Zoom / En abordant l'art dramatique comme auteur et metteur en scène, Duras en a perverti tous les codes, en envisageant le théâtre comme un concert. Petite théorie de la façon dont elle a brûlé les planches.
Détruire, dit-elle. 52 livres en 50 ans, 13 films et dix pièces de théâtre, la Duras n'a jamais abordé un art ou un genre sans en mettre à bas les fondements mêmes. Dans La Vie matérielle, elle explique qu'elle veut " faire du théâtre lu, pas joué ". La raison ? " Le jeu enlève au texte, il ne lui apporte rien. C'est le contraire, il enlève de la présence au texte, de la profondeur, des muscles, du sang. " Voir ne l'intéresse pas, car le jeu distrait de la parole. Un théâtre sans presque de représentation, voilà l'utopie que défend Duras. Un théâtre conçu comme un concert où la matière première et finale consiste en la présence de la voix. R remise en cause du jeu traditionnel de l'acteur, lieu indéfini, parole proférée comme une révélation, ralenti et immobilité, le théâtre selon Duras est un cérémonial déceptif. Il va notamment enfanter deux beaux enfants bâtards : l'intermède, sorte d'entracte scénique, souvent musical, destiné à laisser les images que la parole a suscité s'élaborer ; et les lectures au théâtre, aujourd'hui monnaie courante, mais dont Marguerite Duras fut l'une des pionnières dans les années 60. Même à l'intérieur d'une mise en scène, le comédien n'est plus qu'un acteur qui porte le texte hors du livre par la voix, sans tenter de l'incarner mais en le symbolisant. Et le dialogue, qui ne correspond plus nécessairement aux répliques des personnages, n'est plus que la double expression du manque et du désir, que vient sans cesse combler l'écriture. Le théâtre retourne au geste même de l'écrit, et les romans de Duras porteront souvent la trace des " couloirs scéniques " qui sont au livre ce que sont les didascalies au théâtre : des indications de décor, de musique ou d'énonciation qui reproduisent le sentiment du spectacle, et surtout la présence de la voix à l'intérieur même du texte. Le roman devient théâtre et les pièces de Duras ont souvent commencé par être des romans. La boucle est bouclée. LH