Drôles de dames

Evénement / L'Opéra se met en trois avec "Jeux de dames", mini festival de danse autour de Maguy Marin, Anne Teresa de Keersmaeker et Sasha Waltz. Une programmation dense qui ravira les amateurs. Jean-Emmanuel Denave

Une semaine durant, l'Opéra de Lyon s'offre rien moins qu'un petit festival de danse à lui tout seul. L'événement, attendu, s'articule autour de trois figures féminines (d'où son titre-jeu de mot : "Jeux de dames"), trois grandes chorégraphes contemporaines : la Belge Anne Teresa de Keersmaeker, la Française Maguy Marin et leur cadette allemande Sasha Waltz. Il ne faudrait pour autant en tirer aucune interprétation hâtive : ni quant à une hypothétique domination féminine sur le monde de la danse (Trisha Brown déclarait par exemple récemment au journal Le Monde : "Le nombre d'hommes qui dirigent des compagnies est disproportionné au regard de celui des femmes. C'est mon nouveau combat "), ni quant à une quelconque affinité artistique entre ces trois femmes qui évoluent dans des univers différents. Hétéroclite, la programmation de "Jeux de dames" s'avère aussi pour le moins un peu complexe. On peut la résumer ainsi : le Ballet de l'Opéra interprète une pièce (deux en ce qui concerne Maguy Marin) de chacune des chorégraphes dans un même programme intitulé "Fugue à trois" et chaque artiste présente une pièce récente avec sa propre compagnie (Umwelt et Ca quand même pour Maguy Marin, Impromptus pour Sasha Waltz et Once pour De Keersmaeker). Virtuosité et ratésEtonnant Ballet de l'Opéra de Lyon qui, avec une formation de base classique, parvient à jongler de la danse néoclassique de Jiri Kylian ou Mats Ek, aux post-modernes américains (Trisha Brown, Steve Paxton...), en passant par les facéties de Philippe Decouflé, ou au contraire par la "non danse" radicale de Christian Rizzo... A l'occasion de " Fugue à trois ", le ballet ajoute à son foisonnant répertoire une nouvelle pièce de Maguy Marin (Grosse Fugue, 2001), et, pour la première fois, une pièce de De Keersmaeker (Die Grosse Fugue, 1992) ainsi qu'une pièce de Sasha Waltz (Fantasie, créée cette année à l'Opéra). Le programme du ballet s'ouvre sur la danse fougueuse et détonante de De Keermaeker : fidèle et très attentive à la musique de Beethoven (jouée en direct), la chorégraphe propulse sur une scène nue sept hommes et une femme en costumes sombres. La gestuelle est virtuose, voire "bluffante" (des sauts en "hélice" exécutés sans élan, notamment), les mouvements collectifs se croisent et s'entrecroisent avec grande précision... Ca fouette mais ça ne tranche pas autant que dans certaines autres pièces de la chorégraphe et l'émotion, quant à elle, reste aux abonnés absents. L'émotion, on l'attendait du côté de la Grosse Fugue de Maguy Marin (sur le même quatuor à cordes de Beethoven) et de cette "envie de courir éperdument à perdre haleine, pour vivre chaque instant comme des derniers instants". La pièce est habituellement splendide : quatre femmes vêtues de rouge embrasent la scène de leurs corps-musique, secoués d'à-coups aigus et anguleux tels des coups d'archets, se jetant dans la joie comme dans le désespoir avec une urgence et une générosité absolument bouleversantes... L'interprétation des quatre danseuses de l'Opéra est comparativement bien mièvre, empesée et mécanique : les spasmes et les désarticulations au bord du vide sont exécutés sans âme, forcés, et le tragique vire parfois carrément au défoulement physique ou à l'hystérie. Grosse déception donc !Grâce et grasseNous vous conseillerons cependant d'aller voir "Fugue à trois", ne serait-ce que pour y découvrir la création de Sasha Waltz, Fantasie, petite perle de joie et de mélancolie sur l'œuvre éponyme de Schubert (morceau à quatre mains pour piano joué en direct). Sœur cadette d'Impromptus (où déjà, en 2004, la chorégraphe explorait l'univers du compositeur), Fantasie tresse et alterne tristesse et allégresse, passages sombres et mouvements collectifs presque guillerets. Les huit danseurs de l'Opéra, qui n'ont travaillé avec Sasha Waltz que quatre courtes semaines, s'immiscent dans son univers de manière parfaitement convaincante. Les duos de la chorégraphe sont toujours aussi délicats et émouvants, ses sculptures collectives et "organiques" toujours aussi étonnantes, et une certaine forme de grâce (eh oui, ce mot si désuet !), aussi fugace que retenue, émaille l'ensemble du spectacle. Lorsque la musique de Schubert sautille soudain de joie, Sasha Waltz se permet même d'envoyer ses danseurs courir en tous sens, bras tendus sur les côtés, tels des enfants mimant oiseaux ou avions dans une cour de récréation, et... ça fonctionne, la magie opère malgré le dérisoire des moyens mis en œuvre... Gonflée, au sens littéral du terme, telle est aussi la seconde œuvre de Maguy Marin, Groosland, qui clôt "Fugue à trois". Une farce joviale et bouffonne où vingt danseurs plus que volumineux ("des bourgeois bien gros") exécutent, sur une musique de Bach, duos ou batteries collectives des plus traditionnels ! Le décalage entre la virtuosité classique "pur beurre" et l'apparence boursouflée des corps donne lieu à une chair hilare et joyeuse... Et referme sur un bon éclat de rire ce programme du ballet assez inégal. Parallèlement à "Fugue à trois", vous pourrez découvrir cette semaine à l'Opéra (le sidérant et controversé spectacle de Maguy Marin, Umwelt, n'étant malheureusement plus joué à l'heure où nous éditons ce journal) : les superbes Impromptus de Sasha Waltz interprétés par sa propre compagnie (voir encadré), ainsi que Once, solo de et par Anne Teresa de Keersmaeker créé en 2002, sur une musique de Joan Baez. "Jeux de Dames" A l'Opéra de LyonJusqu'au 19 février

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