Glandeurs et décadence

Musique / Sensation anglaise de la saison, les Klaxons ont choisi le Kao pour annoncer la fin du monde avec Myths of the near future, fusion rigolarde et millénariste. Entre cauchemar new wave et rave en couleur. Stéphane Duchêne

Le futur, c'est déjà tout de suite. Alors qu'on ne cesse de nous alarmer à coups de docu-fictions et de rapports d'experts sur ce que sera notre vie dans un avenir plus ou moins proche (60° à l'ombre, de l'eau jusqu'aux genoux, une retraite de misère et même plus de pétrole pour donner du goût aux chewing-gums anti-tabac), un trio de zozos anglais baptisé Klaxons débarque avec un album annoncé comme le futur du rock anglais. Son titre : Myths of the Near Future, emprunt à l'écrivain d'anticipation JG Ballard. Derrière le collage surréaliste qui orne la pochette et l'élan prophétique qui l'accompagne, on ne peut s'empêcher d'y voir un pied de nez à cette tendance dure du rock anglais dont nous avons déjà parlé : cette propension à prophétiser l'avenir, à inventer et mythifier trois fois par semaine des courants aux noms fumeux (grebos, twee-pop, shoegazing...), plus éphémères que des papillons de réverbères, et annonçant généralement le retour d'un improbable messie rock garant d'un nouvel âge d'or. Choisir la vieÉpoque oblige, les Klaxons, nés entre Londres et Stratford-upon-Avon, patrie de Shakespeare, ont été, comme d'autres avant eux (Arctic Monkeys en tête) révélés par le site Myspace (1,5 millions d'écoutes sur leur page). Un phénomène qui a largement pris de vitesse la presse britannique, historiquement habituée à faire la pluie et le beau temps et qui, à l'heure du net, se contente le plus souvent de regarder par une fenêtre Windows pour voir le temps qu'il fait sur le paysage musical. Elle s'est ici rattrapée aux branches en collant sur les Klaxons l'étiquette new rave, jeu de mots évoqué comme une blague par l'un des membres du groupe se référant à deux genres antinomiques : la new wave, courant synthétique et peu souriant des années 80 et le joyeux phénomène rave des années 90. La new rave potache des Klaxons fusionne donc rock et dance en les pastichant : noirceur glaciale de la new wave contre grand raout électro fluorescent. Avec les Klaxons, et leurs disciples déjà prêts à ramasser les miettes (Shitdisco, Datarock, New Young Pony Club...), on se croirait revenu dans cette Grande-Bretagne marrante et tragique que dépeignait Trainspotting : un repère de freaks rigolards et glandeurs scotchés à un mode de vie plus rock'n'roll que la discographie complète d'Iggy Pop. La différence c'est qu'aujourd'hui, on adhère toujours au slogan hyper moral du film «choisir la vie» mais, comme le préconisait l'esprit hédoniste des ravers, avant tout pour s'y amuser, la brûler par les deux bouts, trop conscient de l'état délabré du Monde. «La maison brûle»Myths of the Near Future prouve qu'on peut mélanger les musiques d'un passé proche et se réclamer du Manifeste du Futurisme de Marinetti pour mieux vivre l'instant présent en fusionnant la tête (à l'envers) et les jambes (à son cou) en une drôle de «décadanse». Les Klaxons, sacrés farceurs, appellent ça du happy hardcore, oxymoron qui inviterait les Happy Mondays et Suicide à une joyeuse orgie sanglante où l'on chanterait en même temps Stayin Alive et Highway to Hell pour fêter la fin du Monde à coups de klaxons qui font «pouet pouet». Car le futur qu'ils nous dépeignent, inspiré par les écrits de Ballard, Jarry ou le prince de l'occulte Aleister Crowley (auquel le martial Magick rend hommage), n'est pas plus rassurant que l'intégrale des discours écolo-millénaristes du gourou Nicolas Hulot psalmodié par Roger Gicquel. Sur Forgotten works, on pressent la catastrophe : "Light the bridges with the lantern, you know something's going to happen". Alors sur ces ponts, on danse frénétiquement d'un pied sur l'autre parce qu'en accord avec le présage chiraco-domestique «la maison brûle» et que le sol est trop chaud pour y rester planté. Il suffit par exemple d'écouter l'hymne Atlantis to Interzone et sa sirène d'alerte nucléaire pour courir vendre ses actions Olympique Lyonnais et acheter un masque à gaz. Atlantis, c'est cette île de légende engloutie par la montée des eaux, l'Interzone, un monde intermédiaire, région mentale inexplorée évoquée par William Burroughs. Entre les deux : nous, écopant un raz-de-marée à la petite cuillère. Quant au titre qui clôt Myths of the Near Future, Four Horsemen of 2012, il nous promet, comme son nom l'indique et dans un style paranoïde à la The Fall, l'armageddon pour la fin de la mandature Ségo-Sarko : 2012. Les trois Klaxons auraient mieux fait de s'appeler les Trompettes. De l'apocalypse, de la renommée ou les deux. Car en annonçant la fin du monde, la fin de la musique, et peut-être même celle des beans, en dépendant eux-mêmes la crémaillère pour y attacher une corde, les Klaxons, faute d'être les premiers dans la course anglaise à la postérité, ont peut-être trouvé le moyen d'être les derniers. Der des ders. Ceux après lesquels gazon et rock anglais ne repousseront pas. Après les Klaxons : le déluge. KLAXONSAu Ninkasi KaoLe 6 marsMyths of the Near Future (Because/Wagram)

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