'Elle s'appelle Sabine, le docu de Sandrine Bonnaire sur sa sœur autiste. Sandrine K. jouera Sandrine B., Sandrine B. jouera Sabine et réalisera. «Ce ne sera pas une comédie» précise Kiberlain... Mais en riant, bien sûr !