Faire du théâtre, aujourd'hui ?

Table ronde / Cinq jeunes metteurs en scène dont les travaux seront présentés dans différentes salles lyonnaises cette saison ont accepté de se rencontrer autour d'une table pour évoquer, ensemble, leur vision de la mise en scène et du théâtre. Propos recueillis par Dorotée Aznar

Petit Bulletin : Pourquoi faites-vous de la mise en scène ? Quel rapport établissez-vous entre l'acteur et le metteur en scène ?Olivier Rey : Je n'ai jamais été comédien, je n'ai jamais voulu l'être. Je ne me sens pas à ma place sur un plateau de théâtre. C'est la mise en scène qui m'excite le plus.Emmanuel Meirieu : Moi, je ne suis pas acteur, mais j'aimerais bien. Ça me plait beaucoup, mais je n'ai pas la technique... Quant à mes comédiens, je travaille exclusivement avec des amis...Géraldine Bénichou : Je fais de la mise en scène pour raconter des histoires. J'ai créé une compagnie, il y a dix ans et le "pourquoi je fais du théâtre" se redécouvre à chaque expérience. S'il n'y a plus de sens, je peux m'arrêter demain. Dans le rapport aux acteurs, l'important, c'est la confiance.Angélique Clairand : J'ai commencé en étant comédienne et j'ai créé la compagnie des Lumas avec Éric Massé. J'ai fait de l'assistanat avec lui, avec Richard Brunel... Je glisse vers la mise en scène, mais pour moi les frontières sont assez floues. Être comédien, assistant ou metteur en scène c'est donner une interprétation du monde, c'est-à-dire partir d'un texte et donner une interprétation de ce texte-là. Le metteur en scène a sans doute une vision beaucoup plus globale, mais le comédien a également un point de vue. Je trouve intéressant de passer d'une fonction à l'autre, d'un point de vue à l'autre.Vincent Roumagnac : Je suis comédien au départ. Pourquoi je fais de la mise en scène, c'est une question quotidienne. Je suis acteur, je fais de la photo, de la vidéo et aussi de la mise en scène depuis trois ans... C'est certainement pour me situer en tant qu'individu dans le monde qui m'entoure, même si c'est un peu banal comme réponse. C'est un endroit pour prendre la parole sans violence. Plus généralement, on peut se demander quelle est la place du théâtre aujourd'hui dans la cité, dans la société et puis qu'est-ce que je fous là, moi.Géraldine : La pratique du théâtre est à la croisée de la question politique et de la question intime. L'intime tente d'inventer des possibilités d'être ensemble, dans un lieu commun. Raconter des histoires, des vieilles histoires, peut aider les gens à faire émerger leur propre parole. Ce n'est pas personnel, moi je n'ai rien à dire sauf à me mettre à l'écoute et tenter d'être un passeur. Vincent : Quoi qu'il en soit c'est une prise de parole, qui engage une responsabilité, d'où la difficulté de notre fonction aujourd'hui. Emmanuel : Ce qu'il faut préciser, c'est que nous travaillons tous dans le cadre du théâtre public, il y a donc un cadre légal, des missions, des subventions, une économie particulière. Tous ici, nous dirigeons des compagnies. J'ai la responsabilité d'emplois et c'est important pour moi...Géraldine : D'emplois et de dépense publique. Donc la question de la responsabilité est essentielle...Petit Bulletin : Quel est votre rapport au texte de théâtre et au texte tout court ?Emmanuel : Je passe l'essentiel de mon temps à chercher des textes, inédits de préférence car j'aime découvrir des auteurs avec un souci constant du plaisir du spectateur. Quand j'ai choisi le texte que je vais monter et les interprètes, 90% de mon travail est fait. J'essaie de respecter le texte à la lettre, il est pour moi comme un scénario de cinéma, je suis très attaché à la structure narrative... Aujourd'hui, je monte principalement des textes de théâtre, je suis très sensible aux contraintes du théâtre (unité de temps, de lieu), le répertoire français contemporain ne correspond pas vraiment à ma sensibilité. Comme beaucoup de gens de ma génération, j'ai une culture principalement anglo-saxonne donc très naturellement, je me suis tourné vers ce théâtre-là.Olivier : Moi aussi, je suis toujours dans la recherche de textes, c'est la première étape. Mais le texte doit me laisser de la place pour respirer, il faut que je puisse m'approprier le texte, faire ma sauce autour. Souvent, j'ai également besoin de m'imaginer la vie de l'auteur, de me sentir en adéquation avec lui, pour me permettre de vivre à l'intérieur de son texte.Angélique : Il s'agit de ma première mise en scène et, avec Eric, nous avons décidé de travailler sur des textes de Feyderman qui sont des romans au départ. Dans le cas d'un roman, un chapitre entier peut-être résumé en une image. Cela impose de faire des choix. C'est une grande liberté par rapport au texte de théâtre. Avec Éric, nos envies se tournent plus vers des œuvres romanesques que vers des œuvres théâtrales, pour l'instant.Géraldine : Je ne travaille pas du tout sur des textes de théâtre. Je lis des textes qui me bouleversent, qui me permettent de me comprendre un peu mieux le monde et moi-même. Ce n'est pas toujours simple d'aimer le monde dans lequel on vit et les gens autour de nous... Ensuite, bien sûr, se pose la question de quelle théâtralité pour des textes qui ne sont pas des textes de théâtre, de trouver comment les moyens du théâtre nous permettent de retranscrire ces émotions-là. Pendant dix ans, j'ai pensé que le texte était un point de départ et aujourd'hui, je suis à un moment où je suis en train de lâcher des textes déjà écrits pour faire émerger la parole des gens que j'ai fait parler. Je me dirige vers une sorte de théâtre documentaire.Vincent : J'ai un rapport au texte tendu, inquiet. J'ai une culture française, d'études littéraires, d'acteur. Le texte y apparaît comme sacré, unique. J'ai des amours théâtrales et littéraires très fortes. Après je travaille dans l'image, je suis photographe, alors forcément j'essaie de mettre en unité l'image et le texte, plutôt que de décomposer. La présence obligatoire du texte peut me gêner. Et j'ai également des difficultés avec comment ce texte peut-être dit sur une scène de théâtre. Aujourd'hui, on se retrouve face au texte avec une somme de tentatives qui ont été faites sur la profération et l'on doit soit choisir d'être dans la continuité, soit tenter de trouver une nouvelle forme et pour moi, c'est un exercice difficile. J'ai tendance à prendre les textes comme source d'évocation mythologique et à les dépasser en produisant une sorte d'espace de rêverie. Le texte est là, mais il n'est plus central, il n'est pas là tout le temps.Emmanuel : Je pense qu'un élément essentiel est notre rapport à la langue. C'est peut-être ce qui explique que les auteurs contemporains excellent dans le travail sur la langue, parfois au détriment de l'histoire et de la structure narrative. Un texte pour moi ce n'est qu'une histoire, ce ne sont que des dialogues qui permettent de caractériser des personnages, de produire du conflit.Géraldine : Pour cela, la captation vidéo, cela permet d'être irrévérencieux avec le texte...Olivier : Je suis assez sensible à une pratique "allemande" de la mise en scène où le texte est considéré comme un matériau de départ et où le metteur en scène va pouvoir enlever des scènes, faire sa propre cuisine. Angélique : En France, on est dans le respect du texte classique. Le théâtre flamand, par exemple, s'en fout. Mais j'ai l'impression qu'avec notre génération, c'est en train de bouger et le texte devient un prétexte, on n'hésite moins à mélanger les genres. Vincent : À mon avis, il est préjudiciable de se poser un rapport préalable au texte : se dire ce texte est un prétexte, je vais avoir un rapport irrévérencieux avec lui...Angélique : Bien sûr !Emmanuel : Là encore, tout dépend. Moi, si je change une ligne du texte de l'auteur, je dois avoir son autorisation ! Aux Etats-Unis ou en Angleterre l'auteur a une place plus importante et la défense du droit des auteurs est beaucoup plus forte. En plus, passée cette question des droits, je pense que le texte est une partition qu'il faut suivre scrupuleusement quand elle est parfaitement écrite. Quand je ressens la nécessité de changer un mot, c'est que je n'ai pas compris la scène... Mais, c'est dans le cadre d'un certain répertoire évidemment.Petit Bulletin : Le théâtre doit-il divertir ou doit-il éduquer ? Avez-vous un avis ?Emmanuel : Je suis d'accord... Non, sérieusement, c'est une opposition très française, moi je cherche juste à créer des émotions sur un plateau de théâtre.Géraldine : Pour moi le théâtre ne transmet pas de message...Vincent : Il y a des bibliothèques pour cela...Emmanuel : En même temps, c'est vrai que cela fait partie de nos missions : soit on promeut le patrimoine, soit on le nourrit. Moi, j'essaie plutôt de nourrir ce qui pourrait devenir un patrimoine de demain.Géraldine : Sans plaisir, on n'apprend rien. Je ne vois pas d'opposition entre divertir et éduquer.Emmanuel : Si cette question se pose, c'est que la culture devient un loisir, ce qu'elle n'était pas au moment des pionniers. Vincent : Mais cette question est un piège. On a tendance à nous faire croire qu'il faut consommer de l'art... Moi, je fais une proposition la plus honnête possible, je ne me sens pas tenu d'éduquer les masses.Géraldine : Cette question, c'est peut-être aussi savoir si on sert aux gens ce qu'ils attendent ou pas. Il faut voir où la télé emmène les gens, ce que l'on appelle le divertissement... Avec quoi propose-t-on aujourd'hui aux gens d'avoir des émotions ?Emmanuel : Il y a d'excellents programmes télé, notamment des séries américaines incroyablement créatives, avec des acteurs magnifiques !Géraldine : Je ne faisais pas une plaidoirie contre la télé...Emmanuel : Pour revenir à cette idée d'éducation populaire, je pense que c'était un projet très ambitieux mais aussi très orgueilleux et je n'ai pas cet orgueil. Je n'ai pas l'orgueil de mes pairs.Vincent : Pour moi, le théâtre populaire est un échec, en termes d'éducation en tout cas. Je ne porte pas LA parole.Olivier : Quand je fais du théâtre ou quand j'y vais, je ne veux ni avoir le sentiment d'aller à l'école, ni d'aller à l'Eglise, des endroits où on va me donner un message. Au théâtre, au contraire, on doit éveiller à une complexité, ébranler les certitudes. Éduquer sous-entend un présupposé moral.Angélique : Pour moi le théâtre éduque et divertit, c'est indissociable. Quand je mets en scène je ne me pose pas la question.Petit Bulletin : Si vous suivez la création contemporaine à l'étranger, qu'est-ce qui, selon vous, est en train de changer ailleurs, qu'est-ce qui vous influence ?Angélique : L'éclatement de la forme, chez les metteurs en scène flamands pour y revenir. Ce mélange de textes, de vidéo, d'art du cirque... Je pense aussi que les medias nous poussent à la polyvalence. Vincent : L'Asie m'a intéressé pour le travail du corps. Pour ce qui est de la scène européenne, il y a des poches comme la Belgique, l'Allemagne. Après, je n'irai dans le décloisonnement des genres que si cela correspond à mon identité, je ne mets pas de la photo et de la vidéo parce que ça se fait en Belgique. Mais en revanche, je pense qu'il est nécessaire de sortir d'un microcosme culturel...Géraldine : En France, le metteur en scène est le maître, c'est l'un des seuls pays où cela se passe comme ça. De mes expériences à l'étranger, j'ai appris à travailler avec les rêves des acteurs. En France, peu de metteurs en scène sont des grands directeurs d'acteurs. En France, on est parfois dans un rapport où l'on fait du théâtre pour le théâtre. C'est impossible pour moi. Le théâtre, c'est pour la vie.Olivier : Selon Diderot, c'est dans les périodes de troubles politiques que l'on produit des grands œuvres. C'est cela qui provoque de tels soubresauts en Allemagne, en Flandres. En France, il y a un côté plan-plan. La scène berlinoise est beaucoup plus décomplexée, beaucoup plus ouverte.Emmanuel : C'est plus un désir de spectateur que de metteur en scène, j'espère que le répertoire français va s'ouvrir un peu plus, qu'on va sortir un peu de l'Europe centrale et faire la part belle aux dramaturges de langue anglaise, sud-africains, brésiliens. Je suis fan de sous culture, de polars, de comics et j'attends avec impatience un vrai renouvellement générationnel.Vos papiers SVPGéraldine Bénichou est metteur en scène et conteuse. En 1996, elle crée Le Théâtre du Grabuge, une compagnie dont elle est la responsable artistique. Elle sera au TNP du 2 au 5 mai, pour présenter Anna, la deuxième étape d'un travail mené par le Théâtre du Grabuge.Angélique Clairand est comédienne et metteur en scène. En 2000, elle crée la compagnie des Lumas avec Éric Massé. Avec lui, elle met en scène Les Moinous, d'après Raymond Federman, au Théâtre de Villefranche-sur-Saône, du 7 au 9 novembre et aux Subsistances, du 6 au 9 décembre.Emmanuel Meirieu est metteur en scène. En 1998, il fonde la compagnie Bloc Opératoire avec Géraldine Mercier... Après avoir mis en scène Mojo et The Night Heron de Jez Butterworth, il présente The Winterling, troisième partie de sa trilogie, au Théâtre de la Croix-Rousse, du 21 novembre au 17 décembre.Olivier Rey est metteur en scène (La Maman et la Putain d'Eustache, Blanche neige de Robert Walser...) Cette saison, il est assistant à la mise en scène de Michel Raskine pour Mère et fils, comédie nocturne, au Théâtre du Point du Jour du 14 au 19 octobre. Il assiste également Gilles Chavassieux sur Hiver, au théâtre Les Ateliers, du 21 novembre au 3 décembre.Vincent Roumagnac est metteur en scène, photographe, vidéaste et comédien. Après avoir travaillé sur Claudel et Duras, il met en scène La Mouette, d'après Tchekhov, au Théâtre de la Croix-Rousse, du 1er au 9 février et au Théâtre de Vénissieux les 25 et 26 avril.

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