Coquille vide

Théâtre / Après le succès du Jugement dernier d'Horvath, le metteur en scène André Engel s'attaque au Roi Lear de Shakespeare. À l'image de Michel Piccoli dans le rôle-titre, la pièce est vidée de sa substance dramatique au profit d'un spectacle froid. Christophe Jacquet

Disons-le net. De l'adaptation du Roi Lear par André Engel, il ne reste rien. Ou si peu : un album d'images performant. Soit un nouvel exemple de simplification, de superficialité, vrais travers des metteurs en scène contemporains. Jalon de sa "période triste", Le Roi Lear est l'une des dernières tragédies de William Shakespeare, qui, à la déréliction du pouvoir, préfère ici la destruction du lien familial, filial. Au faîte de sa puissance, Lear le vieillard pêche par vanité. Dans le prologue, il convoque ses trois filles, Régane, Goneril et sa préférée, la cadette Cordélia, pour partager sa fortune. Il veut distinguer "celle qui l'aime le plus et le grise avec les plus belles paroles". À la différence de ses sœurs hypocrites, Cordélia reste mutique : cet amour-là ne se targue pas de mots. D'un accès de colère insensé, Lear la bannit, et entame ainsi sa déchéance. Tout en jeux de miroirs et intrigues parallèles, la pièce entraîne tous les personnages dans cette descente en trois étapes, de l'opulence au dénuement, de la magnificence à la déraison, et surtout de l'enfant capricieux à l'enfant innocent. Effet fugaceSeule "pièce de Shakespeare qui [l'] intéresse véritablement" Le Roi Lear est la première mise en scène d'André Engel consacrée au dramaturge anglais. De ce drame qu'il dit pourtant "riche et émouvant dans son traitement des problèmes de la famille, de l'amour et de la vieillesse", il ne donne qu'une illustration à l'effet fugace. Reconnu pour ses lectures de Franz Kafka et d'Odon von Horvath, et donc familier de "l'atmosphère viciée" de la Mitteleuropa, il transplante Le Roi Lear dans le contexte familier pour lui des années trente. Sans qu'on n'en comprenne le sens. Cherchant la connivence, Engel singe alors le cinéma. La première scène fait de Michel Piccoli dans le rôle-titre, un Parrain livide aux affidés changés en gangsters. Les éléments (éclairs de foudre, tempête de neige...) se déchaînent. Les actes se succèdent en montage cut par l'abus de fondus au noir. Et la machine du spectacle, son décor tentaculaire, ses explosions picturales, prennent le pas, sans fougue, sur la tension affective entre les personnages. Repris pour la plupart de la distribution du Jugement dernier d'Horvath, les comédiens s'expriment en solistes. Hors Michel Piccoli, prisonnier de son registre mi-colérique mi-sénile, certains, comme Gérard Desarthe (un comble), sont même absents. Perdus dans ce primat du climat sur le propos. Au point que l'on ne comprenne plus grand chose des liens qui les unissent tous dans la perte déclenchée par Lear lui-même.Le Roi Lear, du 30 mai au 9 juin Au Théâtre National Populaire à Villeurbanne

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