Lundi 30 septembre 2024 Après 43 ans d’engagement pour la photographie contemporaine, la galerie Le Réverbère, symbole de l’art photographique à Lyon, fermera définitivement ses portes. Retour sur une épopée qui a façonné le regard sur la photographie en France.
Expo / Le photographe Jacques Damez plonge son objectif dans le corps nu et mystérieux des femmes. Une traversée à la fois charnelle et métaphysique. Jean-Emmanuel Denave
Une femme nue accroupie entourant ses jambes pliées de ses bras, et dont on ne voit que le menton et la bouche entrouverte ; une autre, en face, dans la même pose mais plus estompée et floue... Un superbe paysage de peau flottant, indécis, entre lumière et obscurité. Un dos à la texture âpre et grisâtre, bosselé de muscles et de vertèbres, sans commencement ni fin... D'emblée, l'exposition de Jacques Damez éclate le regard aux quatre coins du corps féminin, le colle au plus près de la peau, de ses accidents et de ses innombrables textures. Regard désorienté, fragmenté, enveloppé, qui se perd parmi les noirs opaques ou les dégradés de gris et les chairs à l'heure du loup. Les formats des images noir et blanc varient sans cesse, de même que le grain et la qualité du papier. Il y a des seins ou des fesses qui semblent sortir du cadre, des parties confuses et d'autres d'une grande netteté et précision. On croit pouvoir se raccrocher à un ou deux visages, pensant y reconnaître le genre coutumier du portrait, mais la figure sociale ou psychologique s'efface ici au profit d'une face nue, silencieuse, évanescente.... «La tête baissée sur le viseur 6*6, les yeux fixés sur le dépoli, je plonge dans le vertige infini du néant de l'appareil photo, au bord de l'abîme et je regarde, je suis face à face avec le nu», écrit Jacques Damez. Cela pourrait ressembler à une déclaration lyrico-emphatique, mais le fait est que, nous-aussi, nous sommes pris de vertige, palpant littéralement des yeux la peau des modèles, ses dénivelés, ses béances, ses surfaces toujours répétées et toujours différentes. Le nu se dérobe Ces photographies récentes font partie d'une série toujours en cours, commencée en 1991 et intitulée Tombée des nues. Pendant de longues séances de prise de vue, Jacques Damez laisse ses modèles amateurs choisir leurs poses et attitudes. Les images tombent littéralement des nues livrées à elles-mêmes, à leur propre rapport à leur corps, sans exigences ni directives extérieures. Le photographe, quant à lui, vacille, tente «d'épuiser les possibilités d'arrangement du corps dans son espace», conscient de ses propres pulsions et inquiétudes, et de la «nécessité de regarder en face, de ne pas détourner les yeux, de ne pas maquiller l'idée qu'il y a dedans, à l'intérieur du corps regardé, un sexe, une bouche d'ombre qui, à l'opposé du reste du corps, fuit et repousse la lumière». Nous sommes donc là très loin de tout érotisme de pacotille et des codes classiques du nu : les images de Jacques Damez ne prennent jamais le regard dans le sens du poil, toujours incertaines et incomplètes (on ne voit jamais un corps «entier»), in-tranquilles et distillant même parfois un certain malaise. Dans un très beau texte accompagnant la parution d'un livre sur cette série, le philosophe Jean-Luc Nancy écrit : «La nudité n'est pas la vérité. Elle en est l'inquiétude, l'attente, le souci et l'appel tout ensemble. Peut-être aussi le dérobement : robe enlevée, il faut comprendre que tout reste à découvrir».
Jacques Damez
au Réverbère jusqu'au 13 juillet Tombée des nues, Éditions Marval, 39 euros
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